Traces sur la neige de la parole…
Comme une neige d’avril : le nouveau livre de Jean-Marie Corbusier interroge le sens de l’écriture, poétique certes mais, au-delà, celle de toute écriture signifiante.
La neige est ici la métaphore de la page blanche ou celle des mots qui y tombent, lentement, tels des flocons fragiles et éphémères. Des intervalles de blanc, des interstices s’ouvrent laissant ainsi sourdre des silences :
Parole
en tant que support
étrangère à ma voix
Le poète questionne ici le paradoxe de l’écriture : la neige efface la neige, la chose dite disparaît dans le dire qui la nomme (Je dis neige et elle a disparu) : alors, qu’effectue donc cette inscription quasi volatile ?
Jean-Marie Corbusier, Comme une neige d’avril, La Lettre volée, Bruxelles, 2022, 105 pages, 17 €.
L’effacement, l’absence, la disparition s’inscrivent et perdurent mais à peine puisque d’autres mots, toujours, surviennent et connaîtront le même destin. Pour l’être humain il n’y a de présence qu’en doublure de ce qui, dans le même temps, la nie :
Poème à ma main
qui continue sans moi
au plus haut de lui
blancheur dans le lointain
Ce qui est effacé demeure par sa disparition même. Le poème se situe toujours dans une présence-absence, dans un entre-deux, entre ce qui est dit et ce qui a disparu par le dire, le passage furtif de l’énonciation. C’est la neige et c’est avril, c’est donc le printemps. Le blanc, qui advient tel un symbole de séparation et de perte, éclaire le bleu de la lumière poétique qui, elle, continue de rayonner malgré l’effacement des choses :
Neige où j’ai buté
comme ce qui cesse
dès que j’aurai dit
Et le poète y passe par sa propre perte (je me suis vu effacé), par la perte du poème (poème perdu) qui, cependant, sur la page laisse des signes, comme des traces de pas sur la neige… Le livre raconte le cheminement d’une écriture qui, bien que le rien persiste, déroule son rythme d’avancée envers et contre tout (Dans la langue dévêtue le pas sonne clair). Et le sens qui éclot se dérobe, chassé par la multitude des significations qui tombent les unes après les autres. Ce surplus de sens efface le sens, crée comme un vide ; mais c’est un vide actif qui appelle une parole au secours :
Dire est une séparation
échecs qui s’accumulent
Les échecs, les ratés consubstantiels à tout acte de dire. Car la parole n’est pas la langue (Langue que la parole menace) dont la trame semble remplir l’espace et empêcher le trouage par le réel. Il faut que l’avènement d’une parole soit déchirant, qu’il fracture le filet du langage. La parole tombe et s’élève à la fois tel le mouvement d’un oracle qui sanctionne la présence de notre être-là parmi les lambeaux, les fragments d’un monde qui vacille sur ses fondements :
Rien
quelque chose
rien
écrire
j’écris
L’écriture de Corbusier est fragmentaire, elle laisse vivre l’espace et nous pouvons par ces trouées reprendre notre marche, laissant des marques qui disent notre destination sur la voie perpétuelle du dire. Comme une neige d’avril rejoint ainsi l’universel de ce qui nous constitue en tant qu’humain : la capacité de dire à travers même l’impossibilité et la précarité apparente de celle-ci : Ce qui est atteint nul ne le saura et comme atteint aura disparu.
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