Jean Prod’hom, Novembre
La vie continuait, se faisait et se défaisait et essaimait.
Novembre, page 236
Transmission, continuité et retrait, ces trois mots pourraient être à l’origine de l’écriture de Novembre, un livre de plein air écrit par Jean Prod’hom, texte nomade qu’on peut emporter avec soi pour le lire dehors, là où l’extérieur traverse l’écriture et rejoint l’intime. Les photographies ponctuent le voyage, alimentent la rêverie, éveillent la curiosité.
Jean Prod’hom ,Novembre, éditions d’autre part, Genève, Suisse, Novembre 2018, 25 euros
Le lecteur suit les différentes étapes d’un voyage initiatique, non plus celui d’un jeune homme au seuil d’une nouvelle vie, mais d’un homme en retrait qui se retrouve face à un moment important de son existence : « Je n’ai donc pas pris la direction du sud où l’homme rêve son avenir (…) mais une fois encore de ces terres du Nord que les hommes ont trop souvent désertées, là où le présent bégaie, l’avenir hésite et le passé s’attarde… ». Sur sa route, il rencontre, non seulement hommes et bêtes, mais aussi des pierres comme autant de repères plus solides que le temps et l’espace. Dans sa traversée, Jean Prod’hom note ce qui a contribué à la transformation du paysage, pour le pire ou le meilleur et comment l’industrie ou la canalisation des eaux de l’Aar l’ont modifié voire altéré, et dit ses inquiétudes et ses espoirs liés à l’état du monde naturel et aux menaces touchant sa conservation.
Le lecteur retrouve ce qu’il avait aimé dans les précédents livres de Jean Prod’hom, les connaissances artistiques, scientifiques et historiques utilisées de manière très personnelle et sensible, les croisements entre le réel et l’imaginaire, la marche solitaire qui fait advenir la pensée. Ce sont les hommes et leurs travaux, les oiseaux, un renard, le présent devenant le passé qui nourrissent le regard. Un ami du narrateur est en train de mourir, la marche de Jean sera cette boucle pendant laquelle il ira à la rencontre des Trois-Lacs et de leur conversion, liant à la fois des événements historiques ou personnels comme la mort de sa mère, au présent de ce qui l’entoure et à l’agonie de son vieil ami jusqu’à l’annonce de sa mort, qu’il apprend avec un jour de retard dans un message : « Avec, au milieu, en son axe, un mot dur, nu, minéral, aveuglant, mais qui libérait en même temps quelque chose de vivant autour de lui et de moi, rétablissant un circuit qui avait été interrompu et relançant ce que cet événement différé avait suspendu. »
Le marcheur de Novembre s’en va tout seul vers le lieu qu’il s’est fixé comme point d’arrivée. En lui les interrogations se bousculent et les réponses viennent peu à peu, données par les rencontres et les lieux. Le lecteur se dit que ce voyage solitaire est à sa portée, une initiation à la mesure de ses pas dans cette partie de Suisse romande semblable à un petit pays inclus dans un plus vaste, pour peu que lui aussi sente la nécessité de ce retrait.
Après la mort de son ami, à la fin de son voyage (et du livre), le marcheur se découvre encore plus seul et sans protection contre la disparition, et son salut, il doit le découvrir par lui-même:
J’étais seul désormais dans l’impossibilité de faire appel à lui, face à une étendue qu’une vague immense avait submergée avant de se retirer, une étendue lavée à grandes eaux, ravalée, recouverte de bois et de prés, peuplée de bêtes et d’hommes et ouverte au ciel.
Que le temps soit déplié comme un éventail, voilà ce que le marcheur découvre avec la mort de son vieil ami et la fin du voyage. Jean Prod’hom cite Walser s’adressant à un bloc de granit :
Tu ne connais aucune faiblesse. L’impatience t’est étrangère. Nulle pensée ne t’émeut et nulle sensation ne peut te pénétrer. Et pourtant tu vis. Tu es vivant, tu mènes ton existence pétrifiée. Dis-moi, vis-tu ?
Dans les dernières pages, Jean Prod’hom évoque un tableau réalisé en 1420. Son évocation constitue une sorte de clé pour le lecteur. Le voyage fini, de retour au Riau, l’écrivain tient entre ses mains la carte postale que lui a laissée son ami S. tel un testament amical. La Madone aux fraisiers. L’enfant et sa mère. La mère tient un livre et tend à l’enfant une fleur. La mère a foi en son fils. À elle la rose, à lui le vase, écrit Jean Prod’hom. Tout continue et se poursuit.
Il s’agit bien d’un livre de sagesse, un livre où la marche marque le temps et ponctue l’espace. Jean Prod’hom fait part d’une expérience humaine riche de prolongements. Un livre à parcourir et où revenir. Tel un pays à soi, à portée de main, à emporter sur le chemin pour trouver comment revenir à la maison.