Jeanne davy, miroir des femmes du jazz
Jeanne davy photographie depuis des décennies des femmes, mais pas n'importe lesquelles : elle couvre les festivals de jazz et fait des portraits des rares musiciennes qui ont réussi à se faire une place dans ce milieu essentiellement masculin. Elle témoigne au fil des années de l'évolution du parcours de celles qui ont dû s'imposer pour avoir le droit d'exister.
"Je suis le jazz photographiquement et musicalement depuis 30 ans. Malheureusement force est de constater qu'on ne voyait pas de femme musicienne, c’était presque exceptionnel. Rares aussi étaient les chanteuses. Il n'y avait que quelques femmes. On avait Dee Dee Bridgewater par exemple (juste interprète), et aussi Carla Bley (musicienne et compositrice) que nous devons considérer comme des cas exceptionnels dans le monde du jazz".
Dee Dee Bridgewater, © Jeanne Davy.
Clara Bley, 2010, © Jeanne Davy.
"Si on était femme on était chanteuse dans le jazz, on n’était pas musicienne et encore moins compositrice." Malgré ces difficultés dues à un sexisme forcené et certainement à un accès peu facilité à la musique pour celles qui autrefois et aujourd'hui encore dans nombre de pays sont destinées à être celles qui gèrent le foyer et élèvent les enfants, quelques rares femmes ont réussi à ouvrir la voie aux autres.
Parmi celles-ci Clara Bley a réussi à s'imposer dans un univers totalement masculin. Elle a "été ambassadrice dans ce domaine de la création, car c'est une musicienne complète et une compositrice accomplie". Pianiste, compositrice, chef d'orchestre de jazz, c'est une figure importante du Free jazz des années 60. Elle est connue pour son opéra Escalator over the Hill et pour ses compositions reprises par de nombreux artistes.
Anna Carla Maza, 2016, © Jeanne Davy.
Imany, © Jeanne Davy.
Le sort réservé aux femmes n'était guère plus enviable dans le milieu de la musique classique. Jeanne Davy a travaillé comme photographe d'événements tels que le concours Yehudi Menuhin ou bien le concours Rostropovitch, et a constaté qu'aucune femme ne faisait partie des jurys, encore moins des lauréats. Dans les années 80/90, "on disait les "Maîtres", il n'y avait et il n'y a toujours pas de féminin, ou alors on peut essayer de dire maîtresse, ce qui n'est pas du tout la même chose, c'est tout de suite connoté".
Jeanne Davy a tout de même vu la situation des femmes s'améliorer. A côté de Clara Bley, elle évoque Hélène Labarrière, qui elle aussi a réussi à s'imposer dans le domaine du jazz et de la musique improvisée grâce à son talent.
Quelques rares musiciennes accomplies ont ouvert la voie, et la photographe constate qu'aujourd'hui on a moins besoin de s’imposer. "Le jazz a rajeuni, il y a des musiciens qui ont travaillé avec des chanteuses et qui connaissent les voix ou les musiciennes actuelles. Il y des ateliers et des écoles et cela n’est plus réservé aux hommes donc dans les années à venir il y aura autant de femmes que d’hommes dans le monde du jazz".
China Moses en 2009, © Jeanne Davy.
"C’est toujours plus difficile pour une femme de se consacrer totalement à la musique. Les contraintes de la vie qui pesaient autrefois sur les femmes restent inchangées, on les cloisonnait dans le rôle de la responsable de la famille et c’était beaucoup plus difficile d’imaginer qu’elle puisse partir en tournée ou même créer".
Les Victoires du jazz, qui sont des récompenses musicales françaises décernées chaque année à des artistes du monde du jazz, couronnent majoritairement des hommes. On peut même dire quasiment que des hommes, excepté pour la section "Artiste ou formation vocale française ou de production française de l'année". Les femmes continuent donc à être admises dans la section "chanteuse". Pour le reste, le prix Franck Ténot, sous catégorie des Victoires du jazz qui distingue la révélation jazz française de l'année, il y a eu Géraldine Laurent en 2008, Anne Paceo en 2011, Sandra Nkaké en 2012, et Arielle Besson en 2015, pour un prix décerné depuis 1996. Que penser de la catégorie "Artiste ou formation instrumentale française de l'année" ? Depuis 1996, une seule femme a été couronnée, deux fois d'ailleurs, et il s'agit de la toute jeune batteuse Anne Paceo.
La jeune batteuse de jazz Anne Paceo, France 24.
C'est donc un univers où être femme et musicienne de jazz semble être compliqué. Un domaine où les femmes sont encore très peu nombreuses, reconnaît la trompettiste Airelle Besson, "et souvent, on nous met en avant à travers le fait d’être femmes. C’est difficile pour moi à comprendre et à expliquer. J’étais la seule fille dans la classe de jazz au Conservatoire comme dans les big bands que j’ai intégrés. Et quand j’ai suivi une formation de chef d’orchestre, j’étais encore la seule femme.”1
Anne Paceo, © Jeanne Davy.
Arielle Besson, © Jeanne Davy.
Malgré tout Jeanne Davy qui couvre les festivals de Jazz de Junas ou de Vauvert constate que la scène est plus ouverte aux femmes, même si les instances qui régissent certaines récompenses ne suivent pas cette évolution : "Maintenant il y a des femmes jeunes qui s’imposent, il n'y qu'à voir le programme du festivals de jazz de Junas ou de Vauvert. Les dernières scènes en 2019 on permis de belles découvertes et ont offert à pas mal de femmes talentueuses de révéler leur existence".
Isabelle Olivier, © Jeanne Davy.
Yuko Oshima, © Jeanne Davy.
Cette tendance est également celle des festivals de jazz internationaux. Il reste à espérer que ces femmes musiciennes et/ou compositrices soient admises et reconnues partout et par tout le monde, y compris par les instances gestionnaires des prix et récompenses. Il est à souhaiter que la musique soit le seul critère qui préside à ceci, le respect et l'admiration que l'on doit à toute personne homme ou femme qui maîtrise une discipline, la fait sienne et en restitue la quintessence.
Notes
- Où sont les femmes dans le jazz, les Inrockuptibles, https://www.lesinrocks.com/2017/11/29/musique/musique/ou-sont-les-femmes-dans-le-jazz/
Image de une : Sandra Nkaké © Jeanne Davy.
Jeanne Davy est photographe indépendante ce qui lui permet de fréquenter de nombreux festivals de jazz (Paris, Banlieue bleues en Seine-Saint-Denis, Vienne, Montreux, Junas, Vauvert...). Elle accompagnera le batteur Max Roach pendant des années sur ses tournées européennes. Dans le même temps, elle collabore avec la BNF pour la construction des archives du festival d'Avignon (maison jean Vilar). On retrouve également nombre de ses photographies dans la presse et les revues culturelles (Le Comtadin, Calades, Avant-scène théâtre, A Propos...).
Pendant 15 ans elle sera photographe du service culturel du conseil départemental du Gard. Elle couvrira des manifestations culturelles telles que le festival de Barjac, Contes en ballades, les Transes cévenoles, festivals Blues de Bagnols-sur-Cèze... Elle est l'auteure/photographe de la première et de la dernière édition du catalogue des Arts sacrés du Musée de Pont Saint esprit. Elle participera à de nombreuses expositions collectives mais aussi en tant que véritable artiste elle sera exposée dans de nombreux lieux.