Joao Luis Barreto Guimaraes, Méditerranée
Sans doute parce que je le considère comme étant le romancier le plus fondamental parmi les vivants, je me suis souvent demandé comment j’aurai osé écrire de la poésie si j’avais vu le jour au pays d’Antonio Lobo Antunes. Je n’ai pas de réponse à cette absurde question.
Aussi ce n’est pas sans une certaine appréhension que je me lance dans la lecture d’un recueil traduit du portugais. Le front plissé, le regard légèrement de biais, j’avance à tâtons, un pied, puis un autre comme dans l’eau froide d’une rivière, prêt à ressortir sitôt que… Et d’un coup je plonge. En l’occurrence dans la Méditerranée de Joao Luis Berreto Guimaraes. Et n’en ressors que parvenu sur l’autre rive, riche de courants multiples, parfois contraires, qui m’ont modifié. Riche mais humble devant le miracle de la découverte : Le sacré c’est d’être capable de voir / mais de vite baisser le regard - / tel le coquelicot blessé qui des heures après avoir été recueilli se / rend en s’inclinant devant le mystère / du monde. La justesse, la beauté de certaines images le doivent aussi à ce rythme tout en déséquilibre, presque syncopé, qui fait avancer, avancer le lecteur - s’il s’arrête, c’est la chute dans son propre silence.
La poésie de Guimaraes n’est pas une « poésie de voyage », c’est un voyage en soi. Et tout au bout, rien ne finit, tout recommence : Pour certains la / fin de la terre est à coup sûr / la fin du monde. Pour d’autres la / fin du monde est / le commencement du voyage. Et c’est, à chaque poème, le grand départ, toujours recommencé. Egypte, Grèce, Italie, Espagne Maroc, Ulysse, Phoebus , statues auxquelles il manque des morceaux (le poète s’interroge plus loin : où nous attendent-ils ?), Titus, Nabuchodonosor, Auschwitz. Le temps, l’espace, c’est de la langue. Et par la langue le poème n’habille pas, il met nu.
Joao Luis Barreto Guimaraes, Méditerranée, fédérop, collection Paul Froment, édition bilingue, 2019, 117 pages, 14 €.
L’impression parfois d’une poésie savante (Camoëns oblige !), parfois tout près de nos pieds : Je n’aime pas demander un Coca-Cola et entendre : / « Un Pepsi ça ira ? ». Il y a du Michaux et du Prévert. Humour et cruauté, légèreté et tragédie. Je préfère les héros sans nom au / nom des grands héros. Ça tombe bien, nous aussi.
Un livre est une maison. Certaines sont ouvertes, certaines sont fermées. Mais toutes nous protègent et doivent nous aimer : Où est-elle la /joie où nous fondions notre maison / (la quête pour fenêtre la tendresse / pour toi) ? Entrez dans celle-là : il y fait chaud et clair.
Et puis la traduction. Ici remarquable, eu égard au tout-venant souvent si pathétique des traductions poétiques. Elle semble coller comme une seconde peau au corps du vers. Ainsi s’ouvre un poème : Dans quelle langue coule un fleuve quand / il traverse la frontière ? La même, bien sûr ! Changez fleuve par poème : la réponse coule d’une même source.