Jean-Yves André, Jacques Poullaouec, Femmes de pierre

Par |2025-01-06T16:11:08+01:00 6 janvier 2025|Catégories : Critiques, Jacques Poullaouec|

Qui sont ces femmes de pierre « cro­quées » par l’artiste Jean-Yves André et le poète Jacques Poul­laouec ? Elles sor­tent de la stat­u­aire religieuse bre­tonne. Femmes de pierre pro­fondé­ment sen­suelles, exhibant le plus sou­vent leur nudité. Avec, en toile de fond, l’image de la femme pécher­esse et ten­ta­trice véhiculée par la reli­gion chré­ti­enne. Aujourd’hui, un poète leur redonne vie avec la com­plic­ité d’un dessinateur.

« Je suis une femme de pierre, / ni pétri­fiée ni lapidée. / Je ne sais qui m’a don­né ce vis­age. / Vous tournez autour de moi. / Vous me voyez, me regardez-vous ? / Si vous me regardiez, vous m’entendriez/chuchoter quelques mots sans âge », écrit Jacques Poul­laouec à la vue de cette femme de pierre dans le porche sud de l’église de Landivisiau.

« J’ai opté pour une con­ver­sa­tion silen­cieuse avec ces femmes de pierre, un dia­logue  au-delà du vis­i­ble », souligne le poète. Il a égale­ment con­vo­qué des grands noms de notre  lit­téra­ture (Vil­lon, Hugo, Baude­laire, Rim­baud, Claudel, Mal­raux …)  pour situer ce livre dans une optique lit­téraire qui, selon lui, « dépasse le sim­ple aspect artis­tique ou his­torique de la stat­u­aire ». Ain­si, faisant référence à François Vil­lon, il écrit pour accom­pa­g­n­er ce vis­age de femme sur le bap­tistère de Plougas­nou : « Quels rêve sous ses paupières ? / Pies et cor­beaux leur ont les yeux cavés (Vil­lon) / Faut-il la réveiller ? ».

Jean-Yves André et Jacques Poul­laouec, Femmes de pierre, Géo­ra­ma, 96 pages, 18 euros.

Voici en tout cas des femmes démons, des femmes sirènes, des femmes ser­pents ou encore des femmes oiseaux. Et même, comme l’écrit Jacques Poul­laouec, « des sirènes lèche-culs, sodomistes, onanistes ». Elles ont été inscrites dans la pierre sous l’Ancien régime, au cœur des enc­los parois­si­aux bre­tons, à une époque où « l’anatomie et la reli­gion fai­saient bon ménage », note le poète. Au fond, voici « la scat­olo­gie au ser­vice de l’eschatologie ». Car, qu’on ne s’y trompe pas, il s’agissait bien pour l’Eglise catholique (notam­ment celle de la post-Réforme) d’asséner que la lux­u­re était bien, souligne Poul­laouec, « le péché cap­i­tal qui menait à l’enfer » et de martel­er qu’au début de la grande his­toire de l’humanité, il y avait la ten­ta­trice du Jardin d’Eden. La voilà donc, à Gui­m­il­i­au, représen­tée par un ser­pent à tête de femme.

Le poète réserve un sort par­ti­c­uli­er à celle que l’on appelait Katell Gol­let (Cather­ine la damnée) en lui con­sacrant deux poèmes. « Ta danse s’arrête là/dans les flammes de gran­it. / La danse était ton par­adis / ton enfer sera froid comme la pierre // Trois cav­a­liers à la gueule d’Enfer / Trois dia­bles arrêteront tes pas / Trois démons te mèneront au tré­pas // tu avais à peine 15 ans / quand tu te mis à danser / tu courais comme une biche / quand on a 15 ans on aime / à courir le galant ».

Mais, un peu para­doxale­ment, ces femmes de pierre qu’ont si amoureuse­ment approchées l’artiste Jean-Yves André et le poète Jacques Poul­laouec, « s’exhibent sans être exhi­bi­tion­nistes ». Il peut même arriv­er que « leurs bouch­es susurrent les voix du silence » ou que leur beauté éclate à l’image de cette femme en gran­it du porche sud de Gui­m­il­i­au. « La Joconde n’est pas si loin », note le poète. A ces femmes de pierre « figées » et « affligées », « pris­on­nières de la pierre, habil­lées de lichen », Jacques Poul­laouec con­sacre, en défini­tive, un grand poème d’amour. Et il pose la ques­tion : « Com­ment vous libérer ? »

                                                                                                        

Présentation de l’auteur

Jacques Poullaouec

Jacques Poul­laouec est orig­i­naire de Lesn­even. Après avoir enseigné les let­tres, il se con­sacre aujour­d’hui à la gravure et à l’écri­t­ure poé­tique. Il laisse ici aller ses rêves aux vents d’Ouessant.

Bibliographie 

  • Haïku des qua­tre élé­ments (La Part Com­mune, 2006)
  • Haïku des pier­res (Apogée, 2006)
  • Haiku du chat (La Part Com­mune, 2005)

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Pierre Tanguy

Pierre Tan­guy est orig­i­naire de Lesn­even dans le Nord-Fin­istère. Ecrivain et jour­nal­iste, il partage sa vie entre Quim­per et Rennes. En 2012, il a obtenu, pour l’ensemble de son œuvre, le prix de poésie attribué par l’Académie lit­téraire de Bre­tagne et des Pays de la Loire. Ses recueils ont, pour la plu­part, été pub­liés aux édi­tions ren­nais­es La Part com­mune. Citons notam­ment “Haïku du chemin en Bre­tagne intérieure” (2002, réédi­tion 2008), “Let­tre à une moni­ale” (2005), “Que la terre te soit légère” (2008), “Fou de Marie” (2009). Dernière paru­tion : “Les heures lentes” (2012), Silence hôpi­tal, Edi­tions La Part com­mune (2017). Ter­res natales (La Part Com­mune, 2022) Voir la fiche d’auteur

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