Note : Le principe de cette chronique est le suivant : Matthieu Gosztola écrit à chaque fois un poème « sur » l’œuvre d’un poète contemporain. Ce poème a pour fonction, de par et le sens qu’il véhicule et le recours à la forme qui le constitue en tant que poème, de dire quelque chose de cette œuvre et de son mouvement.
À la suite de son propre poème, Matthieu Gosztola propose plusieurs poèmes du poète en question.
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« Le poème
fait
la place
à l’exception
réelle,
contre les généralités
abstraites. »
Jean-Paul Michel
a voué
sa vie
aux signes
car ce sont
les signes
qui lui permettent
qui permettent
de ra
viver
la brûlure
d’exister
la brûlure d’être
pour en faire
le don
1 don
– irremplaçable –
aux
lecteurs
cette
brûlure
par quoi
– lorsqu’elle est sentie
jusqu’au bout –
on se consume
au centre de chaque instant
& avec chaque instant
& pour chaque instant
par quoi
on se consume
comme sublime
car la vie
est à chaque seconde
réelle
ment
vécue
ce qui nous fait tituber
nous assomme
de beauté
et nous rend
à la grâce
des anciens
– des grecs –
à la vigueur
du souffle
continué
– les dieux de l’exaltation
renouvelés
sans silence de leurs gestes –
face à cette brûlure
vécue
il n’est qu’une
possibilité
remercier
très lentement & très sérieusement
remercier presque
à voix basse
pour ne pas rompre
comme pain
le silence
et le poème est
ce par quoi
Jean-Paul Michel
dit merci
en même temps
que ses vers
nous font percevoir
combien chaque aube &
chaque crépuscule
sont le fait du
miraculeux
(se concevant lui-même
comme seule réalité)
& combien
il y a une aube & un crépuscule
mêlés bien que disjoints
dans chaque
parcelle
du temps
après quoi
nous courrons
alors qu’il
n’est que
de le
laisser venir
comme
vient tout ce qui
vient
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Sélection de poèmes de Jean-Paul Michel par Matthieu Gosztola
« Surgi poème du fossé comme… »
(Bruegelienne)
Comme les Marmousets de l’Hiver dévalent
les pentes couchés sur des luges de rêve leurs joues
sont rouges ils rient la neige
pique leurs cheveux de strass élégant ils
jurent
clignent des yeux mordent
au ras des herbes le
gel
Au bas des pentes paraissent sauvages
jeunes animaux nés du froid et brûlant
de vie innocente
Dans leurs yeux l’éclair d’un bonheur
pur
Des brindilles les couronnent l’eau
les pare
d’ocellations de guerre leur vertu
éclate
courage à la folie de qui
ignore toute crainte et rit
dans la chute
Surgi poème du fossé comme
d’intacte enfance – les prés en pente à Salignac
– le Bois du Roc – le
Château des Fénelon ! –
Roméro, Jardel, Froidefond – Héros
(lance-pierres blousons & luges)
– La Salle d’Armes – Le Chemin de ronde – le Barry ! la
Beauté vivante brûlant les mains les joues les âmes
Bruegeliens bonnets de laine je
rêve poème à votre égal vos
couleurs de joie surprise
les joues comme des pommes
de sang
En voiture, route de Périgueux.
Neige sur le chemin de l’imprimerie.
20 février 1996.
« Tant brille ce qui est selon mille
Destins »
Beautés présentes mal
jouies
de paraître anciennes lors
(Grâces vous soient rendues, notre hôte)
qu’un geste les suscite cy
vives hautes nettes
non pas métaphoriques mais
scandaleuses de luxe & de gloires
présentes
profuses chances
don
Sybarites rêvions
vins noirs chasses menthes
Trois cent mille hommes cette ville, dit-on,
– Trois vies trois morts trois ciels, trois
puissances perdues – mais
les turpitudes du commerce et des amours
réelles Qui
les pourrait croire mortes si
surgies miracles neuves fraîches
à nouveau
jouies ?
Beau se dit en autant de sens qu’Être
« D’éclat en éclat vers nos fins
mortelles
tant brille ce qui est selon mille
Destins »
Souvenir de Bernard Mertz lisant en grec Homère
– maintenant chez les Scythes –
« s’usèrent cy les savoirs des sages
aguerries franchises vertus »
« (…) cultivèrent la beauté surent
craindre l’Infini sans
abdiquer déchoir »
pensée que ces présents lui peuvent
être voués lors
que lisant ces lignes d’été tu
tout soudain parles
bénissant jeunesses perdues
Dans
la stupeur des beautés présentes
t’écoutant vertige revois
d’Amendoleto les arbres chargés
Survient telle jeune Beauté portant
la fouace
pain olives pommes d’or
(je la puis nommer)
ta voix surgie inchangée telle
une rumeur qui enjoint
fuir enfant opaque province pour
un éclat qui ne ment
Tout
l’incroyable d’être dans
ta voix surgie
ce jour premier de l’année nouvelle
en mal probable signe d’encre
parier
sur des beautés
présentes
N’est grand jamais qui le croit comme
il le croit
La longue distance seule mesure
Plus d’énoncé ne prise que
chant
Ce jour premier de l’année nouvelle j’entends
rire ta bonté comme hier
Ne se défont senties beautés neuves
justement formulées
Orangers à rompre chargés
devant quelles
mortelles chances mers soleils d’hiver dans
la splendeur
Décembre riche ici croulant d’or
Sibari, août 1994.
Bordeaux, janvier 1995.
« Je t’imagine enfant – robe courte – à plis… »
Je t’imagine enfant – robe courte – à plis –
en chausses de poulaine, béret
d’Urbino t’efforçant – Donatello – à
dépasser tout semblant : façonner
sous ses couleurs exactes
dans l’argile
ce qui est
Le maître par-dessus ton épaule pose
les yeux. Ses mots portent.
À cette voix, rien en toi ne
se refuse. Tu
l’appelles.
– La critique, de sa bouche, est une
douceur
Comment devenir à ton égal l’artisan juste de
ce qui est ? Voilà la question que pose
ton regard, Donatello,
– loin de la foule criarde du
triomphe
des insolences
qui plaisent.
(à Donatello)
Florence, avril 2000
Poète, essayiste, éditeur, Jean Paul Michel est né en Corrèze en 1948. Il a d’abord publié sous le nom de Jean-Michel Michelena puis depuis 1992 sous celui de Jean-Paul Michel. Il dirige les éditions William Blake & Co qu’il a créées en 1975 à Bordeaux et où il a publié, outre ses propres recueils, de très nombreux ouvrages de poésie, philosophie, esthétique, contemporains et classiques mêlés. Poète, il est aussi l’auteur de plusieurs essais.
Bibliographie
I. Livres publiés sous le nom de Jean-Michel Michelena
C’est une grave erreur que d’avoir des ancêtres forbans, Architypographies, Bordeaux, 1975.
Épuisé en E.O. Texte repris in Le plus réel est ce hasard, et ce feu.
Du dépeçage comme l’un des Beaux-Arts, Frontispice de Francis Limérat, William Blake & Co. Edit., Bordeaux, 1976.Épuisé en E.O. Texte repris in Le plus réel est ce hasard, et ce feu.
La politique mise à nu par ses célibataires même / essai d’anatomie, vite / par quelque mauvaise-tête antiparti, L’Échiquier Marcel Duchamp, Bordeaux, 1977. Épuisé en E.O. Texte français réimprimé en 1996, éditions Ludd, Paris.
René Char (avec Francis Limérat), William Blake & Co. Edit., 1977.
« Le Fils apprête, à la mort, son chant…”, Avec un frontispice d’Alexandre Delay, William Blake and Co. Edit., Bordeaux, 1981.Épuisé en E.O. Texte repris in Le plus réel est ce hasard, et ce feu.
Bernard Faucon, La part du calcul dans la grâce, William Blake and Co. Edit. / Galerie Images Nouvelles, Bordeaux, 1985. Épuisé. Texte repris in “Autour d’Eux la vie sacrée…”
Beau Front pour une vilaine âme, William Blake and Co. Edit., Bordeaux, 1988.
Cette dignité bizarre est tout le mal qui veut, toujours, trop de vrai” (sur Hölderlin), William Blake and Co. Edit., Bordeaux, 1991. Épuisé en E.O. Texte repris dans “Autour d’Eux la vie sacrée…”
“Dans la gloire d’être, ici, tenu, par le mal, droit…”, Calligraphie de Lalou, William Blake and Co. Edit., Bordeaux, 1991. Disponible en E.O. en second papier. Texte repris in Le plus réel est ce hasard, et ce feu
Meditatio Italica, texte français et traduction italienne en regard établie par Annamaria Sanfelice, suivi de Villa dei Papiri, 8 photographies de Florence Béchu, William Blake and Co. Edit., Bordeaux / Institut Français de Naples et Liguori Editore, Napoli, 1992. Disponible en E.O. Texte repris in Le plus réel est ce hasard, et ce feu.
II. A partir de ce volume, les livres sont signés Jean-Paul Michel
“Autour d’Eux la vie sacrée, dans sa fraîcheur émouvante…” Admirations et circonstances, William Blake & Co. Edit., Bordeaux, 1992.
L’Invention du Lecteur, Première année, William Blake & Co. Edit., Bordeaux, 1995.
1– Tant brille ce qui est selon mille destins (Coups de dés).
2– “Non en mythiques Nymphes mais…” (poèmes d’été).
3– “… Cette folie — seul devoir!” (sauf à la honte).
4– “L’Art n’efface pas la perte. Il lui répond”. (Retour de Sélinonte).
5– “Dans l’étroite phalange de Ceux qui joutent…” (Au bond la balle).
6– “Ils ont dansé avec ce qui les détruit…” (“Davantage se peut”).
7– “Nous reste cela : (Retour de Tübingen)” (1770–1843).
8– Mohammed Khaïr-Eddine (1941–1995). “Entre l’abîme et moi
c’est un règne, et je suis”.
L’Invention du Lecteur, Deuxième année (Poèmes délivrés par abonnement, emboitage 1996). William Blake & Co. Edit., Bordeaux, 1996.
1– “Azur semé de trèfles d’or à une patte…” (Le visage et le cœur ouverts),
2– “Dans la nuit des échos…” (Qui dira jamais ce qui sauve un livre?).
3– “Enviés bonnets rouges…”
4– Le conflit de la Règle et du chant.
5– La vis sans fin.
Difficile Conquête du calme suivi de Trois lettres sur la Poésie & de Trois poèmes, Joseph K., 1996
“Nous avons voué notre vie à des signes”, William Blake & Co. Edit., Bordeaux, 1976–1996.
Catalogue des vingt ans de William Blake & Co. Edit. Articles de Jean-Paul Michel :
“Une “chasse”, un jeu, une fête”.
“Aux Chasses, “plus qu’à la prise” “.
” Amoureux du rire, du risque et de la fête…”
(Sur l’illusion contemporaine d’une “fin de l’art”).
Le plus réel est ce hasard, et ce feu, Cérémonies et Sacrifices, poèmes 1976–1996, Flammarion, Paris,1997.
“La deuxième fois”, Pierre Bergounioux, sculpteur, photographies de Baptiste Belcour, William Blake & Co. Edit., Bordeaux, 1997.
Le réel surgit selon ses qualités réelles — d’obstacle.” Réponse à la question : “Qui sont nos ennemis?”. Le loup dans la véranda, 1999.
Ô L’irréalité de chacun, dans l’irréalité générale !” Journaux. Le loup dans la véranda, 1999.
“Pour nous, la Loi” (sur Hölderlin), suivi de “Je lis Hölderlin comme on reçoit des coups.” Illustré des quatre cahiers de lithographies de la Titanomachie de Lionel Guibout, L’Invention du Lecteur, Bordeaux, 1999.
Les signes sont l’être de l’être, calligraphies de Lalou, William Blake & Co. Edit., Bordeaux, 2000.
Nos ennemis dessinent notre visage, (Aveux & expiations), La Pharmacie de Platon, William Blake & Co. Edit., Bordeaux, 2000.
“Défends-toi, Beauté violente !”, Intimations et Expériences, (Le plus réel est ce hasard, et ce feu, II) (1985–2000), Flammarion, Paris, 2001.
“Bonté seconde”, Coups de dés, (Cahier dirigé par Tristan Hordé), Joseph K. éditeur, Nantes, 2002.
Le plus réel est ce hasard, et ce feu, poèmes 1976–1996, édition nouvelle, revue et corrigée, Flammarion, Paris, 2006
- Notre songe, 31–34 (fin) - 13 juillet 2016
- Notre songe 26 à 30 - 30 juin 2016
- Notre songe : 21 à 25 - 17 juin 2016
- Notre songe 16 à 20 - 31 mai 2016
- Notre Songe 11 à 15 - 13 mai 2016
- Notre songe, 5–10 - 3 mai 2016
- Notre songe 1 à 4 - 4 avril 2016
- Le poème pour dire les poètes contemporains, 8 : la poésie d’Olivier Barbarant - 15 mars 2014
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- Le poème pour dire les poètes contemporains (1) - 30 août 2013
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