Il fait, dans ce dernier passage, allusion à Einstein et à sa théorie de la relativité générale ainsi qu’à la théorie quantique qui ont révolutionné la physique au début du XXe siècle.
Dans cette allocution il parle longuement du rôle essentiel à la fois du poète et du savant. Elle se termine ainsi : « Au poète indivis d’attester parmi nous la double vocation de l’homme. Face à l’énergie nucléaire, la lampe d’argile du poète suffira-t-elle à son propos ? Oui, si d’argile se souvient l’homme.
Et c’est assez pour le poète d’être la mauvaise conscience de son temps ».
L’astrophysique révèle d’autres façons de compréhension, comme « un sentier différent vers le magma obscur de la réalité » selon l’expression d’Hubert Reeves.
Cela nous fait prendre la mesure de cette notion vertigineuse du réel et du sens de l’univers. De son profond mystère, qui est commun pour le scientifique et pour le poète.
La cosmologie moderne date du début du XXe siècle. C’est d’abord Einstein qui, avec ses théories de la relativité restreinte puis de la relativité générale nous a obligé à reconsidérer les notions d’espace et de temps et nous a conduit à une théorie relativiste de la gravitation qui change notre façon de comprendre l’univers. Mais il était resté sur l’idée, comme tous les scientifiques de l’époque, que l’univers était stationnaire et immuable. L’astrophysicien et chanoine Georges Lemaître a eu l’idée de revoir les équations d’Einstein et de proposer l’hypothèse d’un univers en expansion en 1927. C’est le modèle de « l’atome primitif » qui deviendra le Modèle du Big Bang. En 1912, Vesto Slipher avait été le premier à observer le décalage vers le rouge de la lumière provenant de quelques galaxies. Puis en 1929, Hubble et Humason formulèrent la loi empirique reliant le décalage vers le rouge et la distance des galaxies. Elle confirmait ainsi les hypothèses de Lemaître de l’expansion de l’Univers. Par la suite deux autres preuves observationnelles décisives donneront raison aux modèles de Big Bang.
Puis on s’est rendu compte, dans les années 90, en étudiant les explosions d’un certain type de supernova ( une étoile en fin de vie qui produit, entre autres, une gigantesque explosion qui s’accompagne d’une augmentation brève et très grande de sa luminosité) que l’expansion de l’univers était en train d’accélérer. Cette accélération laisse penser qu’une énergie s’opposerait à la gravitation (parce que la gravitation doit rapprocher les corps matériels). On essaye donc de comprendre cette énergie que l’on appelle Énergie Noire. On a quelques idées de sa nature mais beaucoup de travail reste à faire.
En 1970 également, une astronome américaine, Vera Rubin, qui travaillait sur la vitesse de rotation des étoiles autour de centres galactiques, avait montré qu’il existait aussi une matière qui nous est invisible et qui est importante. On lui a donné le nom de Matière Noire (appelée aussi matière sombre). Elle représente presque un quart du contenu de l’univers, et l’on en recherche la nature. Les mots qu’utilisent les physiciens ont vraiment des résonances avec des choses dans l’imaginaire.
Cette matière noire, elle est avec nous, mais on ne la voit pas. On s’en rend compte par des effets gravitationnels extrêmement forts. Mais on baigne dedans. Elle est là, on le sait, mais on voudrait savoir de quel type de particules invisibles elle est formée. Des centaines de collègues la recherchent.
On essaye d’imaginer un monde qui aurait des particules qu’on appelle supersymétriques, à l’image des particules élémentaires, mais plus massives ce qui expliquerait pourquoi on ne les a jamais observées. L’une d’elles pourrait être la clé de la matière noire…
Ainsi, l’Univers serait composé à 4% environ de « matière ordinaire », à 23% de matière noire et à 73% d’énergie noire. La majorité de la masse des galaxies et des amas de galaxies se trouverait sous forme invisible.
Il nous reste beaucoup de chemin à parcourir pour comprendre l’Univers. Ceci dit, nous sommes capables dans les théories de Big-Bang, sous certaines hypothèses, d’imaginer le devenir de notre Univers.
Il pourrait se refermer sur lui-même (c’est le Big Crunch), ou continuer à s’étendre et disparaître (ce serait une sorte de mort thermique de l’Univers). Autre hypothèse, s’il y avait une accélération trop grande de l’Univers, celui-ci pourrait complètement se disloquer (c’est le Big Rip). Mais ce ne sont que des hypothèses du destin possible de notre Univers…
Le travail du scientifique qui doit maintenant essayer de percer les mystères de la matière noire et de l’énergie noire est immense !
Peut-on, comme Baudelaire, conférer au poète un rôle nouveau d’intermédiaire entre la Nature (dont le scientifique cherche à percer les mystères) et l’Homme (c’est à dire le scientifique lui-même) ?
Vous travaillez également avec des artistes, dans le monde du théâtre, de la musique de la photographie et même de la performance, pour faire connaître ces mondes complexes et en évolution ?
J’ai collaboré avec des metteurs en scène et comédiens, comme Gérald Robert-Tissot sur « Réalité quantique contre bon sens », à l’occasion de la création théâtrale En même temps (2010).
Je me souviens d’une très belle rencontre avec Bernard Kudlak, directeur du Cirque Plume lors d’un échange face au public avant l’un de ses magnifiques spectacles.
J’ai aussi longuement collaboré avec l’artiste Laurent Mulot à partir de 2007 sur le projet de Augenblick, travail sur le thème du CERN et dont les supports sont la photographie, le son et la vidéo.
Je lui ai proposé de venir au CERN où je travaillais, pour le mettre en présence, sous terre, avec une expérience scientifique située auprès de l’accélérateur de particules appelé LHC (Large Hadron Collider). C’est de là que lui est venue l’idée d’étudier ce que font les physiciens, et de s’intéresser aux collisions de particules qu’ils enregistrent. Il faut bien réaliser que l’on est à 100 m sous terre en moyenne et que l’accélérateur est dans un grand tunnel de 27 km de circonférence.
Puis il est allé à la rencontre des gens qui vivent en surface juste au-dessus, le paysan avec son tracteur et ses vaches, la caissière d’un supermarché, et bien d’autres… Ensuite il a juxtaposé les images des expériences scientifiques et celles qui ont été prises au même moment au-dessus, dans le paysage public, et il a mis en parallèle ces deux mondes, le monde des gens que l’on rencontre au quotidien et le monde de la physique des particules. Deux mondes qui ne se voient pas, ne se rencontrent pas, ne communiquent pas et qui pourtant sont dans une réelle proximité. C’est très fort d’avoir pensé les choses de cette façon et c’est une ouverture extraordinaire entre les scientifiques dans leurs expériences souterraines et les gens qui vivent en surface. Leurs préoccupations et leurs interrogations sont proches.
Laurent Mulot a réalisé d’autres projets sur le même thème avec différents scientifiques (Augenblick :
http://mofn.ens-lyon.fr/augenblick-us.html).
Il a créé encore
Aganta Kairos en relation avec une expérience sous-marine de détection de Neutrinos. (particules élémentaires qui appartiennent à la famille des leptons dont nous avons parlé au début). Ce sont des « particules (fantômes) élémentaires » dont certaines viennent de l’espace. Elles sont invisibles et nous traversent en permanence mais sans nous perturber. Ces neutrinos sont donc de véritables messagers venant du cosmos. Au départ on ne connaissait que la lumière comme messager de l’univers. Maintenant on a la lumière (ou plutôt au sens large le rayonnement électromagnétique) et les neutrinos. On a même un troisième messager du cosmos qui a été découvert en 2015, ce sont les ondes gravitationnelles. On reçoit donc, avec cette astronomie multi-messagers beaucoup d’informations sur notre univers, ce qui nous permettra de bien mieux le comprendre. L’installation
Aganta Kairos montre toute cette réalité inspirée par les neutrinos.
J’aimerai encore que vous me disiez un mot sur la réflexion que vous menez sur les rapports science et art dans le cadre de l’Université Ouverte Lyon 1 et du Musée des Beaux-Arts
J’ai commencé à m’intéresser à ces « regards croisés entre Science et Art » en 2007 avec un de mes collègues de l’université Lyon 1. Nous avons pris contact avec le musée des Beaux-Arts et nous avons proposé de faire des exposés à deux voix, un physicien et une médiatrice, sur la relation « Science et Art ».
J’y réfléchissais déjà depuis quelque temps. Il y avait un tableau qui avait attiré mon attention et qui m’avait beaucoup touché. Au musée des Beaux-Arts de Lyon est exposé un triptyque de Frédéric Benrath qui date de 2004 intitulé Le noir de l’étoile. Je me suis interrogé sur l’origine de ce titre. Je me suis rendu compte que le compositeur de musique contemporaine Gérard Grisey avait été inspiré par l’astronome américain Jo Silk qui lui avait fait découvrir le son des Pulsars (objet astronomique émettant un signal périodique). Il avait composé une œuvre musicale dans les années 90, qui avait elle-même influencé Benrath. Ce compositeur avait d’ailleurs collaboré avec Jean-Pierre Luminet lors de l’élaboration de son œuvre musicale. Il y a là toute une inspiration profonde et réciproque entre science, art, musique et poésie.
Et sur quels types de thématiques vous avez travaillé dans ce contexte ?
Nous avons commencé par choisir des thèmes en relation avec les œuvres du Musée des Beaux-Arts. L’idée était d’assurer une continuité entre les exposés théoriques et la médiation devant les œuvres elles-mêmes, et d’effectuer une autre approche des mêmes questionnements.
Les thématiques furent nombreuses. Au départ mon idée était de comparer les fractures qui s’opérèrent en art et en science lors du passage du XIXe au XXe siècle. Il s’agissait de chercher l’existence des signes précurseurs dans ce changement de la production de la pensée artistique et scientifique, et de voir si l’on ne pouvait parler que de coïncidences, ou bien s’il existait des influences réciproques…
De nouveaux courants de pensées ont émergé à cette époque dans les domaines de la science comme de l’art. La science a connu de profondes transformations, liées, entre autres, à de nouveaux modes d’approches et d’expérimentation. En peinture, le tableau devient l’expression d’une nouvelle perception de la réalité où la notion d’espace et de temps devient indissociable de l’œil et donc du point de vue. Cela questionne sur les nouveaux modes de perception de la matière qui aboutiront à une nouvelle vision du monde en science et en art.
Nous avons aussi proposé un exposé sur le vide, L’éloge du vide. Depuis longtemps, dans l’art, le vide est un élément essentiel. Mais en science, ce n’est que récemment, que le vide (quantique) est envisagé comme une entité très importante. Et on peut se demander si son énergie n’influencerait pas le comportement de l’Univers ?
D’autres sujets ont été abordés portant sur Les limbes du virtuel, ou sur Le chaos et la complexité, sur Le mouvement et la gravitation qu’expérimentent à la fois les artistes et les physiciens, et bien sûr sur Le gigantesque et le minuscule : comment l’art appréhende-t-il ces dimensions extrêmes dans les évolutions de la figuration à l’abstraction ?
Dans ma pratique de recherche, il y a de vastes pays à prendre en compte et tout l’art c’est de les faire dialoguer, de regarder les influences et les analogies. C’est la poésie qui transporte les éléments d’un pays à un autre, c’est un passeur créatif. Le mot poésie ne signifie-t-il pas à l’origine « créer » ? La logique rationnelle du scientifique se trouve quelquefois face à la vraie fille de l’étonnement.