La poésie d’Hélène, une transmutation poétique

La poésie d’Hélène Cadou renverse la notion de temporalité, le passé, le présent et l’avenir sont un « temps unique » selon l’expression de Benoît Auffret. On pense alors à ce que Hélène a dit au poète Christian Bulting dans un entretien : « J’écris… contre le temps qui nous fige ».1

Ce rapport au temps a sa source dans la méditation et la contemplation qui nourrissent son écriture.

Comme les mystiques, les poètes et les peintres sont capables de figer le temps, chaque instant à goût d’éternité et comme pour les mystiques, l’absence est habitée.

C’est seulement au crépuscule de sa vie qu’elle ose témoigner de cette intimité de la Présence :

L’absence aura été cette chose que je n’ai jamais pu comprendre qui m’est demeurée comme étrangère. Jusqu’à la dernière minute, tu as été présence, tu as donné sens au monde… Il me suffit de fermer les yeux dans le silence, pour deviner, sous ma main, la chaleur de ton poignet, pour sentir en moi cette paix rassurée. 2

 

Hélène prolongera le dialogue que René Guy avait avec la nature, car elle ne cesse de l’y retrouver : « dans les glacis de l’hiver » au cœur du silence ou dans les « blés paisibles », le monde végétal est pour elle ressourcement. René le savait, elle est celle qui règne sur ce monde végétal où elle y vit à « cœur ouvert » malgré l’absence.

A « cœur ouvert », elle porte en elle René Guy, elle le porte en une maternité poétique tout autant que charnelle. René est l’enfant qu’elle n’a pas eu, la fécondité de sa poésie qu’elle a su partager avec lui de son vivant, fécondera sa propre poésie. Ce sentiment maternel s’exprimera dès 1958 dans le recueil Cantate des nuits intérieures ed Seghers comme nous le révèle ce poème :

 

Dors mon enfant paré de lys et de silence

Dors sur le grand vaisseau qui traverse le temps

La nuit est douce

Il rentre sous la lampe avec ton souvenir

Plus calme qu’un goéland

Dors mon petit enfant

…………………………….. 

Dors toi qui connus le malheur de vivre. 

 

Cette douleur de vivre qu’elle a côtoyée au plus près, est aussi douleur lumineuse, car « Dieu sur l’avenir allume l’espérance »3

Cette chambre de la douleur qu’a connue René, il la lui a léguée et elle en a fait une source lumineuse, une source vivifiante.

Hélène fidèle, fragile est cependant d’une grande force spirituelle. René est passé dans l’invisibilité, les mots d’Hélène constituent des ponts qui permettent le dialogue lumineux qu’elle ne cessera d’entretenir avec l’absent, avec l’invisible. Ils seront ces « deux êtres que le destin a éloignés à jamais l’un de l’autre et que le pouvoir du poème fait vivre dans le même espace intérieur » Gilles Baudry.

La poésie d’Hélène est une poésie de l’éveil spirituel qui a sa source dans cette force d’amour qui les a unis, en eux la certitude de se retrouver : « J’étais en René. Je parlais en lui, il parlait pour moi. » « René s’était tu, sa parole se transmuait en moi. Je voulais lui répondre. »

 

Je ferme

toutes les issues

mais au bas de l’escalier

un soir

où l’horloge

aura sonné

plus sourdement

ses douze coups

 

il sera là.

 

Sa poésie traduit comme tout ce qu'elle voit et vit, la présence de l’aimé. Les mots d’Hélène, les paysages, les lieux qu’elle décrit sont le reflet de cette âme qui n’a jamais cessé d’être en communion avec l’être aimé. L’espace temps se change en espace intérieur.

Elle sait qu’ils sont des messagers, des passeurs ; comme René Guy Cadou et avec lui, elle a su se mettre à l’écoute, elle a su être dans cet état de disponibilité nécessaire pour accueillir la parole poétique, cette parole essentielle car capable de transmuer, comme elle le dit: «  Certains faits, soudain, nous devenaient transparents, lorsque transmués par la poésie, ils réapparaissaient, sur la feuille blanche, comme voués à signifier pour tous ce qui nous avait été confié au passage, et qui, souvent, sur le champ, ne nous avait pas trouvé préparés. » 4

 

Notes

1) Revue Signe n°15-16 (p. 111)

2) C’était hier et c’est demain ed du Rocher (p.50-51)

3) Cantate des nuits intérieures ed  Seghers (p.78)

4) Revue Signe n° 15-16