Pourquoi l’araignée, inlassablement, génère les filaments visqueux de sa toile dans les recoins de nos maisons ? Quels insectes imprudents espère‑t’elle ainsi capturer ? Un matin, on détruit son piège d’un coup de plumeau ; on la chasse vers d’infimes anfractuosités. Elle se cache quelques temps puis elle recommence son ouvrage insidieux. Jusqu’à la prochaine tornade.
Bien souvent l’écrivain n’agit pas autrement dans les périodes de tourmente. On censure et on brule ses livres édités ; parfois, un pouvoir tyrannique détruit ses manuscrits, l’emprisonne ou l’exile. Et néanmoins, alors qu’il semble dépouillé de tout, une nécessité vitale le fait se remettre à écrire. Parce qu’il lui faut témoigner des souffrances endurées devant l’Histoire; parce qu’il faut dénoncer l’arbitraire et l’injustice qui menacent, à travers lui, ses contemporains. Dans l’ombre, tout comme son alter ego arachnéen, il œuvre patiemment, cherchant à capter la moindre sensation, la moindre information qui passe à sa portée. Etendra‑t’il son influence avec la matière subtile de ses mots ? Il peut désormais profiter d’une toile électronique dont le seul nom est un hommage à la constance de l’araignée. Mais s’il parvient ainsi à attirer de nouveaux lecteurs, ce ne seront jamais que des âmes sœurs ; des consciences fraternelles qui s’ignoraient comme telles et qui étaient déjà prêtes à épouser sa cause. Car l’écrivain n’est pas une créature de l’air, même si son inspiration semble parfois venir d’en haut. Sa science, c’est de la terre qu’il la tire, tout comme le laboureur, tout comme le sourcier. En lui montent les échos d’existences oubliées ou ignorées. C’est peut-être pour ça que les signes qu’il trace sur des feuilles capillarisées évoquent tant les racines et les sarments. En cela, il démontre – ce que le jeune Roger Caillois avait perçu dans « Le mythe et l’homme » — la continuité des différents règnes animaux et la lente transmutation des instincts en figures de la pensée. Un fil mystérieux et immémorial nous relie aux créatures les plus étranges de la planète. Nous ne devrions jamais l’oublier en face de la moindre épeire.