Jean-Pierre Denis, Tranquillement inquiet
Après avoir « interpellé » la forêt dans un bel et étonnant ouvrage (Me voici forêt, Le Passeur, 2015), Jean-Pierre Denis dresse ici une forme d’autoportrait d’homme « tranquillement inquiet », bel oxymore pour parler de ses doutes, de ses peurs, du sens qu’il est amené à donner à l’existence, mais aussi pour nous parler de ses rages intimes quand il voit le monde comme il tourne. Car au-delà de l’homme Jean-Pierre Denis (que beaucoup connaissent pour être le directeur de l’information de l’hebdomadaire La Vie), il y a dans ce livre une charge plutôt percutante sur les turpitudes de notre époque. Mais, chaque fois, l’auteur le fait avec cette distance amusée, cette forme d’agacement doux qui lui permet de lancer, d’emblée, à ses lecteurs cet avertissement :
Malgré tout le soin que nous apportons à leur élaboration, ces poèmes peuvent contenir quelques traces d’ironie.
Cet homme « tranquillement inquiet » n’hésite pas, d’abord, à se moquer de lui-même et à révéler ses failles.
Je ne me sens pas de taille
A lutter à mots nusIl me faut des gants
Une cote de mailles.
Il fait aussi cet aveu :
Je redoute mes doutes
Je les vois venir de loin
Ils ont la tête
Des mauvais jours.
Jean-Pierre Denis n’hésite pas à jouer avec les mots pour témoigner (avec humour) de ses tiraillements intimes :
Quand je tombe
Dans l’oreille d’un sourd
Nous nous entendons
Vraiment à merveille.
Ce « moi » qui s’interroge et s’expertise se tourne aussi vers les origines, ce que l’auteur appelle « les racines », dans un chapitre du livre qu’il intitule « Autoportrait en animal besogneux ». Jean-Pierre Denis regarde (mais sans nostalgie) dans le rétroviseur, celui d’un homme dont on sait que la terre pyrénéenne colle toujours aux souliers.
Je demande à mes racines
De me révéler qui je suis
Elles m’expliquent tout au plus
L’humus qui les recouvrent.
Homme des montagnes, et donc « verticaliste », il peut donc tisser la métaphore et affirmer :
Les plaines les sermons
La tyrannie des idées plates
M’est souffrance
Ce qui ronfle et moralise.
Car son regard est acéré sur notre époque. Parfois même abrupt, sans concession. Ainsi sa « visite à la ferme », prend vite des allures de fable ou de parabole et n’est pas faite précisément pour tomber dans l’oreille d’un sourd. Aux vers du poète breton Paol Keineg écrivant « Je renâcle devant le maïs/et les porcheries/elles sont les vraies héritières/de la terreur » (Mauvaises langues, Obsidiane, 2014), répondent comme en écho ces vers de l’homme tranquillement inquiet:
Aliments de langage
Nourriture pour le détail rentable
Poules et dindes porteuses
Vaches et veaux participatifs.
On y décèlera volontiers une féroce charge contre certaines dérives actuelles (ou à venir) visant l’espèce humaine.
Vingt-quatre heures sur vingt-quatre
Le manège tourne sur lui-même
Et la trayeuse automatique soustrait
Ses litres de contribution volontaire.
C’est clair. Sous la plume de Jean-Pierre Denis, le poème ne parle pas pour ne rien dire.