C’est par l’intermédiaire de Daniel Ziv (les éditions Z4) que nous est parvenu, tardivement, Lamento. Le petit livre mémoriel de l’astrophysicien Jean-Claude Pecker1https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Claude_Pecker nous a profondément touchés et nous avons décidé de l’intégrer à un sommaire déjà bien rempli : il nous semblait impensable de ne pas partager notre émotion.
Dans ces poèmes, d’une poignante beauté sans artifice, Jean-Claude Pecker évoque — après un silence de 50 ans — ses parents, morts à Auschwitz en mai 1944, et à travers eux, toutes ces ombres dont le souvenir ne devrait jamais s’effacer, et pour lesquels la poésie — dernier recours de la mémoire et de l’humaine fraternité — doit témoigner, avec toute la force des mots, contre la violence du monde.
Jean-Claude Pecker, Lamento, Z4 éditions 50 p, 8 euros,
en couverture, l’auteur et ses parents, quelques jours avant leur arrestation
https://z4editions.fr/publication/lamento/?fbclid=IwAR28GJmDmxPkqVlZuFfTdCzflyLNZ3NrpkbFW4bVOptMO0A_7P97n_b-In4
Les Textes qui suivent ont été écrits longtemps après la disparition de mes parents dans le gouffre d’Auschwitz.
Ils ont été arrêtés en mai 1944. Le 10 mai pour être plus précis c’est-à-dire le jour de mon 21e anniversaire.
Nelly était une femme pensive douce et aimante.
Victor était un homme fort vibrant et actif.
Je ne me suis jamais remis leur disparition. Ils ont été arrêtés parce qu’ils étaient juifs. Après un séjour à Drancy un horrible train les a amenés à Auschwitz. Ils n’en sont jamais revenus.
LAMENTO
(1944- 1994)
Cendres
Un jour — un mois — un an -
cent ans
les souvenirs affreux s’agitent dans leurs cendres
j’ai senti ce mois-ci tout le passé descendre
sur mes yeux — sur mon cœur, comme tombe le temps
lourdement, sans espoir, sans que je puisse attendre
autre chose demain ni été ni printemps
qu’un éternel hiver où gèle à pierre fendre
le vieux soleil pâli de mes amours d’antan
le vieux soleil pâli d’une enfance miracle
d’une enfance ancienne où tout restait souriant
où ne perçaient jamais les odeurs de débâcles
où je marchais tranquille entre les fleurs des champs
où tout était en place ouvrant les avenirs.
Il ne reste plus rien que de se souvenir
soleil éteint
Le Soleil luit pour qui ? pour toi ? pour lui ? pour moi ?
Le Soleil ne luit pas
Dans le wagon plombé des dernières escales
dans le wagon fermé où l’on meurt des odeurs
odeurs de la mort lente, odeurs des hommes sales.
Le Soleil luit dehors
seulement pour les morts
mais pas pour les mourants
pas pour l’éternité de la mort attendue
pas pour l’éternité de la vie suspendue
Mais rien pour les vivants
que l’inutile aveu d’un Soleil invisible
par delà tous les murs, par-delà les espaces
que l’inutile aveu de la vie qui se passe
et des vivants qui passent
sans pleurer sans ciller sur les ombres qui meurent
le Soleil luit pour eux
pour avouer son crime
très inutilement
Eux, ils ne savent rien…
Ceux de là-bas
Ils ont marché de nuit sur la lande gelée
ils ont crié sans voix i
ls ont dévoré les raclures
dont les autres ne voulaient pas
et bu les larmes essayées
ils ont attendu des siècles si courts
à cropetons sur le sol dur
ils ont séché sur le sol dur
battus sans fin.
Nous étions avec eux comme de grands nuages
mais nous en souvenons-nous hélas ?
Car ils ont disparu emportant mon image
lumineuse pour eux tous seuls
il me reste le corps desséché des vivants
nous attendrons pendant notre vie mécanique
cette douleur ces hommes mon père
qui sont morts sans nous oublier.
*
galet offert par René Char à l’auteur
Notes