« Je ne demeure dans aucun pays propice à la salvation ou à la sauvegarde »
Divagations
Les vingt-sept « Proses » que contient Aux alentours d’un monde approfondissent l’énigme d’une relation à soi-même et à un pays. « Il est temps que nous ressentions en nous-mêmes combien nous sommes seuls, les uns avec les autres, mais debout en quelques confins d’univers, en nous laissant porter jusqu’à l’étrangement de nous-mêmes, sans inquiétude. »
Qu’on ne s’y trompe pas, même si les « confins d’univers » dont parle le poète existent bel et bien, se reconnaissent même, couvrent quelques kilomètres carrés et pourraient s’appeler « Dentelles de Montmirail et alentours », il est ici question de bien autre chose, d’un autre monde à l’intérieur même de celui-ci et permettant seul cet « étrangement », cette mise à distance de soi-même et des choses. Mais ce monde reste mystérieux, inaccessible, on l’approche seulement, on ne séjourne qu’en ses « alentours ». Là, pourtant, au plus près, peut s’entendre la singularité tragique mais tranquille des choses, des êtres, des instants et de soi-même.
Même si certaines proses sont écrites au « nous », la plupart narrent des aventures ou des découvertes personnelles, des avancées en des lieux difficilement civilisables ou qui le furent, des ruines, des vestiges, des traces de chemins, des sentiers de bêtes.
Joël-Claude Meffre, Aux alentours d’un monde, Librairie Editions tituli, 2020, 122 pages, 23 €.
Le texte parle de cela, de ces « malentendus », de ces rendez-vous improbables, inespérés, avec quelque autre chose, d’un autre ordre, qui tarde à venir ou bien est déjà advenu. Du texte suinte une ferveur brisée, un paganisme déçu, la matière est en même temps vivante et morte, quelque chose ne répond plus ; l’ouvrage parle surtout d’absences ou d’absents, le mûrier multi centenaire semble mort, mais « Cette « entrée dans le monde » c’est, pour nous, ici, l’entrée dans la sphère de l’arbre dont on pourrait ressentir avec beaucoup d’attention quelque mouvement de sève pouvant encore circuler au cœur de son bois… ». Comme si quelque chose de vivant allait pouvoir se découvrir dans la mort même de sa souche. Accepter ce mystère ? Ce scandale secret ?
C’est peut-être qu’il s’agit d’entendre le silence d’un monde, d’accueillir son énigme ou son effacement sans vouloir rien conclure ? L’un des textes les plus beaux du recueil parle avec bonheur des hêtres « tels qu’ils sont là », dans les hauteurs et le silence de leur pensée, « en tant que présence accomplie de leur espèce ». Le monde parle en silence, aux marges, encore un peu, comme le poète ; et on aurait presque envie de convoquer Nerval et ses Vers dorés :
Homme, libre penseur ! te crois-tu seul pensant
Dans ce monde où la vie éclate en toute chose ?
Sauf que la vie, dans ce monde-ci, a éclaté depuis longtemps, il n’en reste plus que des fragments… Dans ce pays en voie de disparition, le cimetière lui-même ne dit plus rien, les noms propres n’y évoquant que « l’Oubli. Mot tout rond qui ne désigne autre chose que le moment où l’ombre du temps s’estompe et se rétracte en un point unique. »
Texte profond, secrètement émouvant, essayant de rappeler à la surface, à la mémoire, ces sources oubliées, ces noms inutiles, les bribes de plus en plus ténues « de cette langue subsistante se concentrant parfois en noyaux mémoriels qui hésitent avant de rouler vers le silence. »
Présentation de l’auteur
- Marine Leconte, On n’en taire pas les fantômes - 21 octobre 2024
- Cathy Jurado, Intérieur nuit - 7 juillet 2024
- Cathy Jurado, Intérieur nuit - 6 juin 2024
- Isabelle Lévesque et Sabine Dewulf, Magie renversée - 6 mai 2024
- Tristan Felix, Grimoire des foudres - 12 novembre 2023
- Joël-Claude Meffre, Ma vie animalière suivi de Homme-père/homme de pluie et Souvenir du feu - 21 octobre 2023
- Pierre Perrin, Des jours de pleine terre — Poésie, 1969–2022 - 24 janvier 2023
- Danielle Bassez, Contre-chant - 21 décembre 2022
- Tristan Felix, Les Hauts du Bouc & autres nouvelles - 21 octobre 2022
- Nouveaux délits, Revue de poésie vive, Numéro 72 - 5 septembre 2022
- Revue Mot à Maux Numéro 19 - 2 juillet 2022
- Sylvie Fabre G., Nos voix persistent dans le noir - 20 avril 2022
- Marc Nagels, Sauvages - 5 avril 2022
- Louis Adran, Nu l’été sous les fleurs précédé de Traquée comme jardin - 19 mars 2022
- Revue Mot à Maux Numéro 19 - 1 mars 2022
- Voix d’encre numéro 65 - 1 janvier 2022
- Joël-Claude Meffre, Aux alentours d’un monde - 19 octobre 2021
- Sabine Dewulf et Florence Saint-Roch, Tu dis délivrer la lumière - 6 octobre 2021
- Karina Borowicz, Tomates de septembre - 5 avril 2021
- Marine Gross, Détachant la pénombre - 21 janvier 2021
- Roland Chopard, Parmi les méandres, Cinq méditations d’écriture - 21 décembre 2020
- Gérard Bocholier, J’appelle depuis l’enfance - 6 décembre 2020
- Grégoire Laurent-Huyghues-Beaufond , Chambre avec vues précédé de Arguments pour un graveur (mythographies) - 26 novembre 2020
- Lambert Schlechter, Je n’irai plus jamais à Feodossia, Proseries, Le murmure du monde / 9 - 6 juin 2020
- ( Avant-)dernier cri de Patrick Argenté - 15 octobre 2019