D’abord il y a l’espace
et puis la clarté.
Là-bas loin de nous sur les crêtes
et les grands prés de bruyères,
on les voit lentement qui dévalent la pente
en secouant leur crinière.
Leur a été donnée en second lieu
l’élégance
et puis la blancheur.
Ils semblent, sur ce fond de ciel bleu,
descendre tout droit de la lune
ou de la neige fondue des glaciers.
Ils en gardent intacts
l’éclat et la vigueur
jusque dans leur allure
et leur incroyable fierté.
Leur a été donné, pour finir, d’être libres,
de figurer pour nous
ce que rien dans ce monde ne subordonne
et qui jamais ne peut appartenir
sinon au geste qui le donne.
Cela, ils le dessinent dans nos esprits
pour que loin d’eux dans nos vies
où nous avons parfois, il faut le dire,
bien du mal à respirer
nous pensions à eux, nous résistions
aux pressions partout qui s’exercent
et leur bâtissions par la pensée
un abri où ils puissent
tout ensemble hennir et cavalcader,
tordre librement leur cou dans la lumière
et expirer.
Oui, tout cela, loin de nous dans les pentes,
leur a été donné,
et puis à nous, qui les gardons
par le regard et la pensée, mais aussi, (cela,
nous nous en serions bien passés)
la beauté dans la souffrance
longuement déployée
la splendeur, l’intelligence,
la fragilité,
le sang sur le cuir blanc
abondamment versé
et l’amour vain, l’amour blessé
qui ne sait plus où ni comment se donner.
A présent on comprend, on peut comprendre
pourquoi les camisards enterrés sur les crêtes
faisaient déposer en secret par leurs frères
des fers à cheval sur leurs tombes ouvertes.
Dix secondes tigre, L’Arrière-pays (2011)