Je l’ai déjà écrit, ici ou ailleurs : une vie de lec­ture com­porte des sur­pris­es rougis­santes. Cela fait longtemps que Jean-Marie Bar­naud pub­lie de la poésie et Le don fur­tif est le pre­mier livre de lui qu’il m’est don­né de lire. C’est désolant. C’est mag­nifique. C’est mag­nifique, en effet, car pour toutes les raisons qui suiv­ront ce préam­bule, la décou­verte, même tar­dive, d’un poète de cette haute qual­ité irrigue le cœur et la con­science. C’est désolant, aus­si, et cela me place dans une pos­ture mod­este. Quelqu’un d’autre, qui con­naitrait mieux cette œuvre, en par­lerait assuré­ment bien plus habile­ment que moi.

Tout cela est sec­ondaire. Car Jean-Marie Bar­naud com­mence par le com­mence­ment. Son recueil s’ouvre par une médi­ta­tion sur son art, une médi­ta­tion qu’il tire des pro­fondeurs, mais qui remonte à la sur­face par le truche­ment d’un ques­tion­nement essen­tiel : Que cherche-t-on / qu’on n’ose plus nom­mer / de peur de se men­tir / ou d’agiter les dépouilles / d’un sim­u­lacre (p. 11). Le fond du prob­lème est posé, qui est aus­si le fonde­ment du poème. Et c’est une question.

Là où va le poème importe, c’est cer­tain. Car le long prati­cien de la poésie qu’est Bar­naud : auteur, cri­tique et directeur de col­lec­tion, doit savoir l’importance de la poésie. Mais il en sait d’autant mieux la fragilité. Le sim­u­lacre est aux aguets. D’emblée, le poète l’avoue et cet aveu le rend crédible.

La crédi­bil­ité poé­tique de Jean-Marie Bar­naud tient, aus­si, au fait que ce poète con­nait son méti­er. Je sais qu’il parait obsolète de s’attarder sur ce point. Et pour­tant, voici sep­tante pages de poésie qui tombent dans la bouche avec aisance. Sans aucune facil­ité, Jean-Marie Bar­naud donne à lire des poèmes qui scan­dent le rythme et passent la langue par le corps. Tout sonne bien et juste, dans ce recueil, que je me suis sur­pris à chu­chot­er, à lire à voix haute, tant la prosodie en est ferme et assurée.

Rien ne vient rompre, d’ailleurs, entre les pre­miers textes qui regar­dent le geste poé­tique et ceux qui, ensuite, dénon­cent cer­taines bar­baries de notre temps, l’allant de cette langue maitrisée et cepen­dant frag­ile. La vio­lence peut habiter l’auteur, qui nous place, sans ménage­ment aucun, par­mi (…) les effarés les naïfs / penchés une fois de plus / au-dessus de l’horreur / ayant statué con­tre toute rai­son / que plus jamais l’horreur (…) (p.20)

J’admire, donc, l’engagement de ces poèmes. Ils ne mili­tent pas (Dieu mer­ci). Ils font mieux. Ils croisent et rassem­blent l’effarement poé­tique avec la prise de con­science poli­tique. Ils ne pro­posent ni analy­ses, ni solu­tions. Ils font ce que peut faire la poésie : con­vo­quer, aux sources d’une impos­si­bil­ité de dire, un cri de révolte. Ils rassem­blent. Ils font feux. Ils délient les poètes du nom­bril­isme. Ils veu­lent une « vraie vie », même impos­si­ble – parce qu’on ne peut tout de même pas se con­tenter de lire et d’écrire des poèmes, ou de s’y réfugi­er, quand la souf­france par­le et risque de se per­dre au sac / de la mémoire…

 

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Lucien Noullez

Lucien Noullez est né à Brux­elles en 1957. Il a enseigné dans cette ville pen­dant quar­ante ans. Il a écrit une ving­taine de livres de poèmes, qui sont sou­vent d’inspiration musi­cale ou biblique, un réc­it, des cen­taines d’articles de cri­tique lit­téraire… Il a aus­si pub­lié trois tomes d’un Jour­nal, et quelques réflex­ions sur la musique de l’histoire. Il a reçu cer­tains prix lit­téraires, et il en a loupé bien d’autres ! Ses prin­ci­paux livres étaient jadis pub­liés à L’Âge d’homme. Un nou­veau recueil de poèmes sor­ti­ra au print­emps, aux Édi­tions Corlevour.