La tête dans un coquillage de Patrick Pérez-Sécheret
Ce recueil s'ouvre sur un exergue qui reprend la fameuse formule de Jean-Jacques Rousseau sur la propriété : on pense alors à celle de Proudhon, "La propriété, c'est le vol". Puis dans un avertissement, Patrick Pérez-Sécheret déclare que ses poèmes sont inachevés. Faut-il le prendre au sérieux ou ne voir dans ces propos qu'une coquetterie d'auteur ? Le problème est posé : quand un poème est-il achevé ? On connaît la recette de nombreux poètes qui laissent mûrir le premier jet, parfois déjà revu et corrigé dans la foulée, un certain temps au bout duquel ils le reprennent pour d'ultimes corrections. Comment a procédé Patrick Pérez-Sécheret ? On ne sait mais son avertissement laisse planer le doute et témoigne d'une relative insatisfaction même si la publication de ce recueil laisse penser qu'il considère ses textes comme achevés d'une certaine manière, même si cela reste peut-être provisoire.
Je me dis d'ailleurs à la lecture du poème du 9 octobre 2011 (Syrie et les loups) qu'il est inachevé en ce sens que s'il faut s'indigner de la cruauté de Bachar, il faut aussi s'indigner (ou ricaner ou se lancer dans une diatribe au vitriol) du jeu des grandes puissances et de leur hypocrisie, de leur volonté d'avancer leurs pions dans cette partie du monde pour mieux dominer ce dernier… Et je me dis aussi que Je suis atteint de turquitude est achevé car s'il s'éloigne de la politique politicienne, c'est pour mieux prendre date et lutter contre l'oubli. Dans ce monde où une information chasse l'autre, où la communication sert à masquer les motivations des maîtres du moment, le poème est une machine pour s'indigner, pour ne pas oublier mais aussi et surtout pour analyser le réel dans toute sa complexité. Un poème comme La Maison près de Tiergarten rappelle justement cette complexité et l'émotion saisit le lecteur, un lecteur qui s'interroge toujours une fois le livre refermé : est-ce le quartier de Tiergarten à Berlin ?
C'est dire que cet ensemble de poèmes amène à réfléchir… On a parfois l'impression de lire un journal intime dont les pages ignorent l'ordre chronologique, on est alors dans le désordre, le plus bel ordre qui soit ! Emotion aussi quand il s'agit de compter les amis disparus dont les chers Jean L'Anselme et Allain Leprest… Mais il n'y a pas que l'émotion, il y a aussi les défis que se lance Patrick Pérez-Sécheret. Ainsi l'amour, les rencontres, les relations sexuelles : on est loin des performances à la mode ! Ainsi l'humour dans Carte postale d'Israël suivi d'un glossaire. Et ce n'est pas un hasard si l'auteur choisit la Creuse comme un pays d'exception ! Mais au-delà des mots quasiment inventés (parce que tombés en désuétude) comme églanter ou coquebin, des mots rares comme jussion, on se prend à s'interroger sur la diversité des poèmes ici regroupés : forme (vers et proses), thèmes divers abordés… On se dit alors qu'il y avait là matière à plusieurs plaquettes. Mais ce n'était pas visiblement le projet de Patrick Pérez-Sécheret.