Je pense que personne n’écrit comme Laure Cambau, avec la fantaisie de Laure Cambau, la maitrise de Laure Cambau, la liberté, la jubilation, le désordre exubérant de Laure Cambon, la profondeur sereine, la cravache du mot juste, la joie, les larmes, et, en tout cela, bien plus encore, la proximité de chaque seconde poétique, qui vient cueillir l’onirisme décalé du lecteur. Je pense, donc, que peu de poètes, aujourd’hui, atteignent à cette vérité-là.
La vérité, ici, n’est, évidemment, pas de l’ordre de la sentence, ou de la sagesse, ou de l’aphorisme, ou de l’alignement. Chez ce poète, ce qui tient lieu de vrai coule et roule, se défait, se reconstruit, absolument sans idée préconçue, absolument comme la vie, si vous voulez. Et, si on admet que le poème donne à cette fluidité désordonnée, quelque chose comme un cours, comme un lit, comme un tracé, on entre dans une sémantique nouvelle : celle qui se fait en allant son chemin. Mais je parle à tort de nouveauté : c’est le destin du poème, c’est son rôle, même, et sa force, de ne dire que ce qui advient.
On nous apprend que Laure est pianiste.
Si, comme moi, vous aimez peser le monde dans le flux et le flot musical, vous concevrez, peut-être, que la beauté, comme le sens échappent à qui veut les tenir entre ses mains. La pianiste sait que tout ce qui donne du sens à son art s’efface à mesure qu’il s’affirme. En cela, la musique nous épouse : elle n’est poignante que de s’effacer.
Or, ici même, dans ce livre que j’ai aimé par-dessus tout ; ici, donc, on ne cesse de nous empoigner. On nous serre le corps, on nous relâche : l’emprise est ailleurs. À la fin, vous sortez meurtri, endolori, vivant et ravi. Car Laure Cambau ne s’est pas contentée de vous donner une heure ou deux de lecture. Elle vous a emporté dans une aventure cabossée, cabossante et, mine de rien, ce petit livre de poèmes vous aura peut-être transformé.
Comment cela peut-il se faire ?
D’abord, par la fluidité d’une langue parfaitement maitrisée, aux images à la fois féroces et intimes : Ayant perdu le fil de l’histoire /je suis tombée dans un puits d’encre / et ne suis jamais revenue / du foie de la terre (p. 35).
Mais l’œuvre tient aussi par son sens du récit. Les poèmes de Laure Cambau s’habillent de contes bien connus : Cendrillon, les Chimères, mais ils opèrent cette visite avec une fantaisie qui les déhanchent et les propulsent à nos portes, tout cela sans jamais perdre le sens de la construction.
Les poèmes de Laure Cambau ouvrent, donc, parfois des portes absurdes, toujours fantaisistes, souvent ébahissantes. Ils n’y parviennent que parce que leur auteure est une femme libre et rigoureuse, une véritable artiste, un poète, au sens fort ; au sens où quelque chose de neuf se fait, grâce à elle, sous nos yeux.
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