La poésie de Jan Owen
Une chronique publiée en janvier 2014 dans le numéro 85 de Recours au poème s'inscrit dans un ensemble d'articles dans lesquels Marilyne Bertoncini présente des auteurs anglophones et propose une traduction de leurs poèmes.
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LES VIES MULTIPLES DE JAN OWEN
La biographie de Jan Owen, poète australienne, évoque ses activités d'étudiante en art et de bibliothécaire, son entrée tardive en littérature, après l’éducation de ses enfants, les publications, les prix, les voyages et les résidences, en Europe et à travers le monde ... Elle ne dit rien des véritables vies de l'écrivain, qui affleurent dans sa poésie et lui donnent le timbre particulier d'une expérience unique dont la sélection ici présentée ne témoigne qu'imparfaitement, tant est vaste le champ des intérêts qui promène le lecteur au long de l'histoire, à travers le temps et l'espace, de l'infiniment petit à l'univers, de la pensée des choses les plus infimes, jusqu'à la mémoire atavique, et le long de souvenirs si intimes qu'ils atteignent à l'universel.
Refeuilletant les poèmes que j'ai traduits, il me semble que c'est par la peinture que tout commence ; Jan Owen nous parle de l'intérieur - ou plutôt, nous attire à l'intérieur - de natures mortes aux citrons ou aux goyaves, nous touche du "zeste de couleur" qui forme les citrons-tétons d'or de "Jeune Femme cueillant des citrons" ou nous jette parmi les dégradés de bleu où baignent les fruits de "L'Arrivée". C'est du dessin jadis suivi d'un doigt enfantin sur l'emballage du boucher que jaillit le carton annonçant le quartier chaud où pénètre la narratrice adulte de "Tilley Endurables". C'est un portrait de Titien qui fonde le premier amour de l'écolière en cours de physique (dans un poème homonyme), et c'est Rubens ou Leonard de Vinci que contemple le désir dans "Professeur de Natation"...
Tout comme dans la poésie de Baudelaire - récemment traduite par l'auteur dans une version respectant les contraintes formelles des rimes - les impressions picturales sont source de synesthésie : échos et vibrations, épanchements et confusions ... De même que "les parfums, les couleurs et les sons se répondent" dans les "Correspondances" de Baudelaire, le rayonnement jaune des citrons, dans une scène aux couleurs de Vermeer ou Chardin, évoque "l'âcre et subtile odeur de (la) perte" à laquelle répond le grisant parfum d'une peau d'enfant ; la contemplation de la "Mona Lisa au cinquième couloir" s'accompagne du vacarme de la piscine, rebondissant sur l'eau et les murs ; un poème intitulé "Les Coings" ("Quince")s'ouvre sur l'affirmation que "Le paradis était dans le parfum de l'arbre" ; et c'est au coeur d'un voyage en Hollande que les peupliers déclarent : "Rien n'est sûr hormis le changement" (Mitzi & Co)... Ce tremblement du monde est soutenu par la musicalité très particulière de cette poésie dont la voix semble voilée, comme un souvenir rappelé dans un rêve éveillé : rythme et rupture, assonances et sonorité des monosyllabes, réverbérations ondulantes, comme les pensées des admirateurs de la maître-nageuse qui "clapotent tout autour comme l'eau".
L'expérience à laquelle nous convie Jan Owen dans ces tableaux-poèmes ne se limite pas à cet aspect sensuel et sensoriel : chaque voyage/incarnation est l'occasion également d'une troublante plongée métaphysique dans "ça" qui pense en nous, comme en l'univers tout entier. Il ne s'agit pas seulement d'un élargissement plus conscient des sens, ou d'une invitation au changement de point de vue, mais bien d'une incarnation , d'un devenir Autre, d'une expérimentation de l'Autre qui est en nous, et dont un poème nous décrit les ébauches d'ailes pointant dans notre dos. Le lecteur est invité à absorber, à travers les mots, la pensée primitive du dinosaure ; la vie différente et semblable de Barbarella se superpose l'instant d'un sourire complice avec celle de la voyageuse en chapeau imperméable ; de méditatives goyaves peintes nous proposent de considérer, serrée parmi elles dans un bol bleu, l'Evolution qui les a menées de la "gelée primordiale" à leur statut de choses peintes et finalement "parfaites"...
L'importance des mots, leur poids de réel, le leurre qu'ils provoquent aussi , sont évoqués dans plusieurs poèmes que je n'ai pas retenus, faute de place. Ainsi, dans "Etiquetage", commencé avec " une souris derrière l'horloge", comme une comptine enfantine, "un concombre moisi sous le bureau, une chauve-souris desséchée, un fossile, un étron", un collectionneur colle de vaines étiquettes sur les éléments de cette collection, dans une furie taxonomique qui finit en tags de révolte sur le toit des édifices publics ; dans "The Given", ce sont les mots eux-mêmes qui agissent comme des enfants : "Cinq verbes en culottes courtes / frappent à grands coups la pignata orange/(...)Deux noms en armure à frou-frou s'égosillent pour participer."
En effet, le monde de Jan Owen ne cesse d'être le monde du langage. C'est par l'action de ce dernier que se déplacent poète et lecteur. Non que le langage agisse seul : il meut autant qu'il est mû, à l'image de ces ailes que se fabriquent les enfants dans le poème "Wings", "avec deux parapluies depuis le poulailler,/ dans le manteau de maman du haut de la treille (...)" - Il y faut de l'ingéniosité, une certaine hardiesse, et la confiance en ce moyen de transport que propose le poète et qui transforme autant qu'il déplace, le long du temps ou dans l'espace. Tout est dans tout, dans cet univers poétique, tout se transforme : les "globes couleur rubis" des coings devenant gelée ("Quince")... pour finir prosaïquement en pudding à la graisse en sont un exemple, autant que les goyaves peintes, ou encore ce jeu dans "The Given" permettant aux joueurs de saisir un instant "nos regards sur nous-mêmes / dans un parc de banlieue desséché / du passé de demain."
Il n'y a pas d'au-delà au monde de Jan Owen : tout est Déjà Là, dans les mots et les images venues du passé - aucune transcendance, mais un matérialisme amusé, qui vise - qui sait? - à "Modifier l'obscurité" ainsi que le propose le programme des lucioles convoquées dans ce poème, "avec le plus simple des arguments, / Je luis, donc je suis"... Le ton humoristique de ces considérations n'ôte rien à leur force, au contraire, mais en renforce l'aspect paradoxal, extraordinaire : c'est une expérience originale, et totale, de vies multiples que nous propose l'auteur, dans de petits "concentrés" poétiques naissant d'un souvenir, un objet dérisoire, une rencontre... sur lesquels elle pose ce regard franc, tendre et moqueur, que révèle sa photo. C'est sa vie qui sert de tremplin à notre imaginaire pour atteindre les dimensions d'un univers aux couleurs des citrons, "tétons d'or" tombés dans l'herbe, rayonnants soleils pâles comme autant d'étoiles. A l'image de cette jeune femme dont le ventre renflé sous le tablier porte un "nouveau monde dont elle n'est que frontière maintenant", Jan Owen dilate l'instant avec ses mots et, pourvu qu'on accepte le voyage, nous transporte, vivantes métaphores, au-delà des frontières de notre corps et de notre pensée.
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Mitzi & Co.
Utrecht
In Wijk bij Duurstede I said goodbye.
In Utrecht I waited, eating a peach.
The bus from Amsterdam was late
but I drew a window seat by a blond Pole
flipping a muscle mag – the flayed forms
semaphored us over the flat green land:
Nothing is certain but change, the poplars replied.
The Friesian cows, black-mapped,
were shifting Europe languorously around:
Germany grazing, Italy pissing, Spain rubbing a post.
In Ghent – a plaster horse by a shop,
in Bruges – balloons and swans,
in Breda – impatiens in a pot
by the house with orange shutters,
the goose still in the upper window –
Mitzi, preserved joy of the widower
who lost his wife in the fall,
the one to whom I’d told my dream:
low over the labyrinth at dusk
a white owl leads you on.
He’s standing at the window again,
one hand stroking Mitzi,
one over the stain on his waistcoat.
Wave! The lake in his left eye catches light;
we push off through the reeds
into the new grey air; the war
has not yet set but dawn is brimming
There will be bread and fire and wine.
He rows, I bail.
The little island of birds
gathers itself as we come.
Mitzi & Co.
Utrecht
A Wijk bij Duurstede je pris congé.
A Utrecht j’attendis en mangeant une pêche.
Le bus d’Amsterdam avait du retard
mais je tirai une place côté fenêtre près d’un polonais blond
qui feuilletait un magazine de culturisme – les formes écorchées
nous lançaient des signaux par-dessus le plat pays vert :
Rien n’est sûr, hormis le changement, répondaient les peupliers.
Les vaches frisonnes, cartographiées de noir,
promenaient langoureusement l’Europe autour de nous :
l’Allemagne broutait, l’Italie pissait, l’Espagne se frottait à un poteau.
A Gand - un cheval de plâtre devant un magasin,
à Bruges – des ballons et des cygnes,
à Breda, un pot d’ impatientes
devant la maison aux volets orange,
l’oie toujours à la fenêtre de l’étage –
Mitzi, joie préservée du veuf
qui perdit sa femme à l’automne,
celle à qui j’avais raconté mon rêve :
rasant le labyrinthe au crépuscule
une blanche chouette vous guide.
Il est de nouveau à la fenêtre,
une main caressant Mitzi, l’autre sur la tache à son gilet.
Salue ! Le lac dans son œil gauche saisit la lumière ;
on file à travers les roseaux
dans le jeune air gris ; la guerre
n’a pas cessé encore mais l’aube déborde
Il y aura du pain et du feu et du vin.
Il rame, j’écope.
La petite île d’oiseaux
se rassemble à notre arrivée.
More on the Dinosaur
No wonder they almost died out,
with one full minute between stubbed tail and ouch,
their logic couldn’t connect cause and effect.
Sex was an enigma – buoyed up in the mire,
cryptogams fringing their jaws
and their little eyes glassy with time-lag,
they’d quite forget, between effort and ecstasy,
just what they were at
(the other already wallowing off).
Imagine the bliss of brontosaurs –
embracing a mountain, incurring an earthquake –
love as a natural disaster.
But the urge to survive went deep,
they’re with us still, in hindbrain, basal ganglion,
sometimes a stranger’s eyes, and always
man’s hidden part, blunt id,
barbed as the collared head of Triceratops,
a tip on tomorrow’s winner.
Du Nouveau sur les Dinosaures
Pas étonnant qu'ils aient failli s'éteindre,
avec une bonne minute entre leur queue écrasée et aïe,
leur logique ne pouvait relier la cause et l'effet.
Le sexe était une énigme – excités dans la boue,
des cryptogames frangeant leur mâchoires
leurs petits yeux vitreux à cause du décalage,
ils avaient complètement oublié, entre l'effort et l'extase,
ce qu'ils étaient en train de faire
(l'autre se vautrant déjà plus loin.)
Imaginez la félicité des brontosaures -
embrasser une montagne, essuyer un séisme -
l'amour comme catastrophe naturelle.
Mais le violent désir de survivre s'enracinant profond,
ils sont encore en nous, dans le bulbe rachidien, les ganglions de la base,
parfois le regard d'un étranger,
et toujours la partie cachée de l'homme, l'obtus ça,
barbelé comme la tête à collerette du Triceratops,
un tuyau sur le futur gagnant
Swimming Instructor
for Mona Lisa in the fifth lane
Lips straight from the Quattrocento, at each end
a secret curlicue on a face as poised and round
as the smiling angel of Rheims surveying the world of men
and a neck pure Primavera. Her green T-shirt’s skin-tight
on breasts so high and full they’re made to clasp.
Around her, four small boys of seven or eight
bob like apples in a barrel, shriek and splutter and gasp.
The echoes and reflections bounce off water and wall,
cross-currents of noise, drunken ripples of light.
She moves as evenly as a tide backwards along the lane,
a small head pressed against her belly, backstrokes
faltering left and right, guiding each in turn: ‘Point your toes,
Michael, head back, Luke,’ she calls above the din.
Small knobs hard with cold, they flail and flounder on.
It’s Sunday morning, the fathers have brought them down.
Men nearing forty now, they wait in the humid air,
fidget on benches at the side
and stare at their boisterous offspring and at her.
Their thoughts lap round like water, aching to touch,
as each little boy splashes towards horizons
green as promises, ripe as pippins in May.
The lesson done, they sigh and look away
from the bosom by Rubens under the shirt by Sportsgirl,
and that smile by da Vinci, half-innocent of it all.
Professeur de Natation
pour Mona Lisa au cinquième couloir
Les lèvres même du Quattrocento, aux commissures
une secrète ondulation sur un visage aussi paisible et rond
que l'ange souriant de Reims contemplant le monde des hommes,
et le cou pur Primavera. Son tee-shirt vert moulant
des seins si hauts et pleins qu'ils sont faits pour saisir.
Autour d'elle, quatre gamins de sept ou huit ans
flottent comme des pommes dans un tonneau, crient, s'éclaboussent, halètent.
Echos et réverbérations rebondissent entre l'eau et les murs,
contre-courants de bruit, ondes ivres de lumière.
Elle va et vient aussi régulière qu'une marée le long du couloir,
une petite tête pressée contre son ventre, des dos crawlés
tanguant à droite, à gauche, elle guide chacun à son tour : “les orteils pointés,
Michael, tête en arrière, Luke”, elle crie par-dessus le vacarme.
Petits noix durcies par le froid, ils battent l'air et se débattent en avançant.
C'est dimanche matin, les pères les ont accompagnés.
Des hommes sur la quarantaine, ils attendent dans l'air humide,
s'agitent sur les bancs latéraux
les yeux fixés sur leur remuante progéniture et sur elle.
Leurs pensées tournent en clapotant comme l'eau, brûlant de toucher,
tandis que chaque garçonnet patauge vers des horizons
verts comme des promesses, mûrs comme des reinettes en mai.
A la fin de la leçon, ils soupirent et détournent le regard
du sein peint par Rubens sous la chemise Sportsgirl,
et du sourire par Vinci, mi-inconscient de tout cela.
The Arrival
after the water-colour by Thornton Walker
We are a squat of guavas
arranged to advantage on blue
or plopped in Malacca bowls
(it’s a tight squeeze).
‘Jade, emerald, malachite, vert,’
we murmur together,
‘loden, reseda, celadon, sage’ –
our gently differing opinions are always green.
From imminence to immanence
we have come –
having made the long trip
from fruit to art,
we have entered guava heaven.
Evolution was a heavy scene
and we do not intend to budge again.
From our vantage point
we watch the colour of time,
we loll,
comatose as the thighs
of the lumpy old woman
of Bukit Bintang
who fell asleep in a Reject Shop
and was sold for a song.
Aeons and aeons it’s been,
from primordial jelly
to a verdigris thought,
and we are exhausted, worn-out, done,
utterly, utterly guava.
L'Arrivée
d'après une aquarelle de T. Walker
Nous sommes une masse accroupie de goyaves
arrangées pour tirer parti du bleu
ou jetées en cascade dans des bols de Malacca
(on y est serrées.)
“Jade, émeraude, malachite, vert,”
murmurons-nous en choeur,
“loden, réséda, céladon, sauge” -
divergeant avec douceur, nos opinions sont toujours vertes.
De l'imminence à l'immanence
nous voici -
ayant fait le long voyage
du fruit à l'art,
nous sommes entrées au paradis des goyaves.
L'Evolution, quel drame,
et nous n'avons nulle intention de bouger de nouveau.
De notre point de vue
nous observons la couleur du temps,
nous nous prélassons,
comateuses comme les cuisses
de la grasse vieille femme
du Bukit Bintang
endormie dans un hard discount
et vendue pour une chanson.
Des milliers d'années se sont écoulées
depuis la gelée primordiale
jusqu'à une pensée vert-de-gris,
et nous voici, épuisées, usées, finies :
de tout à fait parfaites goyaves.
Tilley Endurables
Antwerp
If you’re a woman you turn
into Schippenstraat tingling,
forewarned by the huge obscene cartoon
on the corner wall
in purples and pinks and greens
sour-sweet as those wet from your tongue
indelibly staining your fingers and thumb
outlining a wonder, the stolid house
with its crooked chimney on butcher’s paper
when you were five. It’s 7 pm.
Already the men are prowling centre street
so I walk closer in to the small lit windows,
the pale thrust buttocks and hostile stares,
feeling overdressed in my Tilley hat
which floats, ties on, repels mildew and rain,
will be freely replaced if it wears out,
and sports a secret pocket in the crown.
This street’s too long for transients.
And here, full on, is Barbarella,
thickly made-up and thinly trussed
in black spiked leather with laser gun and whip –
Asteroid approaching on the port bow!
What will become of us?
Neat holes in the hull. Detritus.
For one hospitable moment
my eyes meet hers round with surprise.
She gives me a mock gasp, twirls her whip.
We smile.
Les “Endurables” de Tilley
Anvers
Si vous êtes une femme, vous tournez
dans Schippenstraat en frissonnant,
prévenue par l'immense carton obscène
sur le mur d'angle
avec des pourpres et des roses et des verts
doux-amers comme, mouillés par votre langue, ceux qui ont laissé
une marque indélébile sur vos doigts et votre pouce
qui traçaient les contours d'une merveille, l'austère maison
à cheminée tordue sur l'emballage du boucher
quand vous aviez cinq ans. 19 heures.
Déjà les hommes arpentent la rue centrale
donc je m'approche aussi des petites fenêtres illuminées,
des pâles fesses tendues et des regards hostiles,
me sentant trop habillée en chapeau Tilley
qui flotte, se noue, repousse la rosée comme la pluie
se remplace sans problème quand il s'use,
et dispose d'une poche secrète au fond.
Cette rue est trop longue pour les clients de passage.
Et voici, en personne, Barbarella,
maquillage épais, délicatement ligotée
en cuir noir clouté, fusil laser et fouet -
Astéroïde en vue sur le pont d'avant!
Qu'adviendra-t-il de nous?
Des trous précis dans la coque. Détritus.
Pendant un instant de complicité,
mes yeux rencontrent les siens avec surprise.
Elle me lance un halètement moqueur, agite son fouet.
On sourit.
Young Woman Gathering Lemons
The apronful sits on the swell of her belly,
that taut new world she merely borders now.
Above, a hundred pale suns glow;
she reaches for one more and snags her hair.
Citron, amber, white, a touch of lime;
the rind of colour cools her palm.
Extra tubes and brushes she would need –
a three in sable, or a two
should catch the gleam around each pore.
Such yellow! If there were only time.
She presses to her face
its fine sharp scent of loss
then sinks her forehead onto her wrist
– the tears drip off her chin –
till the child tugs at her dress.
She kneels to hug him close and breathe him in:
‘Who’s got a silly old mother, then?’
It dizzies her, the fragrance of his skin.
He nuzzles under the hair come loose.
The fallen lemons, nippled gold,
wait round them in the grass.
Jeune Femme cueillant des citrons
Le tablier perche sur le renflement de son ventre,
ce nouveau monde renflé dont elle n'est que frontière maintenant.
En haut, rayonnent une centaine de soleils pâles;
Elle en attrape un autre encore et dérange ses cheveux.
Citron, ambre, blanc, une touche de lime ;
le zeste de couleur lui refroidit la paume.
Il lui faudrait plus de tubes et de pinceaux -
un trois de martre, ou un deux
pourrait saisir la lueur autour de chaque pore.
Un tel jaune! Si on avait le temps.
Elle presse contre son visage
l'âcre et subtile odeur de sa perte
puis plonge le front vers ses poignets
- les larmes ruissellent de son menton -
jusqu'à ce que l'enfant tire sur sa robe.
Elle s'agenouille pour le serrer contre elle et lui souffle :
“Alors, qui a une vieille sotte de mère?”
Le parfum de sa peau, voilà ce qui la grise.
Il se blottit sous les cheveux défaits.
Les citrons tombés, tétons d'or,
les attendent dans l'herbe alentour.