La forge #4, octobre 2024
Le beau liminaire de Marion Richard nous rappelle que le « mot » est un universel avec sa part d’intimité propre à chacun. Bien sûr, tous les mots n’y contribuent pas de manière identique et cela dépend de chacun. Par exemple, je n’ai pas d’imaginaire sur le mot forge, Marion, si. Elle le doit à Maupassant dont elle cite un passage qui l’a marquée : « Cette forge était comme ensevelie sous les arbres […] lueur rouge […] fracas […] ». Et voici qu’à mon tour, par elle, ce mot forge me pénètre, se charge de cette aura d’un lieu sous une feuillée et, tandis que je le goûte, se réveille en moi le souvenir de petites forges entrevues dans des médinas du Maroc ou de Tunisie (à moins que ce fut à Istanbul).

Revue La forge #4, Editions de Corlevour, octobre 2024, 240 pages, 22 €.
Lola Ridge, avec l’incroyable plongée dans la vie d’un ghetto d’une ville américaine ; Roberto Mussapi dont bien des vers ont ralenti ma lecture comme « Chacun se berce dans un songe souvent faible et incertain » ; Antoon van den Braembussche avec sa poésie franche et claire dans ses descriptions. Dans la rubrique d’Ici, je voudrai faire place à Matthieu Messagier – dont je me souviens encore du recueil Le dernier des immobiles – avec son poème sur le moucheron qui est un régal ; Guylaine Monnier avec des poèmes sur des moments de vie entre un enfant et sa mère, leurs jeux, leurs complicité lors d’une promenade ; Etienne Raisson dont les poèmes dégagent une solitude habitée, un éblouissement fragile et prolongé – un vers a retenu en particulier mon attention : « Mais le vrai ne se terre pas. / Sans bien, il ne sauve que l’espérance des maigres feuillées. » ; Marina Skalova qui nous installe dans le quotidien d’une barre d’immeuble : « là-bas / le temps s’est figé comme la gelée de poisson » ; Clara Calvet avec sa bonhomie amère, et la gaîté gris-jaune de ses poèmes : « c’est le matin hors de soi / qui lance sa tresse / et aligne ses deux grains / de beauté / comme on montre ses filles ». Paul Valet, présenté dans la rubrique Intimité du poème, m’a tenu en éveil avec des poèmes de force, de fermeté lucide comme Sur la terre déchirée que je voudrai apprendre par cœur : « l’horreur se leva sur la terre déchirée / Comme un géant tranquille / Beaucoup beaucoup de soucis / S’envolèrent ce jour-là ». Des extraits de correspondance de Michel Camus, comme ceux parus précédemment d’Antoine Emaz, me frappe l’attention fraternelle de ces anciens envers la génération qui les suit. On méconnaît à quel point ce travail de couture intergénérationnelle est partie prenante de la poésie. Loin d’être une activité solitaire, la poésie est communautaire, sémaphorique d’une solitude à une autre. Des textes libres de la rubrique À la forge du poème, je retiens surtout l’article de Régis Lefort, La profondeur de l’immédiat. Il nous propose de méditer sur l’inspiration en suivant trois poètes : Émaz qui la définit comme l’urgence de l’immédiat, Baudelaire pour qui elle ressemble à la joie de l’enfance et Bachau qui lui prête la vertu d’un détachement du présent pour mieux répondre à des impressions inattendues et mouvantes ; ainsi que Marina Skalova, Comme un serpent, par l’originalité de ses propositions. L’article débute en signalant que les pensées volettent en nous, et dont certaines peut-être s’écraseront sur le pare-brise… la suite est à lire par vous-mêmes. Cinq recensions concluent ce numéro de la forge dont celle sur La cinquième saison de Viallebesset, par Nathalie Swan et celle sur Un manuscrit domestique d’Eugénio de Signoribus, par François Bordes, et Le parchemin illustré d’Yves Leclair par votre serviteur. Bonne lecture !