Sainte Thérèse d’Avila, Li-Tseu, Confucius, Pascal, le catalogue ne prétend pas décoiffer le lettré. On est dans les valeurs sûres, les auteurs connus et qu’une trop grande familiarité considère comme acquis. Mais, en matière de « sagesses », la plus élémentaire d’entre elles devrait nous conduire à ne rien considérer comme acquis.
Relire Pascal aujourd’hui à travers ce choix de pensées intitulé L’homme est un roseau pensant, le relire en toute simplicité. Cette langue physique qui nous élève vers l’abstraction est en soi (pour le (post)moderne) une expérience authentiquement productrice de sens et de lien.
Fidèle à son art proverbial du confort de lecture, la maison Gallimard peut s’enorgueillir aussi de l’élégance de cette collection aux allures dépouillées : une couverture souple et sobrement décorée, un papier pas trop blanc se prêtant à la lecture dehors, dans la rue, une allée du Luxembourg ou une sente d’Auvergne. Quant aux textes il s’agit d’œuvres courtes, ou de chapitres sélectionnés de manière cohérente.
Ouvrons Li-tseu au hasard et tombons sur cette page où, parlant du voyage, il nous convie à contempler les fruits du jardin que l’on a sous les yeux. Tendons la main vers les Ébauches de vertige de Cioran :
La plénitude comme extrémité du bonheur n’est possible que dans les instants où l’on prend conscience en profondeur de l’irréalité et de la vie et de la mort.
Et voilà comment, sur un coin de table, et grâce à la taille des ouvrages, on a pu faire le lien entre l’Occident et l’Orient.
J’aime aussi une certaine confiance éditoriale qui préside à ces ouvrages à petit prix, l’absence de toute préface, de tout garde-fou, offre une expérience franche et directe, devenue rare dans la croissante réglementation de la pensée.
Que dire de plus ? Au péril de vous faire manquer l’heure d’ouverture de la librairie par des bavardages laudatifs ! Courons‑y, offrons ces trésors accessibles et beaux.
Il n’y en aurait qu’un, je choisirais celui-là, ce Du bonheur et de l’ennui d’Alain, un groupe de chapitres des Éléments de philosophie :
Les anciens, mieux éclairés pas la sagesse traditionnelle, n’ont point manqué d’attribuer les transports de l’intempérance, et l’exaltation orgiaque dont les plaisirs n’étaient que l’occasion, à quelque dieu perturbateur que l’on apaisait par des cérémonies et comme par une ivresse réglée. Et, par cette même vue, leurs sages attachaient plus de prix que nous à toutes les formes de la décence ; au lieu que nous oublions trop nos vrais motifs et notre vraie puissance, voulant réduire la tempérance à une abstinence par peur. Ainsi, visant l’individu, nous ne le touchons point, tandis que l’antique cérémonial arrivait à l’âme par de meilleurs chemins.
- Jacques Moulin, Corbeline - 21 octobre 2022
- Piet Lincken, Edith Södergran, Å Itinéraire suédois - 20 mars 2022
- Écrits spirituels du Moyen-âge, traduits et présentés par Cédric Giraud, Walter Benjamin, Asja Lācis, Alfred Sohn-Rethel, Sur Naples, Jean-Pierre Vidal, Exercice de l’adieu - 1 mai 2021
- Cesare Pavese, Travailler use, Anne Serre, Au cœur d’un été tout en or - 6 février 2021
- Jean-Luc Maxence, Tout est dit ? - 6 avril 2020
- Benoît Chantre, Le clocher de Tübingen - 26 février 2020
- Trois questions à Jean-Claude Morera, traducteur de Carles Riba - 24 mai 2017
- La collection Folio + collège - 27 avril 2017
- La nouvelle collection Folio Sagesses - 24 mars 2017
- Gille BAUDRY : Sous l’aile du jour - 14 juin 2016
- TRAVERSÉES n°77, septembre 2015 - 16 mai 2016
- Arpa, n°114, octobre 2015 - 8 janvier 2016
- Le viatique (Philippe Jaccottet) - 17 novembre 2015