Jean-Marc Sourdillon La vie discontinue
Exaltations et angoisses, heurs et malheurs, fureurs et silences, émerveillements et désolations : la vie « discontinue » peut nous faire passer, on le sait, de charybde en scylla.
Dans huit textes ancrés dans des expériences personnelles (existentielles, dirait-on) Jean-Marc Sourdillon nous le fait toucher du doigt et nous livre ce qu’on appelle – par facilité – des tranches de vie, des instants qui furent pour lui des moments de révélation.
Un proche qui meurt nous rappelle à l’immense. Il s’est absenté d’un coup, au beau milieu de l’été, évaporé dans le ciel bleu au sommet d’une montagne.
Il le dit, par exemple, dans un texte poignant autour d’une escapade au Puy Mary.
Oui, un bel été. De longues semaines le soleil avait été devant nous ; et soudain brutalement, il a été derrière nous.
Jean-Marc Sourdillon inscrit ses récits dans des paysages, dans des lieux que l’écriture transfigure. Parce que des images affluent.
« La vie poétique consiste pour l’essentiel à se rendre disponible à la venue de certaines images, à les accueillir et à les retenir au moyen de l’écriture. Quelles images ? Celles qui, surgies de la vie, se signalent par une certaine qualité d’émotion qui fait que quelque chose s’allume en elles, qu’elles se font transparentes à la vie qu’elles nomment », notait l’auteur dans un dossier consacré à Philippe Jaccottet (Revue Lettres, printemps 2014).
Comment, d’ailleurs, ne pas penser à Philippe Jaccottet dans cette approche éblouie des lieux, quand les images surgissent dans un paysage naturel. Tel Jaccottet écrivant au col de Larche (titre d’un essai de l’auteur aux éditions Le Bateau fantôme), Jean Marc Sourdillon raconte une pérégrination dans les Cévennes du côté d’Auzillargues et de Saint-André-de-Valborgne. Une libellule le sort de sa torpeur. Puis le voici sur le « diamant brut » d’une « route ancienne taillée dans la montagne » alors que « là-bas, sous la barre argentée des rochers, c’était le torrent ». Peu à peu, l’auteur se sent comme happé, saisi, au point d’éprouver la certitude de faire partie du paysage lui-même.
Un fil tendu dans l’air » finissait par le relier aux insectes à ses pieds « en même temps qu’aux montagnes dans les lointains avec leurs nuages étalés.
Dans un autre texte, Jean-Marc Sourdillon fait l’expérience de l’autre dans sa singularité en regardant vivre son voisin de l’autre côté de la rivière. L’homme y a son enclos, ses animaux et ses petites cultures. Et il regarde cet homme bien occupé mais si différent.
Lui dans son jardin où il bêche aux premières lueurs, moi à ma table, la fenêtre ouverte, au-dessus de la rivière.
Des regards se croisent, une forme de connivence tacite s’instaure entre hommes du matin. Chacun dans son royaume. C’est cela « la vie discontinue » de Jean-Marc Sourdillon. C’est dit à la fois avec simplicité et profondeur.