À tra­vers le monde, les formes poé­tiques brèves sont légion, à l’im­age d’une richesse créa­tive de grande ampleur. Pour­tant, peu d’en­tre elles sont con­nues en France. Si le haïku et le tan­ka, tous deux orig­i­naires du Japon, ont une cer­taine notoriété qui ne fait que s’ac­croître avec l’as­cen­sion du Net, qui a déjà enten­du par­ler de l’eng­lyn gal­lois, du hain-teny mal­gache, ou encore de la tri­ade mon­gole ? 

L’équipe de Pan­tun Sayang, com­posée d’une poignée de pas­sion­nés de poésie, cherche à pro­mou­voir une de ces formes cour­tes, aux spé­ci­ficités attachantes : le “pan­toun”. Via les réseaux, les pub­li­ca­tions (notam­ment la revue en ligne “Pan­touns et gen­res brefs”) et les ren­con­tres, elle tente de trans­met­tre son engoue­ment pour ce petit bijou versifié.

Provenant du monde malais, le pan­toun fait par­tie inté­grante de la tra­di­tion cul­turelle orale. 

Les pan­touns sont incor­porés aux grands réc­its, chan­tés dans les céré­monies, cités tels des proverbes dans les con­ver­sa­tions, et peu­vent même se répon­dre les uns aux autres lors de joutes poé­tiques endiablées.

Ils sont por­teurs de thèmes var­iés, comme l’amour, l’ami­tié, la sagesse, mais aus­si plus rarement, la poli­tique ou la religion.

Le pan­toun se présente dans la majorité des cas sous la forme d’un qua­train aux rimes alternées. Mais les jeux sonores ne se lim­i­tent pas aux rimes et les vers 1 et 3 d’une part, 2 et 4 d’autre part, ten­dent à se rap­procher phonétiquement.

Ceci dit, ce qui fait la spé­ci­ficité du pan­toun, c’est surtout la nature dif­férente des deux dis­tiques : alors que le pre­mier est une image, une descrip­tion, une scène, le sec­ond donne une sig­ni­fi­ca­tion au qua­train. Soit avec une sen­tence, un proverbe, soit avec l’ex­pres­sion d’une émo­tion ou d’un sen­ti­ment. Cette orig­i­nal­ité du pan­toun en fait aus­si sa dif­fi­culté, le lien de sens entre les dis­tiques devant exis­ter, sans pour autant s’imposer.

Les entrelace­ments sonores des vers cou­plés aux rôles dif­férents — mais com­plé­men­taires — des deux moitiés du qua­train don­nent au pan­toun une place inédite dans le monde de la poésie.

Si le qua­train est sa forme prin­ci­pale, elle n’est pas la seule pour autant, d’autres formes dérivées ayant vu le jour. Ain­si, par développe­ment interne des deux dis­tiques, se créent des sizains, des huitains, etc. Ou encore, des “pan­tuns berbalas”, quand plusieurs pan­touns se répon­dent. Et n’ou­blions pas le “pan­toun enchaîné”, ou “pan­tun berkait”. Ce dernier se com­pose de plusieurs stro­phes, chaque stro­phe étant un pan­toun-qua­train. D’une stro­phe à l’autre, les vers 2 et 4 sont repris et devi­en­nent les vers 1 et 3. Un poème plus long se développe ain­si, véri­ta­ble petite his­toire, tout en con­ser­vant la dichotomie des débuts et fins de strophes.

D’ailleurs, on retrou­ve juste­ment un pan­tun berkait à l’o­rig­ine de la forme française du pan­toum, lequel s’éloigne finale­ment en de nom­breux points du pan­toun orig­inel. 

En effet, Vic­tor Hugo inclut en 1829 dans son recueil “Les Ori­en­tales”, avec l’aide de l’ori­en­tal­iste Ernest Fouinet, une note com­prenant un pan­toun enchaîné. Dans cette note, une coquille s’est glis­sée, changeant l’orthographe “pan­toun” en “pan­toum”.

Cette série de qua­trains devient célèbre et inspire plusieurs écrivains, notam­ment Baude­laire et sa fameuse “Har­monie du soir” (dans “Les Fleurs du mal”, 1857). Il est à son tour une source d’in­spi­ra­tion pour d’autres poètes, et le pan­toum devient un genre fixe français. 

Toute­fois, out­re la dis­pari­tion de sa brièveté, celui-ci perd chez bien des auteurs ce qui fai­sait l’essence du pan­toun orig­inel, à savoir la dis­tinc­tion entre les dis­tiques des qua­trains. À l’in­verse, une nou­velle par­tic­u­lar­ité voit le jour, sous l’im­pul­sion du théoricien Théodore de Banville : le pan­toum doit désor­mais repren­dre au dernier vers le pre­mier, sin­gu­lar­ité bien française, absente des pan­touns enchaînés malais.

Les cousins “pan­toun” et “pan­toum” ont donc pris des chemins séparés, tout en se recroisant par­fois, au gré des virages et des poèmes.

Quelques pan­touns malais tra­di­tion­nels (extraits de “250 pan­touns, Le tré­sor Malais”,  ed. ITBM, 2015). Les tra­duc­tions sont de Georges Voisset.

Burung mer­pati ter­bang seribu,
Hing­gap seekor di ten­gah laman ;
Hen­dak mati di hujung kuku,
Asal berkubur di tapak tangan.

Mille colombes passent en un vol,
l’une se pose au milieu du terrain.
Je voudrais mourir au bout de ton ongle,
pourvu qu’on m’en­terre au creux de ta main.

 

 * * *

 

Mem­pelam di tepi parit,
Dis­am­bar oleh rajawali ;
Tuan manikam duduk tersulit,
Belum tam­pak melahirkan diri.

La mangue du bord du canal,
un autour est venu s’en saisir.
Dia­mant pré­cieux, soli­taire à l’écart,
vous atten­dez votre heure de resplendir.

 

Quelques pan­touns con­tem­po­rains (extraits de la revue en ligne “Pan­touns et gen­res brefs”)

 

La mangue du bord du canal,
un autour est venu s’en saisir.
Dia­mant pré­cieux, soli­taire à l’écart,
vous atten­dez votre heure de resplendir.

Kisti­la

 

Top­inam­bour, panais et raiponce,
Pat­ri­moine potager de nos aïeux.
Aux mots vieil­lots je ne renonce
Qui ren­dent le par­ler plus goûteux

Vale­ria Barouch

 

Sous le bais­er de la lune
les kelip kelip apparaissent.
Sous tes bais­ers, ma peau brune
feu d’artifice de caresses.

Patri­cia Houé­fa Grange

 

Large le toit de tuiles recouvert
pro­fonde la cuve où l’on capte la pluie.
Vaste l’e­spoir des cœurs à découvert
sans fond le sou­venir de ce qu’on n’a pas dit

Jean de Kerno

Pantouns de Cédric Landri

Même sous la brume,
Les tulipes brillent.
Même sous ton rhume,
Tes regards pétillent.

Quand jail­lit le printemps,
Les forêts se défroissent.
Quand le peureux s’éprend,
Les émo­tions s’amassent.

L’abeille fait sa ronde
Et sans un son s’abrite.
Je sens chaque seconde
S’échap­pant bien trop vite.

Dans l’en­nui des plaines,
Des lap­ins divaguent.
Dans les nuits si pleines,
Devenir des vagues.

Les écorces tissent
Des facettes vives.
Nos corps se déplissent
Et nos yeux dérivent.

Dans l’ar­bre disloqué,
Le bruit d’un autre miel.
Der­rière nos fumées,
Le pli d’un arc-en-ciel.

Dans tout l’univers
Des cour­ri­ers s’égarent.
Dans les creux des vers
Nos let­tres se garent.

La splen­deur des poiriers
Fat chanter les mésanges.
La langueur des soirées
Fait vibr­er nos échanges.

Les autos propagent
Des romans d’essence.
Lire dans les âges
Des romans des sens

Les jours som­bres les coccinelles
Ont des sauvageries de loups.
Les soirs pénom­bres vos prunelles
Ont des emporte­ments qui nouent

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Cédric Landri

Vivant en Nor­mandie, Cédric Lan­dri expéri­mente dif­férents gen­res poé­tiques : fables, haïkus, tankas, pan­touns, poésie libre… Cer­tains de ses textes ont paru dans des antholo­gies et revues. Mem­bre de Pan­tun Sayang et du comité de lec­ture de la revue “Pan­touns et gen­res brefs”.

Pub­li­ca­tions individuelles : 

La Déci­sion du Renard (Clapàs, 2013)

Les échanges de libel­lules (La Porte, 2014)

L’envolée des libel­lules (La Porte, 2015)

Plumes, Pluies et Pan­touns  (Mots Nomades,  2016)