Le mangeur de nèfles (Haïkus libres) de Werner Lambersy
La nèfle, appelée parfois cul de chien, s’accommode assez bien, dit-on, dans les recettes, d’une cuisine prétendument « sauvage » qui convient parfaitement à Lambersy. Car cela fait près de cinquante ans que cet enchanteur promène sa caresse griffue sur la langue et donne, dans des formes et des formats extrêmement variés l’une des œuvres poétiques françaises les plus importantes d’aujourd’hui. Une œuvre dispersée, apparemment éparpillée, mais que rassemble paradoxalement l’esprit d’un nomadisme d’une rare densité.
Werner entonne depuis toujours, en même temps que la mélopée des voyageurs, la valse nostalgique d’un ailleurs ou d’un autrefois. Seule la sensualité, toujours présente chez lui, rend proche ce qui s’est écarté. Mais sa douceur écorche, ici et là. Car ce qui tombe sous le charme, risquerait bien d’assoupir le lecteur paresseux ou trop fervent.
Pour le coup, il ne faut guère aller bien loin pour dénicher les nèfles que le poète donne à croquer. Mangeur / de nèfles dorées / en sandales dans un sous-bois de pin.
On voit le paysage et la lecture de ces libres haïkus ne dépaysera pas. Sauf que, même irréguliers, même écrits en français, ces petites choses poétiques peuvent retentir longuement dans le silence du corps : Lanternes / dans la nuit chaude,/ quand mes amis seront-ils de retour – et voilà comment un grand poète peut faire ployer en douze mots seulement ce que René Char appelait « Toute la fatalité de l’univers »…
Fatalité ? On la comprend dans Les Feuillets d’Hypnos, mais elle convient mal au Mangeur de nèfles. Car ces haïkus français (bien plus fidèles dans leur liberté formelle aux haïkus japonais, dont la métrique échappe à notre langue), ces haïkus, si ils ploient dans l’attente des éloignés et dans une certaine forme de chagrin, voire de dénonciation sociale (Fin du marché / des vieux se courbent, / en deux, ils fouillent les cageots), ces haïkus sont d’abord des petits cris poussés dans le silence, pour réveiller le gout de vivre :
Érection
du matin, pour rien
un peu comme hisser les couleurs
Ils sont, comme toute poésie, plantés dans la conscience. Ne dormez pas. Crachez la mort. Il reste quelque chose à vivre.