Le dernier mot cependant de Jean-Pierre Védrines
Le dernier livre de Jean-Pierre Védrines témoigne d'une quête : celle d'une écriture balancée entre la vague écumeuse et la flamme. Réconcilier les contraires, avancer éclairé par le point d'origine qui accompagne chaque homme dans sa mémoire ancienne, avancer avec la trace de la source première, mais avancer, à la recherche du dernier mot.
Il ne s'agit pas ici pour le poète d'avoir le dernier mot. Mais de trouver le dernier mot, cependant, dans toute la lumière de sa justesse. Aussi ce livre ternaire commence-t-il par une première strate nommée Mythologies, au travers de laquelle le poète dialogue avec l'élan premier présent en chacun : "Tu es la part primitive/le croissant qui déchire les ténèbres." Cette part de l'homme se décline en sa mythologie à travers les déesses et les dieux. Tamar, Vénus, Rê, Thot, Osiris, Dionysos, Aphrodite. Les femmes ouvrent et ferment la danse, dans un dialogue relié.
Cette porte mythologique permet alors au poète d'aller Plus loin, ouvrant ainsi la deuxième strate de sa quête. Il se confronte alors intérieurement aux thèmes fondateurs qui balisent l'esprit d'un homme, et ce sont des poèmes splendides que le quêteur fait fleurir dans sa nuit :
La naissance du monde
(extrait)
ombres de la nuit
à l'abri des regards
battements d'aile
animalité de l'imagination
étonnement
gong
l'esprit de l'animal
se cristallise
métamorphose inépuisée
sifflement de la salamandre
plus loin le vivant
se déplace d'un son
silence
l'écriture de l'absent
la mélancolie du soir
l'ombre errante
perd sa place
l'hospitalité offerte des branchages
oubli de la feuille
la feuille intérieure
la main du bois
l'âme de la pierre
dans la chevelure du soir
le feu ténu
de la trace
laisse aller le son
le verbe de lumière
jusqu'à l'arbre
jusqu'à l'étoile dans le ciel
le langage vient de loin
pour dire sa vérité obscure
absolue
A cette naissance succède L'ombre sertie de feu, le merveilleux poème La jarre profonde composé en vers et en prose, et se termine par Le feu, toute prose se consumant entre silence et corps auquel il donne naissance, entre bouche et langage, entre sexe et mort. Le poète, par la langue, interroge le langage grâce à une parole simple et profonde puisée aux images collectives, essentielles : "La danse est une célébration du langage de l'homme", "L'absence est aussi dans la lumière du mystère, dans la trace des traces de l'homme sur la terre."
Cette interrogation tissée d'espérance tempérée par des accès de néant ouvre alors la troisième partie de l'ensemble, intitulée Le Livre. La prose, ici, remplace le vers du début. Le long poème s'est substitué à la densité de l'entame. Le poète continue son chemin éclairé d'amers qu'il saisit pour en faire des poèmes. Une conscience en acte. Disant le réel primordial de l'homme. Le captant à pleine vision. Le chantant dans ses doutes et ses pas. "J'ai cherché dans l'écriture du livre la clef pouvant m'ouvrir le passage." Le poète cherche l'écriture du livre. Mais le cherchant, il écrit lui-même ce livre et participe alors du grand livre ouvert qu'est le monde, qu'est la vie en son cosmos. "Dans la parole de l'homme tu étais rubis. Tu étais la flamme et je n'avais jamais été la demeure."
Les poèmes de cette partie la plus fournie s'égrainent comme des petits cailloux lumineux sur la route du quêteur. La litanie des titres constitue la naissance d'un poème en soi : La femme nomade, Rose du crépuscule, La fête, La chair, Le premier passant, Tu es ma demeure, Le nom perdu, Le Lien, Mémoire, et, en final, Le veilleur.
Cet ultime poème, d'une grande puissance, commence ainsi : "Demain, tu me trouveras dans le champ de cendre, la tête fendue comme le bois sous la cognée du bûcheron. Nu, mêlé aux ossements de mes ancêtres. J'aurai la main sur le chemin difficile du livre, sur le dernier passage."
Quant au dernier mot du livre, qui est le chemin juste de la sagesse, je vous laisse le découvrir par vous-même pour ne pas déflorer le mystère de ce haut chant.
Jean-Pierre Védrines transmet, avec ce livre, la fidélité de cœur qui l'anime en tant qu'homme et en tant que conscience poétique. Cette fidélité de fond a été récompensée par le Prix d'Edition poétique de la Ville de Dijon, pour l'année 2013.