Le livre s’intitule Effacement de Dieu et nous parle de poésie. Son auteur, Gabriel Ringlet, théologien et écrivain, qui fut longtemps professeur à l’université catholique de Louvain, s’est tourné pour cela vers les moines/poètes. Ceux-ci, explique-t-il, nous parlent beaucoup de Dieu, mais en le nommant le moins possible. Un Dieu présent/absent, en quelque sorte, mais qui vit au cœur des réalités les plus humbles. « Le moine/poète n’ajoute pas, il retire. Comme un grand cinéaste. Il condense, il resserre. Sa louange n’occulte pas. Elle ajoure ». Sur les six moines/poètes qu’il nous présente dans son livre, trois sont Bretons : Gilles Baudry, François Cassingena-Trévedy et Jean-Yves Quellec.
Gilles Baudry est moine à l’abbaye bénédictine de Landévennec, au fond de la rade de Brest. Il est l’auteur d’une œuvre poétique importante parue essentiellement chez l’éditeur Rougerie. Reprenant les mots mêmes du poète, Gabriel Ringlet dit qu’avec lui Dieu s’approche « à pas de porcelaine ». Il s’agit d’un « Dieu furtif », ajoute Gabriel Ringlet, qui vient « délicatement nous effleurer l’épaule ». De l’écriture de Gilles Baudry, il dit aussi qu’elle « jette sur le monde un regard de relèvement ».
François Cassingena-Trévedy, lui, est moine bénédictin à l’abbaye bénédictine de Ligugé, près de Poitiers. Il est aussi membre de la Mission de la mer puisque, trois fois par an, il embarque sur un bateau de pêche du Croisic. C’est aussi, et surtout, un veilleur. La nuit venue, à la chandelle, il rédige des courts textes comme autant d’Etincelles (titre de sa trilogie) surgissant dans le noir. Il est aussi l’auteur d’une Poétique de la théologie (œuvre publiée aux éditions ad Solem). Avec lui, note Gabriel Ringlet, « le poète se tient dans la sobriété, dans le manque, pas au-dessus de la mêlée, mais tout en bas, dans les tranchées sous les éboulis, là où le Verbe s’est fait chair. Son lieu, Rilke l’a assez répété, c’est la gravité, mais pas sans la joie, et avec le feu ».
Du feu, il y en a aussi dans les textes du moine/poète Jean-Yves Quellec, originaire du pays d’Iroise dans le Nord-Finistère et prieur de l’abbaye de Clerlande en Wallonie. Du « feu », mais aussi du « noir », car le moine-poète fut à l’écoute de la détresse humaine pendant vingt-trois ans dans un établissement hospitalier dont il était l’aumônier (Dieu face nord, est le titre révélateur de l’un de ses livres). Mais Jean-Yves Quellec, c’est aussi « la légèreté franciscaine », note Gabriel Ringlet, à propos notamment de son expérience d’ermite « marin » sur l’îlot de Quéménès près de Molène, relatée dans Passe de la chimère (Cahiers de Clerlande).
Chez ces trois moines/poètes, il y a la volonté « d’alléger » Dieu. Gabriel Ringlet souhaite aussi cet « allègement » pour l’Eglise. « Le christianisme d’effacement dit peu pour dire beaucoup. Il murmure pour être entendu. Il parle bas pour qu’on comprenne ». Ce christianisme-là a donc « besoin du poème » et, en particulier, de celui des moines/poètes dans « la recherche d’un Dieu qui ne se tient jamais dans le champ de la caméra ».
Et il insiste bien sur la place irremplaçable, au sein même de la poésie, de ces moines écrivains : « Je suis sûr d’une chose : cette voie poétique du dépouillement monastique offre à la poésie – à la poésie tout court – un souffle ténu d’une force exceptionnelle ».