Le ton est donné d’emblée par l’écriture de ce récit métaphorique grâce à la référence au penseur Georges Bataille d’abord s’interrogeant, dans Lascaux, sur la place réservée à l’animal par l’homme-peintre des parois préhistoriques, dont il retire l’idée d’un rapport poétique au monde : « un sentiment plus juste de l’homme est la condition de la pensée : c’est aussi le prix qu’il faut payer si nous ne voulons pas nous fermer aux enseignements silencieux de la caverne. » puis au philosophe fondateur de l’idéalisme occidental Platon qui voit dans l’aube la promesse d’une sortie éclairée de la caverne à moins qu’il ne s’agisse d’enraciner la lumière du monde même en son sein, dans la réécriture par Alain Badiou de sa République : « Enfin, un matin, c’est le soleil, non dans les eaux modifiables, ou selon son reflet tout extérieur, mais le soleil lui-même, en soi et pour soi, dans son propre lieu ».
Sous l’égide de cette double, si ce n’est cette triple citation, Laure Gauthier déploie alors son exploration du thème des « corps caverneux » qui s’avèrent pour reprendre sa quatrième de couverture : « ces espaces vides, ces trous ou ces failles, que nous avons tous en commun et que notre société de consommation tente de combler par tous les moyens »…
Allusion au désir sexuel dans sa force insurrectionnelle, la trame de ce poème narratif se développe en sept séquences depuis « Rodez Blues » quand la pluie se mêle à l’évocation de la figure d’Antonin Artaud à laquelle l’auteure rend hommage en ces termes : « On te pardonne dieu, antonin, / On te pardonne dieu, / à la septième année / d’empoisonnement, de convulsions » jusqu’à « Désir de nuages » où se glisse cette invitation audacieuse, en écriteau surréaliste, qui n’est pas sans évoquer, quant à lui, l’onirisme érotique de Robert Desnos : « Après avoir marché dans un couloir vide, vous tenterez de dire les mots du désir que vous n’avez jamais osé prononcer, que vous avez tus, cachés, murmurés, enterrés ou rêvés ; dites ces mots ou ces phrases à voix haute ou basse, en criant, chantant, murmurant, balbutiant les mots que vous auriez un jour adressés à une personne désirée de vous » !
Laure Gauthier, Les Corps caverneux, Lancine, 2022, 136 pages, 15 €.
La deuxième étape notamment, « Les corps cav », met en garde son lecteur : « QUI OPPOSE LA FRESQUE AU POÈME VIENNE SE BATTRE AVEC MOI » et rappelle en quoi l’image de la caverne renvoie à notre dimension charnelle, quand ce n’est pas à l’élément liquide, à l’eau première d’où nous procédons : « L’idée de nos grottes résonne de chair. / Si nous sommes eau, te dis-je, / notre matière sèche n’est pas abstraite, elle est presqu’île, terre et roche, / quand on dérive / Elle est contour à notre vague. / notre matière sèche entourée d’eau. / Ne pas oublier l’eau, l’humide, 90 pour cent de chair et 10 pour cent de roche, / entends-tu ? » Manière élégante de rappeler la fibre maternelle des eaux matricielles à moins de chanter de possibles amours saphiques ? « Chanter comme un poème oublié, / une comptine trop longtemps tue / qu’on ne savait plus savoir / Lavés par le temps sappho »…
Des stances à l’adolescence, en troisième envoi, sous le signe de la poésie occitane, « QUEU PAÌS » invitent encore au sursaut, au réveil, en citant d’après Marcela Delpastre : « Anei vers queu paìs, coma aniriatz ad un amic, li borrar sus l’espatla : desvelha-te ! Quant be d’autres, davant ieu, an dich : desvelha te ? » (traduction : « J’allai vers ce pays, comme on irait vers un ami, lui taper sur l’épaule : réveille-toi ! Combien d’autres, avant moi, ont dit : réveille-toi ? ») Après ce retour souhaité au pays natal, vient un quatrième temps, celui rattrapé en « ehpad-mélodie » dont « La chambre et l’abeille » figurent le lieu et la protagoniste, avant que l’on ne s’interroge, dans une cinquième phase, « Une rhapsodie pour qui ? », ou que l’on ne plonge, sixième destination, dans « La forêt blanche » dans cette ultime question : « Où sont les grands congères du renouveau ? Où le pied / s’enfonce comme l’être / et dégage en chutant / de l’herbe verte comme jamais, / gorgée, / et la trace qui crisse d’envie / d’aller » ! D’aller, une itinérance par la matière du monde à travers ces « corps cav », eux-mêmes entre la solidité du point fixe et l’échappée vers la lumière, en « désir de nuages » à tracer l’horizon de cet énigmatique recueil…
- Retour À la ligne, en hommage à Joseph Ponthus - 6 novembre 2024
- Chroniques musicales (13) : Singulière voix de Bertrand Belin - 6 septembre 2024
- Lara Dopff, Ainsi parlait Larathoustra, Viatire, Yves Ouallet, Ainsi vivait Yvan Bouche d’or - 6 septembre 2024
- Chroniques musicales (12) : Bruno Geneste, Sur la route poétique du rock - 6 mai 2024
- Adeline Miermont-Giustinati, Sumballein suivi de le tunnel, - 1 mars 2024
- L’écho de l’écho, le carnet de haïku de l’AFAH N°12 – Novembre-Décembre 2023 - 6 janvier 2024
- Jean-Pierre Védrines, Artaud et les constellations - 30 octobre 2023
- Chroniques musicales (11) : Gaëtan Roussel, l’orpailleur de Louise Attaque à Est-ce que tu sais ? - 30 octobre 2023
- Revue la forge - 29 octobre 2023
- Chroniques musicales (10) : -M- , double masqué de Matthieu Chédid depuis Le Baptême jusqu’à Rêvalité… - 5 septembre 2023
- Chroniques musicales (9) : Raphaël, l’apiculteur de L’Hôtel de l’Univers à Haute fidélité… - 29 avril 2023
- Dominique Sampiero, Ne dites plus jamais c’est triste - 29 avril 2023
- Lu Ji, Wen Fu, Essai sur la littérature - 21 avril 2023
- Possibles N°27 – Où va la littérature ? - 6 avril 2023
- Pierre Seghers, La Résistance et ses poètes - 6 avril 2023
- Revue Cairns n°32 - 19 mars 2023
- PHŒNIX N° 38 – GIANNI D’ELIA - 2 mars 2023
- Chroniques musicales (8) : Serge Gainsbourg, de Lucien Ginsburg à « Gainsbarre », variations de L’Homme à Tête de Chou… - 1 mars 2023
- Ida Jaroschek, À mains nues - 1 mars 2023
- Daniel Brochard, Lettre d’un ex-directeur de revue de poésie à un jeune poète, Mot à maux, Manifeste pour une poésie sociale - 6 février 2023
- Chroniques musicales (7) - 5 janvier 2023
- Florence Saint-Roch, Au bout du fil, encres de Maud Thiria - 21 décembre 2022
- Bruno Doucey et Robert Lobet, Peindre les mots. Gestes d’artiste, voix de poètes - 6 novembre 2022
- Par-delà le noir — Pierre Soulages - 4 novembre 2022
- Dominique A, de l’ardent Courage des oiseaux à la Vie étrange… - 6 octobre 2022
- A propos de XXL…S — entretien avec Marilyne Bertoncini - 12 août 2022
- Maïakovski, Un nuage en pantalon - 1 juillet 2022
- Hélène de Oliveira, Un thé aux fleurs bleues - 20 mai 2022
- Revue Voix d’encre, numéro 66 - 3 mai 2022
- La Main Millénaire, une aventure poétique - 3 mai 2022
- Laure Gauthier, Les corps caverneux - 20 avril 2022
- À la Une d’oulipo.net : site officiel de l’Ouvroir de Littérature Potentielle - 20 avril 2022
- Chroniques musicales (6) : Mélodies du dandy Christophe, d’Aline aux Vestiges du Chaos… - 5 mars 2022
- La Peinture La Poésie, Numéro 81 de Poésie/première - 5 février 2022
- Chantal Dupuy-Dunier, Les Compagnons du radeau - 21 janvier 2022
- Revue Festival Permanent des Mots, numéro 26, La Poésie Manifeste - 5 janvier 2022
- Chroniques musicales (5) : Feu ! Chatterton, trajectoire(s) D’ici le Jour (a tout enseveli) au Palais d’argile - 31 décembre 2021
- Teo Libardo, Il suffira, Emma Filao, éparpiller la peau, Élisa Coste, Les chambres - 20 décembre 2021
- Yves Ouallet, De L’écriture et la vie ou la volonté de Sur — Vie à l’Apocalypse pour notre temps - 6 décembre 2021
- Alain Nouvel, Sur les bords de l’Empire du Milieu - 21 novembre 2021
- Chroniques musicales (4) : Le Voyageur Solitaire, Gérard Manset - 1 novembre 2021
- Julien Blaine aux éclats du dire ! - 6 septembre 2021
- Marilyne Bertoncini et Ghislaine Lejard, Son corps d’ombre - 6 septembre 2021
- Revue Francopolis, numéro 166 - 6 mai 2021
- Chroniques musicales (3) : Nous n’avons fait que fuir de Bertrand Cantat et de Noir Désir, aux éditions verticales. - 2 mai 2021
- Pour un horizon jaune flamboyant ! Cathy Jurado et Laurent Thinès, FEU (poèmes jaunes) - 21 avril 2021
- Ito Naga, Dans notre libre imagination - 5 mars 2021
- Chroniques musicales (2) : Vertige de la création, Alain Bashung de Gaby à Immortels… - 5 mars 2021
- Perrin Langda, poésie assistance 24h/24, Fabien Drouet, Je soussigné, attestations dérogatoires de sortie - 6 février 2021
- Chroniques musicales (1) : De l’univers de Christian Olivier, des Têtes Raides et des Chats Pelés - 5 janvier 2021
- Jean D’Amérique, Atelier du silence - 21 décembre 2020
- Catherine Pont-Humbert, légère est la vie parfois - 26 novembre 2020
- Une sorte de bleu… - 6 novembre 2020
- Lucien Suel, La justification de l’abbé Lemire - 21 juin 2020
- Hélène Dassavray et Zaü, Quadrature de l’éphémère - 21 mai 2020
- Cécile Coulon, Noir volcan - 21 avril 2020
- Amnésies, Marlène Tissot - 21 mars 2020
- Thomas Vinau, C’est un beau jour pour ne pas mourir - 6 mars 2020
- Maïakovski, Un nuage en pantalon - 5 janvier 2020