Le 23e numéro de A l’Index
Tournant la dernière page de cette 23ème livraison de la revue A l'Index avec l'intention d'en faire une note de lecture, le désir de parler de chaque poète et d'en donner un fragment me tient, tant ce numéro est de grande qualité. Malheureusement, une note de lecture doit être un précipité, et il ne sera pas possible, à moins de se lancer dans des longueurs lancinantes, de tenir un tel projet. Nous allons toutefois tenter de rendre justice à la qualité du travail rassemblé dans cette très belle revue, au physique soigné, à la mise en page impeccable rendant honneur au travail des poètes.
Jean-Claude Tardif ouvre cette parution sur un ton roboratif, admonestant une ironie à propos des poètes et poétesses ne s'intéressant qu'à leurs propres poèmes au détriment de l'immense trésor s'écrivant autour d'eux et relativisant leur place.
Puis vient le premier chant, celui de Werner Lambersy que nous sommes heureux de retrouver dans ces pages, offrant un bel hommage, inspiré, à Pina Bausch :
Au temps qui s'use dans la durée
Pina Bausch
Peut danser immobile et montrer
Ce qui danse
Et constitue
La matière des poupées russes de
L'univers
La marche contenue dans la chute
Et les bonds
Les sauts de cabri des désirs qui ne
Peuvent rester tels
Sans retomber dans l'ordre violent
Dans la posture
Où Pina Bausch attend les passages
De comètes de l'amour
Le terrible goutte à goutte
De la beauté qui perce l'acier le plus
Dur de l'âme
A cet hommage métaphysique nous intimant de danser la vie sous peine de perdition (« danse, danse où nous allons tous mourir » disait Pina) succède la prose métaphorique de Dominique Sampiero qui, s'occupant de son jardin, y déplorant de n'avoir pas la main verte, se concentre sur l'arrachage des mauvaises herbes. Nous y verrons le lien étroit entre le jardin et le paysage intérieur, l'espace verdoyant entourant la maison et la discipline de l'écriture hantée par les mauvaises pensées, si elles existent, voire la mauvaise vie, si elle ne nous torture pas. Un texte brillant comme un héliotrope.
Nous entrons ensuite dans la partie intitulée Jeux de paumes, petite anthologie portative, rassemblant 6 poètes de valeur : Olivier Chéronnet, Guillaume Decourt, Samuel Dudouit, Jacques Houssay, Juliette Mouquet et Roberto San Geroteo.
Nous retenons ces extraits, donnant une idée de ce qui les habite :
nous sommes des êtres de passage
attentifs au mystère d'exister
les conduites exemplaires
le cœur en miettes
elle ne sait pas si à la fin du mois elle a gagné de l'argent
elle dit : "qui n'a pas ces embêtements ?
Ceux qui habitent les cafés sont sans amour"
mais qui est vraiment jamais sans amour
extrait de : Droit d'asile au XXIe siècle
Olivier Chéronnet
Puis cet extrait du magnifique poème de Guillaume Decourt, Je porte le nom des poissons qu'on pêche au filet
Le chant du ferrailleur
C'est le matin qu'on l'entend
A l'ombre des rides de l'olivaie
Le sperme noir du poulpe à bout de trident
Avec l'âne patte avant
Avec l'âne patte avant patte arrière liées
Et cet extrait de Bande Passante de Samuel Dudouit :
casanièrement tissé des eaux troubles où tu dors
hypnotiquement pressé comme agrume cérébral
ton je fait le toutou
sur les pelouses d'un moi vautré dans sa berline
la radio décervelle la clim'anesthésie
au feu rouge la mort bâille
es-tu encore en vie ?
Ces six poètes laissent ensuite la place à la Voix donnée à Eric Chassefière, qui nous chante ses Nocturnes ainsi qu'un Chopin maestro, avec des poèmes comme ce bel onzain :
Etoiles filantes de la pluie
dans un ciel d'arbres sombres
de prairies aux gris ductiles
filaments de l'eau blanche
qui s'étirant sur le vitrage
paraissent les reflets d'un fleuve
et parfois quand la pluie faiblit
que s'effrangent les traînées de gouttes
c'est un vol d'oies sauvages qui passe
approfondit sous lui la secrète estampe
dont détacher le pinceau des yeux
Nous avons plaisir, au sortir de ce chant réclamant notre attention silencieuse et recueillie, à lire la belle tessiture de Gabriel Okoundji, nous offrant des fragments d'un ensemble nommé SAHARA :
Désert !
A l'aune des commencements, Dieu créa ton visage noir et blanc il te nomma dès l'instant où la lune, comblée, se retire dans le soleil
Sahara, Ténéré, Sahel, ultimes vocables natifs des langues de ton sol
terre des hommes, tu connais l'énigme du silence des pierres.
Graine semée :
Qui ne connaît pas le silence du désert
ne sait pas ce qu'est le silence
Un poète que l’on retrouvera dans nos pages : http://www.recoursaupoeme.fr/po%C3%A8tes/gabriel-okoundji
Ne pouvant donc pas citer tous les poètes, nous terminerons par la partie nommée Voix d'ailleurs, partie bilingue rassemblant deux poètes de l'Etat de Bahia, dont Antonio Brasileiro, dont nous reproduisons l'un des riches poèmes en son intégralité :
Diviseur d'eau
Messieurs, nous sommes tous
de la même souche vus aux jumelles.
Mais nous ne sommes pas les mêmes.
Moi, avec mes poèmes impénétrables
vous, avec vos cravates colorées/
moi, avec cette conscience de moi
vous, avec votre table riche/
moi, à la recherche de l'éternel inatteignable
vous, avec vos cravates colorées/
moi, méditant toujours sur vous
vous, avec votre table riche.
Nous ne sommes pas de la même souche, mais vus
aux jumelles nous sommes les mêmes.
Voilà une grande injustice.
Il faut saluer le travail passionné du poète Jean-Claude Tardif qui se donne corps et âme dans cette revue remarquable.