C’est un émouvant recueil que nous livre Jean-Watson Charles, long poème dédié à Magloire Saint-Aude et à la mère « ses yeux d’eau et d’océan », préfacé par Arnaud Delcorte sous le beau titre de « L’au-delà de la mer », dans laquelle est rappelé en exergue un des plus beaux poèmes de ce recueil intitulé Plus loin qu’ailleurs, et qui signe d’emblée la thématique de l’exil et son motif principal « la mer » :
J’ai fini par comprendre
Que ton cœur qui saigne
N’est que ce lambeau de terre
Livré à la mer
Et depuis j’ai jeté mon regard
Comme en écho
La mer que tu adorais tant et qui fut la dérive
De nos peuples
De toutes nos souffrances
Car ce grand soleil
Que tu portes en toi
Est la brèche de nos souvenirs
Et de nos errements.
Jean-Watson Charles, Plus loin
qu’ailleurs, Editions Ruptures, 2013.
La mer comme une page balayée par le souffle des vents, ceux de l’exil intérieur douloureux et pénétrant, au rythme envoûtant des vagues qui cernent l’île et la bercent.
Longue prière de l’exilé, à la mémoire des hommes, à l’île aimée, cette terre « linceul », à l’aimée qui soutient sa parole et son cœur et l’entraîne dans sa tendresse, à la mère peut-être laissée sur l’autre rive, en quittant sa terre : « je ne reverrai plus mon pays », ce pays qu’il tient dans ses mains, sous sa plume, et dans son cœur, jamais loin, sinon par l’éloignement physique. Dans cette distance entre elle et lui, il y a toute cette eau mouvante qui se fond et se confond dans l’âme, donnant au poème sa coloration onirique et troublante, entre errance et solitude, la sienne et celle de tous les hommes quand
chaque île est un cri obsédant
dans la mémoire d’un peuple.
A la mer qu’il emporte dans son corps comme sa mère l’a porté et qui se confondent au fil des mots et de l’eau avec les larmes et le sel, « au cœur du monde j’ai effleuré toutes les portes de l’exil », les regrets de l’homme exilé sont mêlés de tristesse et de souvenirs évanescents et fragiles :
…je marche dangereusement
A la cueillette des étoiles.
Nous
qui avons fait la route
Que nous reste-t-il
La nuit marâtre
nos cœurs blessés
La mer qui rêve d’odeur
Que nous reste-t-il
Nous
Déchus.
Est-ce la mer qu’il tutoie ? Et qu’il aime comme une femme ?
Ta voix berçant le loas de ma ville
Toutes les sources ont repris
le refrain des damnés
Et les champs épousent la courbe
De tes yeux sous marins.
ou comme une mère ?
Nous sommes des fils
que la terre a oubliés.
A la fureur des vagues, force toute puissante et mystérieuse qui ballotte son cœur-coquillage dans sa poitrine, le poète dit :
Je viens d’un pays
Où l’ici est ailleurs
Où chaque homme porte en soi
la mémoire d’une île.
Douceur et sensibilité pour ce texte dont Arnaud Delcorte souligne le « lyrisme réaliste », voire le romantisme, et profondeur signifiante dans le questionnement existentiel et humble, quand le poète invite à se laisser porter dans « ce grand désordre » et que, « dans une parole qui chemine », chaque mot nous berce avec douceur, au rythme des ressacs, s’échouant comme fétus de paille expulsés sur les rivages du monde. « Je t’écrirai la mer les caraïbes/Aux yeux de chacals »
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