Ce petit livre, dont le premier titre est issu de l’aphorisme 127 de la seconde partie, se présente en deux sections différentes, sur le même sujet : pourquoi la poésie, pourquoi des poètes, qu’est-ce que la poésie, à quoi est-elle utile, en quoi consiste un poème, comment devient-on poète, suffit-il pour l’être d’affirmer qu’on l’est et d’avoir éventuellement fait imprimer une plaquette de vers, etc., etc. ?
Dans la première partie, des pages de prose réflexive s’attachent à exposer le retour d’expérience du poète Jean-Pierre Siméon sur sa propre évolution en poésie et les questions qu’il se pose à ce propos, avec des tentatives de réponses lucides, parfois dubitatives ou hasardées, généralement convaincantes. Ce qui m’a semblé le plus digne d’être médité par tous les apprentis-poètes, dont je suis, c’est le souci qu’a l’auteur de voir la poésie (son exercice, sa présence dans la collectivité, sa place dans la pensée), justifiée. Le point sur lequel notre poète insiste, c’est sur le fait de la relation aux autres qui se manifeste à travers le poème, la publication, le besoin d’expression sociale inhérente à l’acte de publier. Plutôt qu’un mauvais commentaire à ce sujet, je préfère laisser la parole, limpide, à notre auteur : « Que quiconque ait le droit d’écrire des poèmes, voire de s’autoproclamer poète, ne se discute pas. La poésie n’appartient à personne, chacun a droit au risque éventuel du ridicule et finalement les lecteurs et le temps sont des arbitres sûrs. Mon propos ne vise ici qu’à identifier les causes d’un malentendu tenace qui veut que l’intention suffise à faire le poète et fait omettre le forcené travail qu’il faut pour y parvenir. On admet sans discuter qu’un long et exigeant apprentissage soit nécesaire pour se revendiquer chorégraphe, comédien, compositeur ou cinéaste, mais tout se passe comme si cette contrainte ne valait pas pour la poésie. » J’arrête ici car bien sûr je ne veux pas déflorer la suite. Il faut se plonger dans le point de vue passionnant de l’auteur sur le désir, sur le rythme dans le vers, sur le rapport de la voix du poète à la langue, sur la gestion de la « situation poétique » — j’en parlais à l’instant — par rapport à la société. Je crois que quiconque lit des poèmes, et davantage encore, quiconque aura entrepris d’en écrire — ce « chemin de vie » dont parle Siméon — tirera bénéfice à lire cet essai simple et franc autour des questions essentielle qu’on peut se poser à propos de l’affaire de la Poésie.
Jean-Pierre SIMÉON – La flaque qui brille au retrait de la mer, suivi de Matière à réflexion, Editions Project’îles, 80 pp., 14 €.
De l’analyse de son élan de jeunesse vers le poème, jusqu’à celle d’un parcours de vie de bientôt trois quarts de siècle, avec les enseignements qu’un constant souci de la poésie a pu lui apporter, ces pages concentrées d’un auteur à l’oeuvre abondante et largement reconnue (sans pour autant qu’elle l’ait poussé à délaisser une saine humilité), méritent la plus intime attention. Il est probable que la majorité des poètes de notre temps s’y reconnaîtraient, et que ces pages peuvent constituer un sain garde-fou, si l’on me passe l’expression, pour de futurs écrivains que tente la poésie.
La seconde section de l’essai rassemble 152 aphorismes que Jean-Pierre Siméon a rassemblés sous le titre « Matière à réflexion ». Et cette matière est d’une évidence assez foudroyante par les observations brèves qu’elle énonce, j’en cueille quelques-unes, mais toutes méritent réflexion précisément : 1. Mieux vaut un poème sans poète qu’un poète sans poème. 3. Vouloir être poète pour être connu, c’est partir en randonnée avec des tongs. 10. Il arrive que pour un vers, un poème, un recueil, le poète ait eu l’oreille absolue. Pour le lecteur, ça saute aux yeux. 18.Ne jamais douter de la poésie, mais de son poème, oui, toujours. 33. Le dessus des mots fascine mais c’est toujours dessous que ça se passe. 34. Poème : tissage, métissage. Surtout pas broderie. 60. Usage des adjectifs : pas comme des briques, comme des vitres. 64. La poésie est très précisément matière à réflexion. Elle nous réfléchit autant que nous la réfléchissons. 89. La poésie peut penser bien sûr mais il faut que cette pensée ait du vent dans les cheveux. 110. Pas de poème sans un « je » fut-il fantôme. Le moindre choix énonce un affect, une pensée, une humeur. Voire une insuffisance cardiaque. 136. Il arrive que des poèmes obscurs soient éclairants – mais jamais ceux obscurcis à dessein. 142. Le mauvais poète est celui qui préfère sa poésie à toutes les autres. 152. Aucun poème au monde ne serait justifié si la poésie n’était pas le sens ultime du devenir humain.
Si je cite de larges éclats de cette « matière », ce n’est pas que j’aie sélectionné le plus intéressant, seulement voulu montrer l’éventail des intérêts et, autour de la question poétique la diversité des questions qui se posent à un poète de long cheminement, qui en ce mince livre s’est appliqué avec bonheur à offrir un condensé transparent de son expérience. Il est des poètes qui s’expliquent, d’autres qui soit ne le veulent pas pour des raisons qui leur appartiennent, par exemple désir (suspect) d’entretenir un certain mythe, soit ne le peuvent simplement pas. Jean-Pierre Siméon fait ici partie de ceux qui mettent cartes sur table, même si certaines d’entre elles, précisément pour des raisons qui tiennent à l’essence de la poésie, nous interrogent à la manière de ces lames du Tarot dont on n’a jamais le sentiment d’avoir épuisé leur réserve de significations !
Présentation de l’auteur
- La poésie à vivre – Édition de jean-Pierre Siméon - 21 juin 2023
- Jean-Pierre Siméon, La flaque qui brille au retrait de la mer, suivi de Matière à réflexion - 21 mai 2023
- Paul Mathieu, D’abord un peu de jour - 5 février 2023
- Olivier Barbarant, Séculaires, Poèmes - 21 octobre 2022
- Zéno Bianu, L’Éloge du Bleu - 6 novembre 2020
- Paul Valet, La parole qui me porte et autres - 19 septembre 2020
- Luis De GÓNGORA, Fable de Polyphème et Galatée - 6 juillet 2019
- Marilyne BERTONCINI, Mémoire vive des replis, Sable - 4 juin 2019
- Aragon, La Grande Gaieté, suivi de Tout ne finit pas par des chansons, Michel Dunand, Au fil du labyrinthe ensoleillé - 4 juin 2019
- Joël Bastard, Entre deux livres, François Cheng, Enfin le royaume, quatrains, Jacques Ancet, Image et récit de l’arbre et des saisons - 3 mars 2019
- Adonis : Lexique amoureux - 5 décembre 2018
- Joël Bastard, Des lézards, des liqueurs - 3 décembre 2018
- “Alcools”, et les “Lettres à Guillaume” - 5 novembre 2018
- Éric CHASSEFIÈRE, Échos du vent à ma fenêtre - 5 novembre 2018
- Claude Raucy, Sans équipage - 4 septembre 2018
- Vénus Khoury-Gata – Gens de l’eau - 3 juin 2018
- Gwen Garnier-Duguy – Alphabétique d’aujourd’hui - 3 juin 2018
- Les cahiers de PAUL VALÉRY - 6 avril 2018
- Jean-Pierre Siméon, Lettre à la femme aimée au sujet de la mort et autres poèmes - 26 janvier 2018
- NIMROD, J’aurais un royaume en bois flotté - 19 octobre 2017
- Fil de lecture autour de Patrick CARRÉ et Zéno BIANU, Patricia CASTEX-MENIER - 2 septembre 2017
- Arthur RIMBAUD Paul VERLAINE, Un concert d’enfers - 20 mai 2017
- Jacques Ancet, Les livres et la vie - 4 octobre 2015
- Pour Joë Bousquet (suite 1 ) - 1 février 2015
- Odysseas Elytis - 19 novembre 2013
- J. Ancet, Ode au recommencement - 2 juin 2013