Jeanne est née et il neige sur la nouvelle année.
J’efface la suie du chagrin sous tes yeux.
Quand tu es triste, tes yeux seuls grandissent
au-dedans. Il n’y a pas de fleurs dans la maison.
Au marché nous n’avons pas pensé
à acheter du mimosa. Ce sera pour l’année prochaine.
Des nuages glissent sur la table et tu passes un linge
distraitement pour les faire partir.
Je ne voulais pas te faire de peine ; encore moins
ce jour-là. Je ne peux pas te le dire
mais tu es belle dans ta robe noire.
Jeanne est née avec la neige
et à ceux qui me demandent de ses nouvelles,
je dis qu’elle a l’âge de la neige.
Disant cela, je sais, je mens.
C’est nous tous, depuis sa naissance,
qui avons son âge.
Tout est révélation
pourvu qu’on sache le prendre à l’état naissant.
Or l’âge venant, nous avons plus de mal
à préserver l’innocence.
Mais nous, du moins, avons cette chance
d’avoir ses yeux posés sur nous.
Jeanne, tu es le commencement
Il neige à nouveau sur le premier janvier.
Nous tenant par les doigts,
nous soufflons sur la vitre gelée.
Regarde ton chagrin, ce que nous en avons fait :
un jardin plein de neige.
Nous n’avons pas oublié le mimosa
cette année. Inutile d’allumer,
il éclaire tout seul la maison.
Ma main sur la tienne nous effaçons tous les deux
la buée sur le carreau.
A la fenêtre une seule ombre se penche
pour mieux voir la neige tomber
et d’entre les flocons s’avancer
vers nous dans la nuit finissante
le souffle et les naseaux de la nouvelle année.
Nous n’avons plus peur ni d’elle ni de nous à présent.
Dix secondes tigre, L’Arrière-pays (2011)