Une poésie à fleur d’instant
Comment retrouver le vrai lieu, celui de l’instant, de la présence et de la vie qui grouille de désir.
Nous sommes face à une poésie à fleur d’instant, entraînée dans un irrésistible courant sans fin, « parle, parle comme si longtemps tu pouvais le faire et que des siècles t’étaient donnés », même si nous naviguons sur l’océan de tous les doutes et de tous les possibles, même si nous nous mettons parfois à l’unisson de la souffrance.
Jean-Luc Steinmetz,Suites et fins, Le castor Astral, mai 2017, 160 p., 14 €.
Une phrase qui parle du sable qui s’écoule, comment n’aurait-elle pas raison ?
Une phrase est le temps qui s’écoule, elle parle de la vie et de ses remous. Nous somme bien dans le livre du temps, d’un temps non linéaire, à l’image de l’écriture de l’auteur et de la feuille qui se replie, se chiffonne, où dans les plis le temps d’après peut alors côtoyer celui d’avant, où les rêves et le réel se regardent l’un en face de l’autre.
Et l’être humain, où est-il ?
A chacun sa théorie, que ce soit celle du Big Bang ou du Grand Rêve, toutes ces explications ne seront toujours que partielles. « Écoutons les buissons d’étoiles », qu’allons-nous trouver ? L’auteur nous donne plus à vivre qu’à voir, dans ce parcours multiple qui passe d’une branche à l’autre pour parcourir l’arbre infini de la vie. Ce livre est trop riche pour le résumer en quelques lignes, les rhizomes donnent naissance à d’autres rhizomes qui tissent une toile complexe parfois imprévisible, au-delà du monde du visible.
Que nous dit-il finalement ? Apprendre à voir et à entendre, à sentir et à penser, à étudier et à savoir…A vivre et à mourir : une des grandes missions de la poésie. Et à ouvrir les portes du château intérieur où à chaque pièce, une autre porte s’ouvre, indéfiniment jusqu’aux étoiles les plus lointaines.
Alors les souvenirs s’entrechoquent, souvenirs d’amour, de mort, d’enfance, de résilience, d’été et d’hiver, de métal et de chair, d’os et d’or, jusqu’à la dernière séance ! Nous faisons un grand voyage dans l’espace et dans le temps où des enfants « marchent sur l’enfer de la marelle, où on lisait sur le « tableau noir énonçant la morale », jusqu’aux premiers émois, « les souvenirs étendant d’est en ouest leurs ailes ». Nous sommes entraînes dans un labyrinthe de sensations et de réminiscence mais au lieu de chercher la sortie, nous goûtons au plaisir de se perdre, de déambuler dans un univers disparate et parfois déroutant, pour finir avec l’amour et la poésie, les deux poumons qui nous font vivre, pour mieux respirer, pour que le temps devienne moins lourd, soulevé par le vent.
Dans « la nuit qui nous mène plus loin que le sommeil », il faut tenir sur cette terre pour ne pas être éjecté trop tôt, savoir reconnaître un merle qui s’envole, la cloche qui tinte au milieu de nulle part, presque inhumaine, et les algorithmes des grandes villes.
Quelle est cette poésie, insaisissable, intransigeante, main de sable et visage de lumière ?
Qui n’accepte pas la soumission, les forces destructrices, la souffrance gratuite, peut-être un leurre, une utopie, à moins que ce soit le cœur même de l’humanité… La parole va-t-elle disparaître au profit de l’image ? La poésie c’est le verbe mais aussi des allégories, des symboles, des métaphores, dont il faut certes se méfier pour ne pas se perdre, reflets de l’inconscient, au plus profond de l’être, donc intraduisible en représentation, même si c’est la plus performante techniquement. La poésie ne part pas des yeux mais d’un monde souterrain qui remonte à la surface pour révéler les vérités profondes.
Fort d’une grande culture jamais apparente, Jean-Luc Steinmetz réussit, dans un creuset bouillonnant, à réunir mémoire et oubli, constituant un alliage d’une résistance inégalable, puisqu’il s’agit de l’écriture et de la vie.
A la fin, il tire le rideau, mais on attend qu’il se relève !
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