Jean Métellus, ou le réveil des mots
L’homme Jean Métellus était entouré d’affection et son œuvre, sur la fin de sa vie, a bénéficié d’une vraie reconnaissance. Mais a‑t-on vraiment lu sa poésie et pris la mesure de la force et de l’originalité de sa démarche ?
Né à Jacmel, il vient d’une île qui ne manque pas de poètes ; parmi lesquels beaucoup se distinguent par l’authenticité et la qualité de leur œuvre. Lui-même, qui avait fait le choix d’écrire en français, se situe dans l’histoire non pas seulement de la poésie d’Haïti mais de la poésie en langue française, et singulièrement de celle des Caraïbes.
Pascale Monnin, Danser le chaos.
Les Haïtiens ont leur propre histoire littéraire et la Négritude n’est pas à proprement parler née sur leur île. Ce qui se comprend car, étant héritiers de la première révolution noire, ils avaient en quelque sorte une « longueur d’avance ». Mais cela ne signifie pas pour autant qu’ils aient été indifférents à ce vent nouveau qui arrivait des Antilles françaises et d’Afrique. Beaucoup de poètes d’Haïti n’hésitent pas à dire ce qu’ils doivent par exemple à Aimé Césaire.
Jean Métellus, de son côté, a exprimé son attachement à la figure d’un autre des initiateurs de la Négritude, souvent laissé un peu de côté et resté longtemps sans être réédité : le Guyanais Léon Gontran Damas. Il lui consacre le premier poème de son livre Voix nègres, voix rebelles, voix fraternelles, le nommant « cher Maître, mon aîné ». Ce qui le rapproche de Damas, c’est d’abord un même combat contre l’aliénation entretenue par le colonialisme, aliénation qui fut au centre de l’œuvre d’un autre médecin, Frantz Fanon :
Tu as stigmatisé le snobisme du nègre embrassant sa dénaturation
Du nègre oubliant qu’il est un nègre debout depuis deux siècles
Grâce à Toussaint Louverture et Jean-Jacques Dessalines
Mais, à travers cet accord sur le fond, sans doute se sent-il aussi proche de lui du point de vue de la forme poétique elle-même. Dans le groupe des fondateurs de la Négritude, Damas se distingue par sa simplicité, sa poésie directe refusant toute fioriture et son vers, rythmé, fortement influencé par la musique et le jazz. Or il y a chez Métellus la volonté, de plus en plus marquée au fil du temps, d’atteindre à la plus grande des simplicités. Ce trait est déjà manifeste dans les pages du Pipirite chantant. Bien sûr, les poèmes du Pipirite sont comme portés par les alizés, traversés par le chant et habité par la luxuriance de la nature et du vocabulaire des îles… Mais on n’est pas là dans l’efflorescence verbale et l’explosion d’images de la poésie surréalisante de Césaire. Au contraire… Dès les premiers vers, la recherche de la vérité du poète le mène ailleurs :
Je cours jour et nuit après moi
Viens bercer ma joie de retrouver
L’horizon maternel du matin
Il connaît « la condensation pure du verbe / vouloir étincelant » et sait qu’il doit par son métier de poète « apprivoiser dans la bouche d’autrui tous les moments du verbe » (p. 33). Mais il ne s’agit pas de s’en enivrer… Son but est plutôt d’ « accorder sa passion au réveil des mots ». (p. 37)
Le poète n’est pas un plongeur en apnée dans les eaux profondes du sommeil et du rêve mais un être de l’éveil.
La poétique de Jean Métellus, tout en faisant large place au son et aux sens, est avant tout une poésie du sens, une poésie de la conscience.
Cette tendance profonde à l’œuvre dans son écriture se révèle avec une vigueur particulière dans Voix Nègres. Ce livre est un recueil essentiel dans son œuvre. Il l’a plusieurs reprises remanié et réédité, en en modifiant le titre à deux reprises au moins, pour y ajouter d’abord la mention « voix rebelles », (en 2007) puis « voix fraternelles » en 2012 ; ce qui n’a évidemment rien de fortuit.
Le recueil est constitué d’une série de grands poèmes consacrés à quelques-unes des figures essentielles du mouvement d’émancipation des Noirs, comme Martin Luther King, Lumumba, Mumia Abu Jamal ou Nelson Mandela. Et pas seulement des Noirs puisque prend place dans ce Panthéon Ernesto Che Guevara… car le combat pour la liberté des Nègres, ces « damnés de la Terre », rejoint le combat universel contre l’exploitation et l’oppression et l’un ne peut aller sans l’autre.
Certains parleront de manichéisme… C’est d’ailleurs ce qu’a fait le journaliste du Monde au moment de son décès, dans un article par ailleurs tout à fait élogieux. Mais le naturel est difficile à chasser… « Manichéisme », c’est toujours le reproche que l’on fait (parfois même sur le mode affectueux et un peu condescendant) à l’écrivain et au poète qui a clairement choisi son camp et a pris parti pour le peuple.
Or Jean Métellus était de ceux-là. Il n’a jamais oublié d’où il venait et pour qui il écrivait. Médecin et écrivain, il avait recours à la parole, « recours au poème », pour guérir. Aider l’enfant dislexique, l’individu en proie à l’aphasie… aider aussi les peuples, l’humanité privée du droit à la parole. Plus qu’une arme, la parole poétique est chez lui parole-médecine.
Et c’est pour cela qu’il ne recule pas, dans ce livre, Voix nègres, devant les exigences de la poésie didactique, aujourd’hui si décriée (mais que pour ma part j’ai aussi essayé de pratiquer dans Cause commune). Car celui qui ne cesse d’apprendre, ne doit pas craindre d’enseigner.
Ce besoin de dire (tout à fait à contre-sens d’une certaine idéologie poétique toujours dominante en France selon laquelle le poète ne doit pas « dire », mais au mieux « être dit » par les mots eux-mêmes) pousse, comme naturellement, à innover et à transgresser les formes.
Ainsi, dans Voix nègres, Jean Métellus bouscule-t-il la séparation habituelle entre poésie et récit, vers et prose ; un peu comme l’avait fait Nazim Hikmet, dans Paysages humains quand il avait entrepris d’écrire l’épopée du peuple turc.
Dans le poème, sans négliger le rôle que peut jouer à certains moments l’image, Métellus n’hésite pas à donner à son lecteur toutes les informations factuelles historiques et biographiques nécessaires à la peinture du portrait de ses héros, sans craindre le prosaïsme mais en l’utilisant pour en nourrir son chant. Il renoue ainsi avec la poésie narrative et historique. Et, ce faisant, je pense qu’il ouvre une voie féconde permettant que la poésie reprenne utilité et vigueur ; et qu’elle retrouve du coup un public élargi. C’est d’ailleurs sans doute la raison pour laquelle de jeunes slameurs et rapeurs s’intéressent à son écriture.
Pour conclure, je dirais que tant du point de vue de la forme que du fond (qui, comme on le sait, ne vont guère l’un sans l’autre), Jean Métellus est vraiment un poète progressiste.
Jamais il n’a renoncé à la promesse de la poésie, d’être avant tout « un chant d’amour et d’espérance ».
Herve haiti, Télémaque.
- Jean Métellus, ou le réveil des mots - 5 juillet 2018