Nos lecteurs connaissent ce poète français adepte du bouddhisme tibétain 1. Son précédent recueil, Présence des fougères, était déjà placé sous le signe du végétal. Une préface de Bernard Grasset introduit à cette nouvelle méditation, dont les dessins dynamiques et aérés de Gérard Haton-Gauthier amplifient les résonances.
Une voix, dont les nombreuses pauses disent la retenue amicale, se sert de la paire symbolique du titre – obstacle et ouverture, défense et paix, blessure et perfection — comme d’une clé générale : tout est là /dans le cœur /l’épine et la fleur ; tout est épine et fleur. Elle revient plus d’une fois à ces vers et reprend ses volutes autour des dualités – naissance et mort, corps et esprit, matière et antimatière, homme-épine et homme-fleur –, les explorant, les questionnant, les dépassant dans l’union des contraires.
Loin de désincarner le monde, la contemplation en approfondit la présence. L’expression nature illusoire des choses désigne leur impermanence et leur insertion dans une trame mouvante dont bien des dimensions nous échappent complètement : ici et partout /palpite la terre /vibrante et vivante.
Nommant avec tendresse les fleurs et les animaux de son coin de Vendée, ce territoire de vieilles landes, l’auteur les fait exister intensément ; les pierres aussi sont là et tiennent une conversation minérale /quasi silencieuse.
Jigmé Thrinlé Gyatso, L’épine et la fleur , Éditions de l’Astronome – 2018, 79 pages, 9 €
Il n’y a donc, malgré la répétition du mot dans les derniers vers, aucun secret, juste une façon de nommer cette évidence insaisissable qui précède toute catégorie : « le réel échappe aux cheminements de la pensée » /enseigne le sage ; et Milarépa, cité dans une notice, énonce le même constat : « Je suis un yogi sans opinions ». Telle est l’expérience directe où l’on peut vivre chaque instant /tel qu’il est.
Un vers du mouvement final évoque les attentats assassins des ego explosifs, et L’épine et la fleur est suivi d’un poème sans prétention écrit après les évènements de janvier 2015. Sans les exclure de sa compassion, le poète met les terroristes en face de chacune de leurs victimes, et de leur vision idolâtre d’un « divin » fabriqué à l’image étriquée d’un neurone non-miroir.
Inlassablement, il invite à cultiver ce que Fabrice Midal a défini comme « le plus haut désir qui nous habite, le désir d’éveil, de liberté, de tendresse et d’amour 2 ». Comme le suggère la phrase d’Hölderlin en exergue, son développement correspond à la passe ultra-critique où est engagée l’humanité. Lecteur, sois concentré en un point /comme l’épine /ouvert au firmament /comme la fleur.
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Notes :
1. Outre le recueil cité, Jigmé Thrinlé Gyatso a publié Silencieux arpèges, Lumineux arpèges, Vibrants arpèges, Extrêmes saisons, auxquels il faut ajouter L’oiseau rouge et autres écrits bouddhiques, Le jardin de Mila, Le doigt qui montre la Voie, et un roman jeunesse, Le dragon des neiges et la montagne d’or, tous aux Éditions de l’Astronome.
2. Fabrice Midal, 52 poèmes d’Occident pour apprendre à s’émerveiller.
Présentation de l’auteur
- Jigmé Thrinlé Gyatso, L’épine et la fleur - 4 mai 2019
- Marie-Françoise Ghesquier, De tout bois si - 5 octobre 2018
- Franck VENAILLE, Requiem de guerre - 4 septembre 2018
- Marie-Françoise Ghesquier, De tout bois si - 3 juin 2018
- Annie Wallois, Versets de la marche - 3 juin 2018
- Pierre Warrant, Confidences de l’eau - 6 avril 2018
- Jacques Goorma, Tentatives - 5 décembre 2017