Jean Métellus est de ces auteurs-aiguillons qui aident à ne pas avoir trop bonne conscience, ici, de ce côté du Monde. Nous, Occidentaux. Nous, berceau de l’esprit occidental. Nous Lumières mais pas seulement.
Inventeur du four crématoire et des gaz défoliants des bombes atomiques
et des mines antipersonnelles
Tout en proclamant précieuse la vie et sacré l’homme
Jean Métellus nous rappelle nos erreurs, nos crimes et demande de quel droit nous serions guides des autres nations. Il se fait le porte-parole de tous les nègres, qu’ils vivent en Haïti ou à Johannesburg, mais pas seulement, puisqu’il est question aussi du Vietnam, de l’Algérie, du Japon (Hiroshima) et des camps de concentration en Allemagne, en Pologne.
Vêtement luxueux que le costume de Job auprès de ma misère
Jean Métellus veut croire au sursaut des pauvres hères, il annonce des revendications en provenance du continent africain… Et ses textes peuvent aujourd’hui, ici et là, paraître souffrir à la fois de manichéisme et d’angélisme.
Jean Métellus, Voix nègres Voix rebelles Voix fraternelles,
Le Temps des Cerises éditeurs, 2007, réédité en 2012, 147 pages, 10 €.
La résignation a gagné la partie dans nombre de pays où les colons blancs ont été remplacés par des colons noirs. Les textes de Métellus renvoient à un autre temps : celui de l’Apartheid en Afrique du Sud, un temps où la colère grondait dans les townships, un temps où le Ku Klux Klan était menaçant outre-Atlantique et Martin Luther King une raison d’espérer. Un temps où de grands hommes noirs tentaient de changer le cours de l’histoire. La poésie de Métellus a alors une valeur de témoignage. Par exemple ces vers sur Luther King :
En visionnaire il pressent la fin des tourments
Partisan de Jefferson et de ses émules
Pour qui l’immortalité de l’esclavage
Dégradait le maître blanc autant que l’homme noir
Il sait que le pouvoir use ceux qui en abusent
Que les victimes des violences, tous les opprimés
Réussissent toujours par se mettre debout
Que la fleur pillée par l’abeille s’épanouit
Que de grands bouleversements attendent les Noirs
De Harlem, de Brooklyn et de Los Angeles
De l’Amérique toute entière et de l’Afrique
La terre promise est là, à portée de regard
Ceux qui vivent dans la nuit de la désespérance
Voient briller la liberté et la délivrance
Et plus loin :
Adieu fouets, bûchers, ghettos, cabanes et taudis
Adieu passé d’esclaves et de nègres à tout faire
Ce qu’il annonce n’est pas encore advenu. Ou pas partout. Certains pays que l’on estime être des modèles de démocratie, dont on vante le PIB en hausse, etc, proposent encore à la plupart de leurs travailleurs des salaires de misère qui ne permettent pas de vivre. Est-il nécessaire de le rappeler ? Jean Métellus semble croire au Paradis sur terre. Il le situe dans un passé lointain, l’âge d’or :
Redécouvrir l’âge d’or des Incas
L’époque où la terre appartenait à tous
Où le paradis était à portée de main,
ou dans un avenir qu’il espère proche. Il est question souvent de Dieu, de prière et de foi.
Les poèmes sont pleins d’hommes en marche. On croise Louis Armstrong, Steve Biko…
Steve et ses amis secouent le géant noir endormi
Pour le sortir de son engourdissement
Ils le somment de se mettre debout
Le forcent à se dresser de toute sa hauteur
Face à ceux qui veulent le maintenir couché[…]
Le 18 août de l’année 1977
Il est arrêté
En compagnie de son ami Peter Jones
À un barrage de police, près de Grahamstown
Dans l’Est de la province du Cap
Sa mort est programmée
Emprisonné en pleine santé, à l’âge de trente ans
Il est découvert mort, vingt et un jours plus tard
Défiguré, les traits altérés
Les paupières tuméfiéesQuand il est retiré de la chambre froide
Où les médecins légistes l’avait placé
Steve n’est plus qu’une grossière caricature d’être humain[…]
De profundis
Oui, des profondeurs, Steve Biko crie
Et réclame non pas vengeance, mais justice
Justice pour tous les Noirs de la terre
Justic
Exigent ses tempes enfoncées
Ses oreilles mutilées
Ses pommettes fracassées[…]
Depuis la mort de Steve Biko, en 1977, l’histoire et la justice ont-elles fait un bond en avant ou patiné sur place ?
Ici et là, le militantisme prend le pas sur la poésie : il faut, on doit…
La peine de mort, cet assassinat légal
Doit disparaître des sociétés civilisées
Parfois, Jean Métellus se fait pédagogue et le recueil prend des airs de manuel d’histoire.
NELSON MANDELA
Né le 18 juillet 1918
Dans un siècle fiévreux et tumultueux
Terrifiant et scandaleux
Aux frontières du Natal
Le but du poète n’est-il pas alors exclusivement de rendre hommage ? Cela peut lasser, à la longue. Quand la parole se fait trop didactique, il manque au lecteur la musique des mots. Ici par exemple :
Après sa journée de surveill
Mandela doit réviser les cours de Ford Hare
Bien sûr, ceux qui admirent Nelson Mandela seront touchés par certains passages.
Et Mandela au bras de sa première amante, le 10 mai 1945
Entouré de mineurs, d’ouvriers, d’employés de maison
De femmes de toutes catégories
Marche dans Market Street
Et remonte avec l’impressionnant cortège
Vers les quartiers de Hillbrow et de Braamfontein
Qu’il est beau Mandela ce jour-là
À la tête d’un défilé pacifique
D’une manifestation précédée de fanfares
Où une foule joyeuse chante, danse
Exorcisant la crainte de voir voler les bâtons et les balles
Cela rappelle ces merveilleuses images de foules dansant et chantant, le courage qu’il leur a fallu…
Quand il s’éloigne des grandes figures, la parole de Métellus a davantage d’intensité.
L’espoir timide dessine une voie nouvelle
Je remonte le verso de la nuit
Rejoignant le jour qui chemine solitaire
Accordant mon souffle à la clameur de la lumière
À l’orchestre indompté des désirs
- A propos d’Aimé Césaire (1) - 5 juillet 2018
- A Propos d’Aimé Césaire (3) - 5 juillet 2018
- A propos d’Aimé Césaire (2) - 5 juillet 2018
- Jean Métellus, Voix nègres, Voix rebelles, Voix fraternelles - 5 juillet 2018
- Les longs poèmes de Dany LAFERRIÈRE - 5 juillet 2018