Il est Trégorois. Il écrit en breton. Mais l’édition bilingue (breton-français) de son dernier livre de poèmes permet au lectorat non bretonnant d’entrer dans l’univers d’un auteur de plain-pied avec la nature. Le Kan ar stivell (le chant de la source, le chant de la fontaine jaillissante) de Fanch Peru n’est pas, en effet, sans rappeler le Kan an douar (le chant de la terre) de la merveilleuse Anjela Duval, sa compatriote décédée en 1981.
Chez les deux poètes trégorois, le même amour des champs, des fleurs, des talus et des bêtes. Le même attachement à une Bretagne victime des coups de boutoir d’une modernisation mal contrôlée. « La poétesse s’est tue/Et ses chiens/Et les grillons aussi », écrit Fanch Peru de retour au « val tranquille et muet » où vivait Anjela.
Mais – on le sait bien – il ne suffit pas de parler des fleurs ou des « petits oiseaux » (comme disent ceux qui se moquent de la poésie) pour faire un grand poète. Si l’écriture de Fanch Peru mérite toute notre attention, c’est d’abord parce qu’elle puise dans cette oralité qui fonde l’expression poétique bretonne et plus généralement celtique. « Lisez Fanch Peru et lisez-le à haute voix pour que sa langue se répercute longtemps après lui et pour que l’oiseau de sa vérité déploie ses ailes », affirme l’écrivain Yann-Ber Piriou dans la préface du livre.
Il y a plus. Au-delà de l’incantation, il y a la fraîcheur du regard, l’empathie avec la nature jusqu’à faire littéralement corps avec les éléments, la terre, le ciel, les animaux (y compris ceux que l’on méprise comme le crapaud). Le poète leur donne une existence que nos esprits rationnels ne soupçonnent pas. « Brise légère/Chuchotement incessant/Des feuilles de peupliers/Mais qu’ont-elles donc à se dire ? ». Cette empathie vire à la compassion quand le temps fait son œuvre. Sous la plume de Fanch Peru, les pétales d’un pommier deviennent des « larmes blanches » quand le vent les disperse. Mais le poète rassure le pommier. « Ne pleure pas mon arbre/La mort de chaque fleur/Cache une conception/Et plus tard viendra un fruit ».
Cette intégration au cosmos (que de belles pages sur les nuages !), cet immense respect pour tous les êtres vivants et ce sentiment de la fragilité de la vie le rattachent, bien sûr, à la grande fratrie des poètes du monde celtique, notamment les auteurs de langue gaëlique. Il est symptomatique que Fanch Peru se soit rendu, de passage en Irlande, sur la tombe de Sean O’Riordain (1916–1977). « L’éternité existe-t-elle, comme disent les saints/Derrière les vers et la terre du cimetière/Est-ce que le baiser que j’ai manqué dans ma vie/M’attend de l’autre côté de la poussière ? », écrivait le poète irlandais. « Au-delà des ténébres/Y‑a-t-il/Une autre clarté ?/Où l’on retrouve/L’amour perdu/Au moment du passage/La chaleur d’un baiser/La douceur d’une caresse… », interroge, à son tour, Fanch Peru.
On ne saurait pourtant se contenter « d’assigner à résidence » le poète trégorois. Dépassant les bornes du monde celtique, Fanch Peru nous livre des poèmes que ne renieraient pas les plus grands auteurs japonais de haïku. Il a cet art consommé de frapper juste et vrai (dans des poèmes de trois ou quatre vers) pour nous faire partager le passage des saisons dans sa villégiature de Pont-Ar-Stivell. « Bêche en terre/un rouge-gorge au bout du manche/repos du jardinier » (mars). « Sur le mur du vieux manoir/la vigne rougit/comme une vierge » (octobre).
A l’affût, respirant son pays par tous les sens (ah ! l’odeur des fougères après la pluie), Fanch Peru nous livre, mine de rien, des bribes de sagesse. « Ruisselet/Qui rejoins la grande rivière/As-tu bien réfléchi/Avant ? ». Sourcier des mots, il dit l’élémentaire, le « durable » dans un monde un peu fou, frappé d’amnésie et gagné par la vitesse. Sa poésie est ainsi, à bien des égards, une forme de « poéthique ».
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