Le poète Jean Maison, couronné l’an passé par le Prix de Poésie Charles Vildrac pour son opus Le Boulier cosmique paru aux éditions Ad Solem, signe aujourd’hui un recueil chez le même éditeur, placé sous les mêmes auspices de l’exigence et de l’inspiration.
Ce livre est composé de trois parties : Presque l’oubli, donnant son titre au recueil, et contenant 13 poèmes, La part d’Être deuxième partie comptant également 13 poèmes, et Témoins de nos ombres, troisième partie rassemblant 26 poèmes, soit 13 x 2.
Cette structure, savamment ordonnée, n’a laissé au hasard que sa part objective et mérite que l’on s’y attarde pour la dimension sémantique qu’elle contient.
Au total, 52 poèmes en vers forment Presque l’oubli. En arithmosophie, 52, c’est 5+2, c’est à dire : 7.
7 est le chiffre Apollinien. D’un point de vue numérologique, le 7 évoque la création totalement investie par les forces lumineuses de l’esprit. Il incarne la beauté, la grâce et l’harmonie, le mariage du 3 représentant le plan spirituel, et du 4 symbolisant le plan stable du matériel. C’est au 7ème jour que Dieu contempla son œuvre. A ce titre, bibliquement parlant, à la genèse de notre culture, le 7 indique le couronnement de la création dans la plénitude de sa perfection.
Le 3, représenté par la structure trinitaire du recueil, évoque ce qui permet à la réalité abstraite de se réaliser sur le plan du concret : 1 + 2, le masculin pénétrant le féminin et donnant au monde l’enfant de leur union.
Si l’on ajoute aux 52 poèmes versifiés le poème inaugural en prose, nous parvenons à 53 poèmes, c’est-à-dire au 8. Le 8, c’est le lemniscate symbolisant l’infini, la courbe faisant mouvement sans fin sur elle-même. Mais le lemniscate est horizontal, c’est un symbole couché. Lorsqu’il se verticalise, il devient chiffre debout reliant terre et ciel dans un dialogue d’interpénétrations séminales, d’équilibre et de stabilité.
Quant au 13 : 1 + 3, il oriente vers l’idée de puissance divine agissant pleinement au sein de la création. Au nombre 13 est attaché malédiction et bénédiction, suivant les rapports que nous entretenons avec l’invisible. Foncièrement bénéfique lorsque ce rapport est basé sur la confiance.
3 parties, organisées autour du nombre 13, telles sont les arcanes des chiffres et des nombres. Des arcanes, ici, conduits par la confiance.
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Le poème liminaire, en prose, établit une porte, ou une voûte permettant d’entrer dans le cosmos poétique proposé par Jean Maison à la méditation du lecteur. On pourrait dire beaucoup à propos de ce poème liminaire et sa fonction. Contentons-nous de signifier qu’à l’heure de l’évacuation orchestrée du poème par l’armée des propagandes mondiales imposant la productivité à chacun des gestes de l’individu, ce poème liminaire devient absolument nécessaire pour préparer l’esprit à recevoir cet étrange monde d’images hérité d’une connaissance dont on ne veut plus rien savoir.
Ce qui semblait naturel à l’homme des forêts, à l’homme des champs et des semailles, effraie maintenant le citadin hyper connecté.
Ce poème liminaire, prenons-le comme une ablution permettant d’entrer dans un espace que les normes de notre monde ne regardent qu’avec méfiance et indisposition, tout en le réclamant dans leur for inconscient.
Que nous dit ce premier poème ? Il nous parle de résistance, des compagnonnages de la parole, de la détresse de nos existences interrogeant le plan métaphysique, de la guerre, de la liberté.
Qu’est-ce, être libre, à l’heure où parle Jean Maison, c’est-à-dire en 2015, et lorsqu’il débuta cette vision poétique en 2007, le tout s’étalant sur 8 années de composition, le 8, encore, de l’élévation infinie, de l’enrichissement respectif du haut et du bas ? “Etre libre !” et refuser “la servitude” tout en maintenant l’effort que nous impose l’actuelle condition humaine, est-ce jouer pour l’épanouissement de la possibilité du poème en nous-mêmes, en chacun , chacun n’étant poète mais désireux d’habiter la maison du poème pour se sentir vivant, heureux dans le labeur, recouvrant par la joie d’exister la “défaite” de notre vie corporelle ?
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L’éditeur, sur la 4è de couverture, nous renseigne sur la portée du titre : Presque l’oubli : “Jean Maison propose dans ce recueil de poèmes une méditation sur le thème — paradoxal — de l’oubli. Pourquoi paradoxal ? Parce que dans l’oubli, ce qui n’est plus là demeure pourtant. La parole garde ce qui se donne dans l’absence. Presque l’oubli, parce qu’entre l’au-delà de l’horizon et ce dernier moment de la visibilité des choses, la poésie se tient là, dans le lieu liminal qui “permet de discerner l’espérance élective de toute vie. Etre libre !”
L’important, peut-être, dans ce titre, est contenu dans le mot presque, mot sans doute le plus beau de la langue française en ce sens qu’il conjure toute défaite, qu’il maintient chaque parole hermétiquement fermée dans la possibilité voire l’espérance de son embrasure. Presque mort n’est pas mort ; presque fini n’est pas la fin ; presque l’oubli, c’est la puissance de la mémoire jamais abolie dans toutes les perspectives dans lesquelles l’imaginaire actif peut l’envisager.
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La caractéristique de ce recueil est qu’il est tissé par des poèmes extrêmement courts. Une densité accouplée à une brièveté formant des flèches ou des éclairs. Si ces éclairs ont la capacité de foudroyer, alors ce sont les images convenues qu’ils embrasent et calcinent afin que s’établisse dans l’esprit du lecteur, et donc, peu à peu, mais puissamment, dans l’esprit du monde, un ensemencement d’images renouvelant la vie de l’esprit.
Ces flèches, ces éclairs, sont pour la plupart une charge d’énigme qu’il convient à l’appétence du lecteur d’interroger. La méditation de Jean Maison appelle la méditation de celui qui lit. On dirait un jeu de carte étalé sous nos yeux — un tarot — dont il faudrait lire les images en les circonstances qui sont les nôtres aujourd’hui, celles du commun des hommes empêtrés dans la production d’abondance et la pauvreté d’humanité.
Ils demandent, ces poèmes, un effort, mais leur beauté première intrinsèque fait rayonner une splendeur qui est une invite à les caresser dans le sens, dans le sens du quoi ?, dans le sens du sens pour qu’en surgisse le pouvoir fécondant l’accroissement de conscience.
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L’oubli, c’est celui planant d’abord sur les “héritiers du chagrin des épierreurs”, sur les “trimards”, eux à qui sont dédiés ces poèmes, oubli promis à la même “tombe”, “parmi les forçats des Indes noires”.
Ceux qui triment n’attendent ni remerciements ni d’autres considérations que celle de la plénitude du travail accompli, de l’aise du labeur ordonnateur. L’oubli, ici, plane sur les hommes de bonne volonté, le taiseux ayant cure d’aller jusqu’au terme de la condition d’être homme “sans abandonner la tâche”.
Et les éclairs se succèdent, au rythme du pas d’un homme, relié à la terre, méditant tout ce qui lui est donné de vivre :
La ville rassemble ses journées
À la rencontre d’un songe d’architecte
*
La pluie éclaire le firmament
Prend le même chemin
Que le cénacle des blés
Et parfois, de ci de là, la voix du poète, chose inhabituelle chez Jean Maison, se teinte d’une fermeté que l’élégance empêche de voisiner avec la diatribe :
Le manœuvre connaît
La rébellion de l’âme
Depuis la terre cuite
La fin des classes
Le jugement des cuistres
Où fut réprimé pour lui
Tout accès au progrès
La première partie, donnant son nom au recueil, s’adresse aux travailleurs à travers l’emblème du manœuvre (contremaître, ouvrier, paysans, maçon, paveurs, faucheurs). Manœuvre : entendons le sens étymologique du mot…
Les 13 poèmes de la deuxième partie envisagent l’invisible. Il y est question de prière, de ciel accordé au verbe, du cœur accordé au poème, de l’âme. Et soudain se présente, sublime, le poème de la page 47, que nous ne dévoilerons pas pour ne rien déflorer. L’avions-nous vu venir, l’avions-nous pressenti, préparé par ces éclats de parole, ce poème ailé de la page 47 ? Nous l’espérions seulement, et il s’est incarné sous nous yeux. Le poète, lui, en chaman orchestrant son œuvre d’une main sûre, sait qu’il a préparé le terrain afin que nous transperce, tranquillement, la paix resplendissante de ce qu’il a à nous révéler.
Les eaux, après, ne seront plus les mêmes. À travers le voyage, la parole s’ancre en nous et rien n’arrêtera plus son travail, son influence, dans nos vies.
La troisième partie, Témoins de nos ombres, matérialise le plan nuptial de la conscience du poète. Tout ce qui était désuni est uni, tout ce qui était épars est assemblé, les contraires ne faisant plus qu’un, bas et haut, noir et blanc, chaud et froid, homme et Dieu, rêve et réalité. Les correspondances engendrent la terre et l’homme cristallise l’action de l’esprit en une parole allant au-delà de l’espérance puisque s’établissant dans le don. Ce qui a été pensé par un poète a été pensé pour tous. Ce qui a été formulé par un poème a été gagné pour chacun. Là est le prodige arraché à l’invisible en puissance par Jean Maison qui, humblement, transmet au monde, à la conscience de son prochain, la parole en acte .
Dans la vie d’un homme, il y a la mémoire de son esprit venu d’on ne sait où, d’un firmament, mémoire presqu’oubliée mais bel et bien agissante dans tous ses gestes et toutes ses paroles, couvertes par l’inconscience de son incarnation. Dans la vie de tout homme, il y a la résurgence intuitive des profondeurs.
Est-ce là le pouvoir, la mission du poète, arracher à l’informulé le poème s’il contient soin et élévation ?
C’est un axe possible, orienté “au levant du poème”…
*
Il est à noter un détail pour clore ce compte rendu : chaque premier poème de chacune des trois parties du recueil est dédié aux poètes, respectivement, Matthieu Baumier, Mathieu Hilfiger et moi-même.
Ces trois noms, dans le ciel nocturne de Jean Maison, forment peut-être une constellation d’avenirs. Des avenirs de paroles empruntant chacun des sentes singulières que l’on retrouve à travers tous les âges, et signifiant, chez Jean Maison, une vision, une profondeur, une fraternité de joie. Un travail à l’œuvre, une action, une dimension spirituelle.
A la croisée de l’oubli, de l’Être et de l’ombre s’édifie un espace, celui du poème que réclament secrètement, en ultime recours, le genre humain pour vaincre le monde.
Recours au Poème éditeurs vient de rééditer le tout premier recueil de poèmes de Jean Maison, indisponible depuis de longues années : Grave
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