Joëlle Pétillot, Le Bal des choses immobiles

Par |2020-02-27T08:48:33+01:00 26 février 2020|Catégories : Joëlle Pétillot|

Il y a de nom­breuses façons d’être poète, ou poétesse, désor­mais : un tel sera poète « lyrique », le mot restant grande­ment tabou après un siè­cle « d’effacement élo­cu­toire » du poète ; un autre se con­sacr­era aux petites choses, petits objets du quo­ti­di­en ; pour un autre les mots seront pré­texte à d’infinis « jeux sur le sig­nifi­ant » ; chez d’autres encore gron­dera la voix de l’imprécateur ; tel autre se lancera dans une explo­ration patiente du « moi » hon­ni, etc.

La poésie con­tem­po­raine est servie en cela par l’existence d’un cer­tain nom­bre de revues de poésie, extrême­ment divers­es dans leurs pri­or­ités, cer­taines « en ligne », d’autres ayant con­tin­ué à paraître en « ver­sion papi­er ». En vrac, nom­mons : celle où est pub­liée cette page, bien enten­du, mais aus­si Décharges, Lichen, Arpa, etc… Si nous évo­quons ces revues, et deman­dons par­don aux oubliées, c’est que Joëlle Pétil­lot a pub­lié des textes dans les revues évo­quées avant de les voir rassem­blés dans le vol­ume présen­té dans cette chronique.

Ain­si, en ce début de XXIe siè­cle, le mot d’ordre en poésie sem­ble être celui d’une grande diver­sité dans le ton et les approches. Joëlle Pétil­lot, si l’on en croit les notices la con­cer­nant, a tou­jours écrit, mais son par­cours poé­tique est assez récent, un peu à l’image de ces riv­ières souter­raines qui révè­lent leur exis­tence par de soudaines résur­gences. Cette riv­ière souter­raine, c’est « Alcy­one », mai­son d’éditions qua­si immatérielle — une boite postale à Saintes, et c’est tout — qui a per­mis, avec un vrai don de sourci­er en l’occurrence, de la con­duire vers le jour.

Joëlle Pétil­lot, Le Bal des choses immo­biles, Édi­tions Alcy­one, col­lec­tion Surya, deux­ième trimestre 2019.

 

 

Joëlle Pétil­lot, a par ailleurs choisi la poétesse Colette Daviles-Estinès pour « alter écho » (l’expression fig­ure en épigraphe au Bal des choses immo­biles). Cette dernière, pub­liée aux Édi­tions de L’Aigrette (Allant vers et autres escales, 2016), est égale­ment une con­tributrice régulière de Lichen : ain­si se forme une com­mu­nauté d’esprits.

Le Bal des choses immo­biles est un bel ouvrage de trente-sept pages réu­nis­sant trente poèmes. On insis­tera d’abord sur la qual­ité matérielle de la réal­i­sa­tion : beau papi­er, belle cou­ver­ture sobre, mise en page agréable, impres­sion soignée, une cer­taine forme d’impeccabilité.

Le titre du recueil se dévoile réelle­ment à la tren­tième page : « La danse pâle / Des doigts sur les images / La main ten­due vers les enfances / L’ombre d’un sourire oublié / Écoutez sur le bruit des pages / Les instants de plusieurs années / Le sur­saut des vieilles min­utes / Papil­lons transper­cés d’aiguilles // Le bal des choses immo­biles ». Joëlle Pétil­lot man­i­feste ain­si une prédilec­tion pour les « petits faits », « petites choses » rich­es en évo­ca­tions ou sou­venirs, et n’est pas, sur ce point, sans évo­quer pour le lecteur la poétesse Sei Shonagon et ses Notes de chevet, rédigées au début du XIe siè­cle à la cour du Japon. Le mot « Seishin » (p.21) sug­gère volon­tiers une pointe d’inspiration japon­isante. L’image du « bal » ren­voie quant à elle à la fig­ure pleine de grâce d’un « monde mou­vant » : « Le vent encolère les arbres, / Les habille d’un gron­de­ment / […]Une annonce flotte en per­ma­nence / Résonne comme un acouphène / parce que tou­jours / Le vent dans les arbres con­tient la mer » (p.26), ou encore : « Une tra­verse, une autre, encore une / Inter­calaire de rien / Même point grossis­sant dans le bruit du bal­last / Une vie de quai de gare » (p.23). L’univers dépeint par Joëlle Pétil­lot est un univers du pas­sage, du mou­ve­ment, du tran­si­toire, où rien, jamais, ne sem­ble définitif.

Accordée aux cycles cir­ca­di­ens la poétesse est atten­tive aux dif­férents moments du jour, du cré­pus­cule du matin à celui du soir. Le pre­mier poème du recueil s’intitule « Hemera esti » (« c’est le jour », en grec), et, d’emblée, dans une célébra­tion de ces pre­miers moments, annonce ce que sera la thé­ma­tique du recueil : « L’heure incer­taine où l’obscur joue à per­dre con­tre l’aube // Dire la nuit des choses comme une mort dont on s’éveille, le têtu à vivre, les silences glis­sés dans les chants d’oiseaux. L’aube grosse de tous les cré­pus­cules, la let­tre écrite du corps à l’âme » (p.5). Plus loin : « La lumière peint à fresque un matin de plus. / Elle pose ses doigts où beau lui sem­ble. / Mai se racon­te aux arbres danseurs » (p.24). Là encore : écoule­ment du temps, pas­sage, tran­si­tion, atten­tion portée aux signes imper­cep­ti­bles, et tou­jours, le thème de la danse, fil con­duc­teur, par­mi d’autres, de ce recueil.

Le lecteur de poésie croit par­fois, mais peut-être s’agit-il d’une illu­sion, enten­dre la voix d’Apollinaire. La répéti­tion de « Vienne la nuit » (p.28) se lit comme un hom­mage à l’auteur du « Pont Mirabeau », en même temps que, dans le même poème, la suite cette même pre­mière phrase : « Vienne la nuit et l’être qui trem­ble au milieu, s’il nous ressem­ble » sonne comme un rap­pel pos­si­ble de la voix de Louis Aragon dans « La Nuit de mai », poème évo­quant la déroute de 1940 : « les vivants et les morts se ressem­blent s’ils trem­blent » (Les Yeux d’Elsa). Tout cela, volon­taire ou non, entre en réson­nance avec les préoc­cu­pa­tions de Joëlle Pétil­lot telles qu’elles transparais­sent dans Le Bal des choses immo­biles. La poétesse est aux aguets des moin­dres man­i­fes­ta­tions de ce que l’on peut nom­mer le petit mys­tère des choses, immo­biles ou non.

Cela peut se pro­duire en obser­vant un sim­ple fil à linge : « Sur la portée du fil à linge, les habits dansent une valse imper­cep­ti­ble, une petite musique d’ennui. // Le jour s’efface, la nuit avance, mais sa lenteur crée l’attente, une minute de temps brisé. […] // Fil, dis-moi ce que tu trames » (p.10). Immo­bil­ité et mou­ve­ment : sub­tile con­tra­dic­tion que se plaît à soulign­er le regard atten­tif de la poétesse. Le jeu de mots final nous rap­pelle que Joëlle Pétil­lot aime à con­tourn­er les expres­sions « toutes faites » : « Coif­fer un silence au poteau » (p.5), « Obéis à mes désor­dres » (p.8), « je te mécon­nais par cœur » (p.27), etc. Ces trou­vailles lex­i­cales, qui n’ont rien de gra­tu­it, appor­tent de la fan­taisie, mais pas seule­ment, à un ouvrage que l’on a plaisir à lire, et que la relec­ture n’épuise pas.

Pour finir, il y a dans le recueil de Joëlle Pétil­lot comme un appel à un ailleurs, que l’on peine à for­muler (« Pour décrire un ailleurs, quels mots ? », p.20), mais qui n’en man­i­feste pas moins son impérieuse et irré­sistible présence : « L’envie, oiseau encagé dont l’espace se perd / Je ne sais pas ce qui me retient de ne plus tenir. // Au loin étouf­fé de vent un bruit de gare » (p.11). Bruit des tous les départs ?

Présentation de l’auteur

Joëlle Pétillot

Née le 1er Octo­bre 1956

Blog poésie/ littérature/ photo

http://www.joelle-petillot-la-nuit-en-couleurs.com

Pub­li­ca­tions dans revues : 

Numérique : Lichen, Reflets du Temps, Ardent Pays, Le Cap­i­tal des mots, La Cause lit­téraire, POSSIBLES. 

Numérique/papier : 17 sec­on­des N°8, Voix nou­velle sur le site Décharge.

 Papi­er : Poésie pre­mière N° 67, Incer­tain Regard novem­bre 2017 Décharge (Le choix de Décharge) N°176, décem­bre 2017 Comme en poésie, N°72, début décem­bre 2017, ARPA Mai 2018, 

À paraître : 2 textes dans Décharge

 5 textes dans Ver­so début 2019/textes dans écrits du Nord, Edi­tions Hen­ry fin 2018 (Octo­bre)

Pub­liée dans le cadre du con­cours 2017 de poésie RATP, livre 100 poèmes pour voy­ager. 

 Autres :

La belle ogresse, roman

La reine-mon­stre, roman

Le hasard des ren­con­tres, nou­velles

Pub­liés à Chemins de tr@verses.

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Didier Gambert

Didi­er Gam­bert, né en 1963. A lu et pra­tiqué la poésie avant de s’en détourn­er pen­dant de nom­breuses années. Spé­cial­iste de lit­téra­ture du 18e siè­cle, en par­ti­c­uli­er de l’œuvre lib­er­taire de Hen­ri-Joseph Dulau­rens (1719–1793), auteur du Com­père Math­ieu ou les Bigar­rures de l’esprit humain (1766), son œuvre la plus con­nue, ain­si que de L’Arretin (1763). Ces deux ouvrages ont été pub­liés chez Cham­pi­on et Her­mann. Revenu à la poésie, il y a quelques années, grâce à la lec­ture d’un poète récem­ment dis­paru. Textes pub­liés dans Lichen, ain­si que dans les antholo­gies Ailleurs et Un Rêve des édi­tions de l’Aigrette.

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