Dès Beule, son pre­mier recueil, il était évi­dent que Joël Bas­tard avait un lan­gage poé­tique orig­i­nal, éton­nant et rare. Les titres qui ont suivi n’ont pas démen­ti cette impres­sion pre­mière. Le poète s’ébat joyeuse­ment, ou sérieuse­ment, ou ironique­ment, tout à tour, au milieu du mer­veilleux chaos de l’univers que ses poèmes nous restituent fidèle­ment, avec l’étrange « logique-illogique » qu’on lui con­naît. D’une cer­taine manière, à la page 133 du livre, dans une sec­tion inti­t­ulées « Gri­gris et fic­tions » il nous décrit à sa façon, c’est à dire avec un humour poé­tique, com­ment « il utilise tou­jours les mêmes ingré­di­ents pour tam­bouiller son plat de résis­tance ». Si l’on con­sid­ère qu’un « beau désor­dre est un effet de l’art », il sera dif­fi­cile au lecteur de trou­ver un plus bel effet de l’art que l’écriture de Joël Bastard.

Joël Bas­tard – Des lézards, des liqueurs , poèmes, Ed. Gallimard, 
NRF, Coll. Blanche, 2018, 176 pages, 18, 50 €.

Non qu’il n’en existe d’égales, certes, mais son art d’écrire est d’une sorte de fonc­tion­nement « har­monique » inim­itable, tout en réso­nances inat­ten­dues, évo­ca­tions sug­ges­tives qui nous ouvrent des espaces insoupçon­nés. Il n’est pas à pro­pre­ment par­ler sur­réal­iste, mais il en a l’audace et la fan­taisie. Il n’est pas philosophe, mais il en a le sérieux et la pro­fondeur, par éclairs, dans la réflex­ion sur la vie que trahissent ses pages, livre après livre. 

Il trans­fig­ure sans cesse le quo­ti­di­en en lui con­ser­vant pour ain­si dire sa « quo­ti­di­en­neté », il débanalise poé­tique­ment son exis­tence sur terre jusque dans les plus infimes détails par­fois, lui qui est ter­rien et capa­ble d’éprouver à l’égard de la nature le « sen­ti­ment du lièvre », puis en retire grâce au lan­gage ce que j’appellerai « l’essence de la banal­i­sa­tion », une parole où de façon indif­féren­ciée s’entrelacent le con­cret et l’abstrait : ce qui se trans­met ain­si au lecteur en est la ver­sion non-naïve mais enchan­tée et exem­plaire d’une exis­tence que la fée de la poésie a touchée de sa baguette. L’esprit qui entre en con­tact avec la vivac­ité de cette écri­t­ure s’en trou­ve inspiré. Et s’il est vrai, comme le dit Joël que « nous n’aurons pas le temps de com­met­tre l’infini », de livre en livre notre poète, à la fois fan­tasque et con­cen­tré, s’attache à com­met­tre des éclairs d’éternité avec un bon­heur auquel sa manière de façon­ner la langue nous per­met de par­ticiper. Je ne puis donc que recom­man­der, en reprenant une for­mule du poète lui-même (page 123 de son recueil, si riche, si « sor­ci­er », si plein d’une inten­tion de partage) : « Prenez cette grâce, elle est seule,/consentante… » 

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Xavier Bordes

Xavier Bor­des, né le 4 juil­let 1944, dans le vil­lage des Arcs en Provence (Var)…

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