Joëlle Gardes, à la mémoire de A.
Elle a semé au gré des rencontres cinq enfants comme les doigts d’une main
sa main creusée en forme de nid
image de la grand-mère et du grand-père aux six enfants
mais sa main à elle suffit à rassembler à retenir
elle les a sculptés comme la pierre ou le bois qu’elle travaillait
humblement patiemment lentement elle si impatiente excessive et unique
dans sa main ouverte d’impalpables richesses semées aux grands vents de la vie
au vent mauvais de la mort qui arrive
*
Nous avons pris congé un dimanche de printemps maussade doux et triste
et lourd d’attente
l’attente du passage vers la rive indistincte
Deux voix séparées par la distance
loin de leur enfance commune dont une partie va sombrer
séparées par l’anecdote de chemins différents
mais semblables dans la difficulté de la vie quotidienne
l’absence à soi dans les tâches multipliées et une temps trop bref pour arracher à l’anxiété la sérénité d’un retour à soi
Le soir les enfants dorment et ce serait si bon de sculpter les heures de la nuit ou de les écrire
la fatigue les émiette les disperse
un enfant pleure
l’espoir se déchire en une toux sèche
Elles ne se rassemblent que dans la torpeur chaude du grand lit sans homme
Douceur amère du congé
tant de mots retenus
tant de choses sues et partagées
mais jamais dites
jusqu’à cette heure d’acceptation pétales que le vent emportera éphémères morts presqu’aussitôt que nés
Le fil ténu des voix est celui de l’eau sur laquelle glisse la barque vers la rive sableuse sous les saules
Murmure des voix que l’imminence noue
par-dessous l’épaisseur de que l’on a vécu de ce qui restait à vivre de ce qui aurait été vécu s’il existait des règles et des mesures autres que celles d’Atropos
fil de la voix fil de la rivière fil de la quenouille le fil n’est fait que pour être rompu
La barque s’est échouée trop tôt sur la rive sableuse et sur l’autre berge, je reste étonnée à tenter de retrouver la voix au téléphone
les mots déjà sont décolorés déformés et il n’en reste qu’un écho qui s’affaiblit.