Quelques réflexions qui me sont venues en traduisant la poésie de Silvia Pio
Ce qui m’a plu dans la poésie de Silvia Pio, c’est l’atmosphère feutrée qui s’en dégage, la solitude en sourdine (elle colore ses textes, les baigne), la tonalité (et le cœur) tranquille qui semble venir d’une certaine acceptation des remous de la vie. Sous le calme, la profondeur, et une certaine mélancolie aussi, pas du tout morbide, plutôt réflexive, sur ce qui est, et ce qui n’est plus. On se pose quand on lit Silvia Pio, le temps s’arrête, on est transposé dans une intimité sereine, le charme s’opère à travers l’ouverture subtile au lecteur/à l’autre, dans la simplicité (sincérité) d’un langage (qui n’est pas forcément facile à traduire).
Silvia Pio écrit en italien et en anglais. Dans la langue de Shakespeare, elle ré-écrit ses poèmes originellement écrits dans celle de Dante. Comme on peut le voir dans les textes suivants, les versions anglaises ne sont pas des traductions de l’italien, certaines sont plus explicites, plus précises, l’on y sent une recherche, une fouille, comme si le retour sur le texte déjà écrit entraînait un dévoilement plus grand, le désir d’en dire plus. Cette traduction/ré-écriture est en fait une reprise du texte en italien, pour en faire autre chose en anglais. Les versions italiennes et anglaises doivent être lues ensemble, elles font partie du continuum de l’écriture de Silvia Pio. « Poi eleggo tutto questo a poesia », « et j’appelle cela poésie », écrit-elle, nous aussi.
(Sabine Huynh)
Sabine Huynh a publié Avec vous ce jour-là/Lettre au poète Allen Ginsberg chez Recours au Poème éditeurs
Una volta ho detto che l’albicocco era la mia casa
perché preferivo le sue foglie chiassose
al silenzio che faceva risuonare i vecchi muri.
Quando l’autunno iniziava a confinarmi all’interno
guardavo all’albero come si guarda alla riva
alla fine di un viaggio per mare,
al sole da un luogo squassato dalla pioggia.
Ora che l’albero è morto, sono rimasta senza casa?
Avrei dovuto scegliere una quercia, un castagno selvaggio
ma anch’essi possono morire, purtroppo.
E c’era un albicocco davanti alla casa, comunque.
Una volta ho detto che l’albicocco era la mia casa
e ora in queste stanze
piene di buonsenso, vuote di senso
mi trovo a vagare.
(Passaggio in Arabia, Marco Del Bucchia Editore, 2012)
I once said the apricot tree was my home
because I preferred its clamorous leaves
to the silence sounding the old walls.
When autumn began to confine me inside
I would look to the tree as one looks to a shore
at the end of a travel by sea,
to the sun from a place ransacked by rain.
Now that the tree has died, am I homeless?
I should have chosen oak, chestnut from wildness
but they can die, too, I’m afraid.
And it was an apricot tree which stood by the house,
anyway.
I once said the apricot tree was my home
and now in these rooms
full of sanity, empty of sense
I am left to roam.
(translated from Italian by Silvia Pio)
Il m’est arrivé de dire que l’abricotier était ma maison
je préférais le bruit de ses feuilles
au silence qui résonnait contre les vieux murs.
Quand l’automne me bouclait à l’intérieur
je fixais l’arbre comme l’on fixe un rivage
au bout d’un voyage en mer
ou le soleil depuis un lieu dévasté par la pluie.
Maintenant que l’arbre est mort, suis-je sans demeure ?
J’aurais dû élire un chêne, un châtaignier sauvage
mais mortels ils le sont aussi, j’en ai bien peur.
Quoi qu’il en soit, un abricotier se tenait devant la maison.
Il m’est arrivé de dire que l’abricotier était ma maison
à présent dans ces pièces
remplies de bon sens, vides de sens
je me surprends à errer.
(traduit de l’italien par Sabine Huynh)
***
Inverno
Paesaggio raccolto si spiega
sul crinale di questa luce in attesa
virile come patriarca e saggio
Distesa di neve per guanciale
file di rami sfiorano il confine
del bianco e dell’umano
Sfuma la nebbia sospesa
svelando profili in ascolto
e la visione del cielo è preghiera
Spiraglio di vento rivela il retaggio del suolo
immobile il momento conduce
verso la schiera dei monti
che custodi stanno di tempo sepolto
Inverno sovrano ritorni
riporti duolo e sgomento
intento lontano
racconti di maniera
e orizzonti già di femminea primavera
(Passaggio in Arabia, Marco Del Bucchia Editore, 2012)
Winter
The landscape unfolds
virile like a patriarch, and sage.
On the ridge of this light on hold,
snow for pillow,
rows of branches brush the boundary
of the wilderness white and the human toil.
Hanging fog softens,
discloses listening profiles,
and the vision of the sky is prayer.
A breath of wind reveals the strength of soil,
this motionless moment leads
to the rank of the mountains,
keepers of buried time.
Winter, you come back sovereign,
bring grief and dismay,
stories of habits,
far away intention,
and horizons of spring.
(translated from Italian by Silvia Pio)
Hiver
Le paysage en boule se déploie
sur la crête de cette lumière en attente
aussi viril qu’un patriarche, et sage.
Étendue de neige pour oreiller
un cortège de branches effleure la lisière
entre le blanc et l’humain.
Le brouillard suspendu s’alanguit
dévoilant des profils à l’écoute
et la vue du ciel est une prière.
Un filet de vent révèle l’héritage du sol
cet instant immobile mène
à la rangée de monts
gardiens du temps inhumé.
Hiver, tu reviens souverain
ramenant chagrin et désarroi
un but lointain
des histoires de manière
et déjà des horizons de printemps féminin.
(traduit de l’italien par Sabine Huynh)
***
Scrivo di notte dal letto
taccheggio i frutti del buio
per scambiarli con monete del dire
e dicendo accompagno le ore
le raccolgo in fascio scomposto
le depongo sulla pira di ricordi
e varo nell’oceano del tempo
Poi eleggo tutto questo a poesia
(Da terre a terre, Ël Pèilo, 2013)
At night I write from the bed
and plunder the fruits of darkness
to exchange for coins made of words.
While herding words I gather the hours
in unseemly bundles
to place on the pyre of recollection.
Or launch into the ocean of time.
Then I name all this poetry.
(translated from Italian by Silvia Pio)
(Da terre a terre, Ël Pèilo, 2013. Twinning between the Margutte poets from Mondovì and The Red Shed poets from Wakefield)
La nuit j’écris au lit
je vole les fruits de l’obscurité à l’étalage
pour les échanger contre la monnaie du dire
et ce disant j’accompagne les heures
s’échevelant dans la gerbe que j’assemble
et que je dépose sur le bûcher des souvenirs
les voilà lancées dans l’océan du temps
et j’appelle cela poésie.
(traduit de l’italien par Sabine Huynh)
(Da terre a terre, Ël Pèilo, 2013. Livre résultant de l’échange entre des poètes de Margutte à Mondovì et les poètes Red Shed de Wakefield)
***
Nella gloria del meriggio arioso
come rondine che plana
trasportata dalla vita
la luce ha un’ombra sorniona
Nella stasi del crepuscolo
sospeso tra mondo inconoscibile e cielo
l’azzurro è sfondo d’icona
Nel giubilo degli insetti ubriachi
di fiori e follia
nel tempo del raccolto
non si miete che pena e pianto
(Da terre a terre, Ël Pèilo, 2013)
In the glory of the airy noon
like a swallow gliding
in the fast lane,
this light has a sly shadow.
In the stillness of the dusk
between the unknowable and the sky:
an icon’s blue background.
In the jubilation of the butterflies
heady with flowers and folly,
in this harvest time
we reap but trouble and torment
(translated from Italian by Silvia Pio)
(Da terre a terre, Ël Pèilo, 2013. Twinning between the Margutte poets from Mondovì and The Red Shed poets from Wakefield)
Dans la gloire d’un midi aéré
telle une hirondelle qui plane
portée par la vie
cette lumière renferme une ombre sournoise
Dans la stagnation du crépuscule
suspendu entre le monde impénétrable et le ciel
l’azur est un fond d’icône
Dans la jubilation des insectes ivres
de fleurs et de folie
en ce temps de moisson
on ne récolte que la peine et les larmes
(traduit de l’italien par Sabine Huynh)
(Da terre a terre, Ël Pèilo, 2013. Livre résultant de l’échange entre des poètes de Margutte à Mondovì et les poètes Red Shed de Wakefield)
***
In un tardo mattino in Belvedere
insieme arriviamo ancora
a portare un grano di ricordo
E torneremo a cercarci
nel selciato pietroso e nel bosso
della tua infanzia
della mia tempia bianca
Segni lasciamo cadere invisibili
per ritrovarli allora nel disegno
dei ciottoli di viale
nei mattoni della torre
e nell’orizzonte
che di noi molto avrà saputo
e conservato
Come seme che torna a fiorire
come frutto a maturare
e residuo a marcire
questa storia un senso
avrà tenuto stretto
a ridosso del vento
(Da terre a terre, Ël Pèilo, 2013)
In Belvedere
In a late hour together
we arrive once more with a grain of memory.
And again we’ll be hunting for one another
on the stony pavement of your childhood,
in the sappy bush of my temples grey.
Invisible we’ll be dropping pebbles
and finding our way in the cobble design
which lead to the tower:
we’ll be reading the book of its bricks.
The view from here has disclosed
the desires beneath our rinds.
Like seed blooming, fruit ripening and rotting
this story of ours
has grabbed some sense
sheltering it from the winds.
(translated from Italian by Silvia Pio)
(Da terre a terre, Ël Pèilo, 2013. Twinning between the Margutte poets from Mondovì and The Red Shed poets from Wakefield)
Fin de matinée à Belvedere
nous arrivons encore à porter
ensemble un grain de souvenir
et toujours nous nous chercherons
dans les rues pierreuses et dans le buis
de ton enfance
de ma tempe grise.
Nous semons des signes invisibles
pour les retouver dans le dessin
des cailloux de l’allée
dans les briques de la tour
et dans l’horizon
qui aura su et conservé
beaucoup de nous.
Telle la graine qui fleurit
tel le fruit qui mûrit
et les restes qui pourrissent
cette histoire aura tenu
serré contre elle un sens
à l’abri du vent.
(traduit de l’italien par Sabine Huynh)
(Da terre a terre, Ël Pèilo, 2013. Livre résultant de l’échange entre des poètes de Margutte à Mondovì et les poètes Red Shed de Wakefield)
***
Silvia Pio è insegnante di lingua inglese, traduttrice e interprete. Di tanto in tanto organizza laboratori di scrittura creativa. Le sue poesie sono state pubblicate in numerose riviste in Italia e raccolte in due libri, uno dei quali ha una sezione di liriche in lingua inglese. Ha vinto il premio letterario “Cesare Pavese” per poesie inedite. È tra i fondatori di Margutte, un sito web di letteratura (e altro), e si occupa della pagina di poesia. Margutte organizza regolarmente letture pubbliche e altre attività legate alla poesia nella città di Mondovì, situata nell’Italia nord occidentale, dove vivono molti dei fondatori.
Silvia Pio is an Italian teacher of English as a Foreign Language, a translator and interpreter. She also occasionally teaches creative writing. She has written poetry that has been published in a number of magazines in Italy and has had two poetry books published. One of the books has a section of poems in English. She has won the “Cesare Pavese” prize for unpublished poetry. She is a founder of Margutte, an online literary magazine, and is involved in the poetry page. Margutte regularly organize public readings and other activities linked to poetry in Mondovì, the town in north-west Italy where many of the founders live.
Silvia Pio enseigne l’anglais langue étrangère, elle est aussi traductrice et interprète. Il lui arrive également d’animer des ateliers d’écriture. Sa poésie a été publiée dans des revues italiennes et dans deux recueils, l’un d’entre eux contient des poèmes en anglais. Elle a reçu le Prix Cesare Pavese de la poésie inédite. Elle co-anime la revue de poésie en ligne Margutte, dont les éditeurs organisent régulièrement des lectures publiques et des activités poétiques à Mondovì, leur ville de résidence, au nord-ouest de l’Italie.
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