Une des très belles aventures revuistiques de ces dix dernières années, en poésie, mais pas seulement, qui s’interrompt ; pas de tristesse pourtant. Le Bateau avait prévu son dernier voyage, une sorte de sabordage volontaire dès sa première sortie du port. Telle était la volonté de son directeur et poète talentueux, Mathieu Hilfiger.
Les voyages du Bateau fantôme ont suivi dix trajets précis, toujours dans un habit de grande beauté : la maison, l’arbre, la douceur, le livre, la nuit, l’enfance, l’animal, le silence, l’amour et… la mort. Pour terminer. À chaque fois, le numéro comporte des poèmes en vers et ou en prose, des textes, de la philosophie, des œuvres d’art, des entretiens… Un ensemble toujours très riche. Mathieu Hilfiger a conçu cette aventure comme un cycle en dix étapes. Et il y a quelque chose d’initiatique dans tout cela, dans cette fin qui n’en est pas vraiment une, plutôt une porte ouverte vers autre chose, l’ailleurs.
Ce dixième et dernier volume offre un sommaire de toute beauté. Il s’ouvre sur un entretien entre Bruno Gaultier et la philosophe Françoise Bonardel, auteur de livres sur l’alchimie, le sacré et la situation de la civilisation européenne contemporaine. Une pensée en actes, sur la mort, autour de Nietzsche. Ensuite, poètes et essayistes alternent. Il n’est jamais possible de tout évoquer lorsque l’on parle d’une revue. L’essai d’Anne-Marie Baranowski, sur le Château de Kafka et Vampyr de Dreyer, et celui de Jean-Noël Duhot, La mort, l’Au-delà, les Grecs et nous ont attiré mon attention. Mais le Bateau est aussi, surtout de mon point de vue « orienté », une revue de poésie. Et sa richesse en ce domaine est grande. Dans cette ultime livraison, on trouvera des poèmes de Gwen Garnier-Duguy, Gérard Bocholier, Matthieu Baumier, Bernadette Engel-Roux, Ugo Feracci et des proses poétiques de Jean-Marc Sourdillon et de Mathieu Hilfiger.
Ainsi Mathieu Hilfiger :
La langue que nous parlons n’appartient jamais qu’aux morts. Nous projetons devant nos bouches des sons qui sont des échos du passé. De ces échos balancés dans le vide nocturne d’un haut sommet glacé.
Nous parlons du temps d’un passé composé, dont les auxiliaires assurent la révolution. Les mots partent de nos gorges, lancés vers le présent, car nous parlons à partir d’auparavant. Nous les lançons derrière nous afin qu’ils reviennent un peu vers nous, comme des boomerangs. N’est-ce point étrange ?
Extraits de Nuit primitive
Gérard Bocholier :
La terre sera légère
Les rocs et le ciel de plomb
Puisque je vivrai ailleurs
Hors de ma chair de limon
J’aurai quitté les pensées
D’ici pour celle des morts
Et ta gloire emportera
Mon sable dans ta lumière
Extrait de La mort si simple
Gwen Garnier-Duguy :
Quelque chose nous tient
enfouies
nous, veille
C’est ici que s’entend
le sens
du rythme
Nous ne pensons pas
Nous sommes
Jointure
Conservons
le feu au sein
des demeures
extrait de Pensées Pariétales
Un volume que l’on ne peut que chaudement recommander, comme l’on conseillera de se tourner vers les anciens numéros où l’on retrouvera nombre de poètes français parmi les plus importants, ainsi par exemple, dans le numéro précédent consacré à l’amour : Pierre Dhainaut, Jean Maison, Jean-Pierre Lemaire, Isabelle Raviolo, Yves Bonnefoy, Judith Chavanne, Gérard Bocholier, Jean-Marc Sourdillon, Bernadette Engel-Roux, Mathieu Hilfiger, Myriam Eck, Béatrice Bonhomme…
Sophie d’Alençon
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