Julieta Lopérgolo

Par |2021-01-06T07:22:30+01:00 5 janvier 2021|Catégories : Essais & Chroniques, Julieta Lopérgolo|

 Intro­duc­tion et tra­duc­tion par Miguel Ángel Real

Juli­eta Lopér­go­lo écrit une poésie qui se rat­tache au quo­ti­di­en, en cher­chant un équili­bre entre fragilité et espoir. Dans son recueil « Más lento que la noche » les êtres sont sou­vent en posi­tion d’ob­ser­va­teurs, face à une nature qui nous appelle mais que nous ne savons pas tou­jours interpréter.

 

L’is­sue serait peut-être de s’i­den­ti­fi­er aux élé­ments, dans une recherche d’har­monie qui est tout de même prob­lé­ma­tique puisque la con­di­tion humaine sem­ble avoir une ten­dance à l’in­ter­pré­ta­tion erronée des signes qui nous parvi­en­nent, créant ain­si un cli­mat de vio­lence latente.

 

Nous ne cher­chons pas des formes dans les nuages.

D’emblée nous y cher­chons des animaux

énormes, dan­gereux.

Nous les faisons se battre,

se don­ner l’ul­time coup

avant qu’ils aban­don­nent leur forme. 

 

Mais tout n’est pas syn­onyme de dés­espoir. L’ob­ser­va­tion sim­ple de la neige ou de la pluie, si on arrive à se dégager de toute approche her­méneu­tique, est la source d’une jouis­sance. Mais rien ne sem­ble moins dur, car le prob­lème reste donc, dans cette poésie très humaine, de trou­ver dans le monde une place d’ob­ser­va­teur qui puisse nous per­me­t­tre d’aller vers la sym­biose, quitte à devenir par­fois des « espions ».

 

Arrive en par­al­lèle la ques­tion de notre posi­tion­nement par rap­port aux autres, notam­ment en ce qui con­cerne le rôle du père, axe prin­ci­pal de « Para que exista una isla ». Le poète veut aller vers l’autre mais avoue suc­comber par­fois à la force des mots, aux poèmes qui raison­nent à voix haute.  C’est alors que la lumière sur­git tel un anti­dote devant nos peurs et notre lâcheté pour faire face au monde et à la douleur de ceux qu’on a per­dus. Mal­gré la soli­tude et le vide dans lesquels nous laisse l’ab­sence des êtres chers, et surtout mal­gré le poids du silence, on réclame une beauté nou­velle et profonde. 

 

Fes­ti­val de Poesía en la Escuela 2020 Reconquista.

La poésie de Juli­eta Lopér­go­lo s’in­scrit aus­si dans le regret des paroles non dites, qui auraient été essen­tielles pour retrou­ver une cer­taine forme de paix représen­tée par une île per­son­nelle, intime, qui reste à con­stru­ire ; on doit donc sur­vivre en dépas­sant la nos­tal­gie, les regrets et par dessus tout un ques­tion­nement per­pétuel qui sem­ble inhérent à sa sen­si­bil­ité car elle affirme, en effet, écrire « pour vivre dans les ques­tions », en évi­tant tout de même toute sorte de manichéisme et en lut­tant en per­ma­nence pour que le lan­gage nous apporte le néces­saire pour con­tin­uer à vivre.

 

 Afuera,

por donde se cam­i­na, 

los chicos cor­ren, 

pasean ani­males, 

vuela la poca basura, 

hay un char­co con flo­res. 

Ape­nas bril­lan. 

Nadie pisa las cabezas de las flores.

Hay cier­ta admiración por lo estanca­do, 

cier­ta piedad en la belleza. 

 

 

∗∗∗

 

No viene una pal­abra a com­pare­cer, 

un lati­do, 

una excusa. 

Nada. 

No hay perdón 

para lo que no se comete. 

El perdón es del tiem­po 

que cla­va esta­cas 

en la carne de los días. 

 

 

∗∗∗

 

Soñé con cadáveres de pájaros 

todavía calientes, 

raíces de árboles por­fi­a­dos. 

Una maleza crece 

con­stante como la san­gre. 

Los restos de la infan­cia 

con los her­manos jóvenes, 

la casa demol­i­da 

y todo ese yuyal 

que guar­da nue­stros gri­tos. 

¿Quién no acuchillaría 

esas voces ahogadas? 

Si no me acer­co, sue­nan 

como ani­males que duer­men 

en túne­les pro­fun­dos. 

Si me deten­go, vienen. 

Si las espero, se apa­gan. 

La deses­peración se parece a un campo

arrasa­do de gritos.

 

Dehors,

là où l’on marche,

les garçons courent,

ils promè­nent leurs animaux,

quelques déchets s’envolent,

il y a une flaque avec des fleurs.

Elles bril­lent à peine.

Per­son­ne ne marche sur les têtes des fleurs.

Il y a une cer­taine admi­ra­tion pour ce qui stagne,

une cer­taine piété dans la beauté.

 

 

∗∗∗

 

Aucun mot ne vient comparaître,

aucun bat­te­ment,

aucune excuse.

Rien.

Il n’y a pas de pardon

pour ce qu’on ne com­met pas.

Le par­don c’est le temps

qui enfonce des pieux

dans la chair des jours.

 

 

∗∗∗

 

J’ai rêvé de cadavres d’oiseaux

encore chauds,

de racines d’ar­bres obstinés.

Des brous­sailles poussent

con­stantes comme le sang.

Les restes de l’enfance

avec les frères plus jeunes,

la mai­son démolie

et toutes ces mau­vais­es herbes

qui gar­dent nos cris.

Qui ne poignarderait pas

ces voix étouffées ?

Si je ne m’en rap­proche pas, elles résonnent

comme des ani­maux qui dorment

dans de pro­fonds tunnels .

Si je m’ar­rête, elles viennent.

Si je les attends, elles s’éteignent.

Le dés­espoir ressem­ble à un champ

dévasté par les cris.

De “Más lento que la noche”

 

Hilan­de­ria, “TODA San­ta Fe” vidéo.

 

He deci­di­do perdonar 

la muerte de mi padre 

cuan­do suceda. 

Lo que extraño 

no tiene nombre, 

no existe.

Aún no sucede. 

Sin embar­go,

con qué amabilidad 

ron­da

a veces

lo imper­don­able.

∗∗∗

 

En el camino de la sangre 

que pasa de hijo a padre 

fal­to.

Se adormece mi sangre, 

inútil por lejana, 

tem­blorosa,

se esconde.

¿Qué es lo que pasa 

en ese tránsito? 

¿Qué de la devoción, 

la impo­ten­cia

y los ruegos? 

El hijo se cura 

del peli­gro de pensar 

en un lengua­je que le quite 

la pal­abra padre. 

El hijo dona su temor 

como un premio. 

Lle­va tranquilidad 

al padre silencioso 

ten­di­do en una cama larga 

como el temor altivo 

de su ausencia. 

 

 

 

J’ai décide de pardonner

la mort de mon père

quand elle arrivera.

Ce qui me manque

n’a pas de nom,

n’ex­iste pas.

N’ar­rive pas encore.

Pour­tant,

avec quelle amabilité

rôde

par­fois

l’im­par­donnable.

∗∗∗

 

Sur le chemin du sang

qui passe du fils vers le père

je manque.

Mon sang s’endort,

inutile car lointain,

fris­son­nant

il se cache.

Que se passe-t-il

lors de cette transition ?

Qu’en est-il de la dévotion,

de l’im­puis­sance

et des prières ?

Le fils se soigne

du dan­ger de penser

à un lan­gage qui lui enlève

le mot père.

Le fils donne ses craintes

comme un prix.

Il apporte de la tranquillité

au père silencieux

allongé sur un lit long

comme la crainte hautaine

de son absence.

Juli­eta Lopér­go­lo, le 31/07/20, Sober­tan­ga XI Edi­cion Virtual.

 

Te hablo.

Apuesto a que mis palabras 

te despierten,

se abland­en den­tro de tu cuerpo, 

paci­fiquen el aire, 

el líqui­do que infla tu sueño. 

Te hablo

y cuan­do me voy no quiero 

ni una sola de las pal­abras que te dije. 

Imag­i­no que flotan protectoras 

a tu alrededor, 

ven­dadas con suspiros. 

Son fuerzas delicadas, 

salmos ento­nan­do tu nombre 

a la altura de mi corazón. 

Todo inten­to es pequeño. 

Así imag­i­no yo 

que te defiendo 

con un ejérci­to de palabras. 

Lejos

una paz aparece. 

∗∗∗

 

Un padre que se muere 

limpia antes el jardín, 

sep­a­ra las ramas secas, 

la hojaras­ca,

que­ma la oscuridad, 

los restos de animales, 

descar­ga tier­ra nueva 

sobre la tier­ra pisoteada, 

divide el polvo 

que con­cen­tra la luz. 

Una hija repite 

la pal­abra nunca 

mien­tras poda. 

Se hace la idea de un desierto. 

 

Je te parle.

Je parie que mes paroles

vont te réveiller,

ramol­lir dans ton corps,

paci­fi­er l’air,

le liq­uide qui enfle ton rêve.

Je te parle

et quand je m’en vais je ne veux pas

un seul mot par­mi ceux que je t’ai dits.

J’imag­ine qu’ils flot­tent, protecteurs

autour de toi,

bandées par des soupirs.

Ce sont des forces délicates,

des psaumes qui chantent ton nom

à la hau­teur de mon cœur.

Tout ten­ta­tive est petite.

C’est ain­si que j’imagine

que je te défends

avec une armée de paroles.

Au loin

une paix apparaît.

∗∗∗

 

Un père qui meurt

net­toie avant le jardin,

écarte les branch­es sèches,

le feuilles mortes,

il brûle l’obscurité,

les restes d’animaux,

il décharge la terre nouvelle

sur la terre piétinée,

il fend la poussière

qui con­cen­tre la lumière.

Une fille répète

le mot jamais

pen­dant qu’elle élague.

Elle a en tête un désert.

 

 De “Para que exista esa isla”

Présentation de l’auteur

Julieta Lopérgolo

Juli­eta Lopér­go­lo (Rosario, Argen­tine, 1973). Diplômée en Let­tres et en psy­cholo­gie. En 2018 elle pub­lie  son recueil Para que exista esa isla, et en 2019 Más lento que la noche, tous les deux chez les édi­tions Postales Japone­sas. En 2020 est paru Agua de pozo (Edi­tions Arroyo). Pero en el aire, qui paraî­tra bien­tôt, a gag­né le 3e Prix du con­cours du  Fon­do Nacional de las Artes 2019 (Argen­tine). Quelques poèmes de Para que exista esa isla ont été traduits à l’i­tal­ien par  Alessio Bran­doli­ni et pub­liés dans la revue online Fili d’aquilone (54 – Fiabe y Fol­lia). Elle réside depuis 2017 à Mon­te­v­ideo, où elle tra­vaille comme psy­chanal­iste. Elle tra­vaille aux activ­ités de l’Ecole Lacani­enne de Psy­ch­analyse. Elle coor­donne avec  Mayra Nebril l’Ate­lier expéri­men­tal d’E­cri­t­ures psy­cho­an­a­ly­tiques à Montevideo.

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Miguel Angel Real

Né en 1965, il pour­suit des études de français à l’Université de Val­ladol­id (Espagne), sa ville natale. Il tra­vaille en 1992 à l’Agence France Presse à Paris. Agrégé d’espagnol, il enseigne au Lycée de Cornouaille à Quim­per. En tant qu’au­teur, ses poèmes ont été pub­liés dans les revues La Gal­la Cien­cia, Fábu­la et Saigón (décem­bre 2018) (Espagne), Letralia (Venezuela), Marabun­ta, El Humo et La Piraña (Mex­ique), ain­si que dans l’an­tholo­gie de poésie brève “Gotas y hac­ha­zos” (Ed. PÁRAMO Espagne, décem­bre 2017). Les revues français­es “Le Cap­i­tal des Mots”, “Fes­ti­val Per­ma­nent des mots” “Lichen”,“La ter­rasse” et “Revue Méninge” ont égale­ment pub­lié cer­tains de ses poèmes en français, orig­in­aux ou traduits de l’es­pag­nol. Il a pub­lié en avril 2019 un recueil per­son­nel, Zoologías, aux édi­tions En Hui­da (Séville). Les édi­tions Sémaphore pub­lieront bien­tôt son recueil bilingue Comme un dé rond. Il fait par­tie du comité de rédac­tion de la revue poé­tique espag­nole Crátera. Il se con­sacre aus­si à la tra­duc­tion de poèmes, seul ou en col­lab­o­ra­tion avec Flo­rence Real ou Marceau Vasseur. Ses tra­duc­tions ont été pub­liées par de nom­breuses revues en France (Pas­sage d’en­cres, Le Cap­i­tal des mots, Mange-Monde), Espagne (La Gal­la Cien­cia, Crátera, El Colo­quio de los Per­rros) et Amérique (Low-Fi Arden­tia, Por­to Rico, La Piraña, Mex­ique). Dans cette dernière pub­li­ca­tion il dirige deux sec­tions de tra­duc­tion nom­mées « Le Piran­ha Transocéanique » (https://piranhamx.club/index.php/le-piranha-transoceanique) et « Ven­tana France­sa » (https://www.piranhamx.club/index.php/quienes-somos‑2/ventana-francesa) Tra­duc­tions pub­liées: — “Fauves” (Edi­to­r­i­al Corps Puce), poèmes de l’au­teur équa­to­rien RAMIRO OVIEDO (Traduit avec Marceau Vasseur, décem­bre 2017) — “Erra­tiques”, poèmes d’ANGÈLE CASANOVA, pho­tos de PHILIPPE MARTIN. Edi­tion bilingue. Édi­tions Pourquoi Viens-Tu Si Tard, octo­bre 2018 — “Les travaux de la nuit”, de PAUL SANDA. Édi­tion bilingue. Ed. Alcy­one, décem­bre 2018.

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