Le poème pour dire les poètes contemporains (5) : Henry Deluy

Note : Le principe de cette chronique est le suivant : Matthieu Gosztola écrit à chaque fois un poème « sur » l’œuvre d’un poète contemporain. Ce poème a pour fonction, de par et le sens qu’il véhicule et le recours à la forme qui le constitue en tant que poème, de dire quelque chose de cette œuvre et de son mouvement.

 

À la suite de son propre poème, Matthieu Gosztola propose plusieurs poèmes du poète en question.

 

 

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Le détail
& la citation
& l’histoire

La grande                                   (H)
& la petite                                               (h)

Sans oublier
Oui, n’oublions pas
Les recettes                                           (poisson, viande, peu de desserts, il est vrai)

Le poème se doit
De tout raconter

Pour Henri Deluy

La vie personnelle
& celle impersonnelle

Qui croise
Tout ou partie de la vie

Personnelle

Ou ne croise rien                                Précisément

Mais doit être
Dite
Malgré tout

Car c’est là

Les poèmes
Très simples

Sont là                                               (C’est aussi là)

Pour énumérer
Ce qui du monde

Peut être énuméré

À savoir
Les visages
Du réel

Pas tous
– Le plus possible

Les visages

Dans leurs dé
chirures – yeux, sourires dans la bouche ou seule
ment cri – Dans leurs rides
dans leurs expressions

dans
leur présence
d’âme

y compris
quand l’âme
se pense se fait
seule
dans le sommeil

Le mystère
Qui naît de la simplicité
Énumérative
De la poésie d’Henri Deluy
Tient au trouble
Dans lequel nous plonge                                            (Plongeur, es-tu prêt ?)
1 seul vrai détail

Quand ce détail
Devient ce qui est
Avec insistance

Regardé
Soupesé
Abordé
Envisagé

Imaginé

              Conçu

 

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Sélection de poèmes d’Henri Deluy par Matthieu Gosztola

 

Il est encore trop tôt. Il n’y a personne
À cette heure de la matinée, dans les rues
Avoisinantes.

Un lambeau de papier, avec une adresse.

14 rue du Mont qui Tourne,
2e étage, porte de droite.

*

JUILLET, FIN DE SOIRÉE

La Paz. Sur un mur, bien visible,
Dans un quartier apparemment
Cossu (mais nous verrons la
Même inscription ailleurs) :
« Muerte a Regis Debrai »

Le Che a été assassiné en 1967.

*

DÉBUT AOÛT

Rio de Janeiro, sur la plage, après la photo,
Une sorte d’orage, grouillant de couleurs noires
Et épicées, tournait au-dessus de nos têtes.
La lumière sombre remplaçait la mer.

Je cherchais une liste d’oiseaux,
Dans un petit livre jaune, la majorité
Étaient des rapaces.

L’amour s’ajoutait à la détresse
De l’amour.

*

Il était né en 1113, en 1113 encore
Il était entré à Cîteaux. En 1859
Il avait dirigé la grève des maçons,
À Londres. De 1100 à 1150, il avait mis
En valeur la musique polyphonique,
Avec l’école Saint-Martial de Limoges.

En 1067, il s’occupait de tapisserie,
À Bayeux.

En 1968, il avait visité Prague.

Certains jours, la terre vieillissait avec lui.

*

DÉCEMBRE

Apparition des premiers camions-pizzas.

Apparition des premiers éléments
Biographiques et des mots :
« Objets manufacturés »

Apparition d’un autre corps.

Apparition du sucre blanc
(Qui bleuit très vite).

L’ignorance se dégage des quelques
Phrases connues.

Julia porte sur sa robe, à l’endroit
Du cœur, un cœur dessiné à l’encre de Chine.

Je cherche la Chine sur une carte.

Sa robe n’a pas de côté gauche.

La fenêtre de la voisine, en face de ma chambre,
Est toujours ouverte.

L’humidité de l’air touche à la chaleur
Et la transforme.

Apparition de la formule :
« Crime organisé »

À 17 h, il fait nuit.

*

Un métier
Un bout d’ombre poisson grillé
Au charbon de bois

Les vieux bus la fine poussière
Tout ce qui traverse le siècle

*

Géraniums écarlates
Marguerites d’automne ou bleu azur
Doigts des pigeons sur l’heure
Dix huit heures trente

Et boudin noir

*

Des tournesols jaunes
Dans une lucarne basse

Des pélargoniums rouges
Et des traînées de grappes

Juteuses dans un bocal à
Confiture des fonds de verre

Et d’autres objets qui vont
Pourrir avec cet effet

L’authenticité proche
De l’effet du poème

*

Tu aimais la fugue et le requiem
La cantate et le gloria tu aimais

Le confiteor la fanfare et la nouba
Et les rosiers grimpants dont les

Branches se cassent et c’est ainsi
Que tu rentrais dans la mort

 

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Henri Deluy est né Marseille le 25 avril 1931. Poète, il est aussi un inlassable passeur de poésie. Il anime la revue Action Poétique depuis 1955 et dirige depuis 1990 La Biennale Internationale des Poètes en Val-de-Marne (mais vient de céder la main à Jean-Pierre Balpe). 
Son activité éditoriale est tellement intense qu’il est difficile de donner une bibliographie, d’autant que la plupart de celles auxquelles on peut se référer, mêlent intimement les recueils personnels d’Henri Deluy et ses préfaces, présentations, traductions et anthologies. 
Henri Deluy a en effet construit de nombreuses anthologies (poètes néerlandais, troubadours galégo-portugais, poésie française contemporaine) et a traduit, seul ou en collaboration, des poètes allemands, slovaque (Leco Novomesky), tchèque (Jaroslav Seifert), portugais (Pessoa, Adilia Lopes), russe (Alexandre Tvardosky, Marina Tsvétaïeva, Anna Akhmatova, Maïakovski), grec (Constantin Cavafy), espagnol (Saül Yurkievich, Reina Maria Rodriguez), flamand (Paul van Ostraijen). 
 
Bibliographie :
Images, Éditions de La Revue Moderne, 1948
Adrian Roland-Holst, Par-delà les chemins (traduit du néerlandais par Ans et Henri Deluy, Dolf Verspoor), Seghers, 1954.
Nécessité vertu, 1957.
For intérieur, in Action poétique, 1962.
L'amour privé, in Action poétique, 1963.
La Courbe Protestataire, supplément de Action poétique, 1963.
Dix-sept poètes de la RDA (traduit de l'allemand avec Paul Wiens, Andrée Barret, Jean-Paul Barbe, Alain Lance, Lionel Richard), Pierre-Jean Oswald, 1967.
Laco Novomesky, Villa Tereza et autres poèmes (traduit du slovaque avec François Kerel, présentation), Pierre-Jean Oswald, 1969.
Prague poésie Front gaucheChange n° 10 (traduit du tchèque et du slovaque, en collaboration), Seghers-Laffont, 1972.
L'Infraction, Seghers, 1974.
Marseille, capitale Ivry, L'Humanité, 1977.
Serge Trétiakov, Dans le front gauche de l'Art (présentation), Maspero, 1977.
A. Bogdanov, La science, l'art et la classe ouvrière (avec Dominique Lecourt et Blanche Grinbaum, présentation), Maspero, 1977.
Youri Tynianov, Le Vers lui-même (avec Léon Robel et Yvan Mignot, présentation), 10/18, 1977.
Jaroslav Seifert, Sonnets de Prague (traduit du tchèque), in Action poétique/Change, 1979, réédition augmentée, Seghers, 1985.
La psychanalyse mère et chienne (avec Élisabeth Roudinesco), 10/18, 1979.
L ou T'aimer, Orange Export Ltd, 1980.
Les Mille, Seghers, 1980.
Peinture pour Raquel, Orange Export Ltd, 1983.
La substitution, La Répétition, 1983.
Poètes néerlandais des années cinquante, in Action poétique n°91, 1983.
L'anthologie arbitraire d'une nouvelle poésie, 1960-1982, Flammarion, 1983.
Première version la bouche (gravures sur bois et eau-forte de Frédéric Deluy), ENSAD, 1984.
Raymond Jean, Jean Tortel, suivi d'un entretien de J. T. avec Henri Deluy, Seghers, 1984.
Fernando Pessoa, 154 quatrains (traduit du portugais), Unes, 1986.
Martim Codax, Les sept chants d'ami (traduit du galégo-portugais, gravures de Marc Charpin), Avec/Royaumont, 1987.
Vingt-quatre heures d'amour en juillet, puis en août, Ipomée, 1987.
Troubadours galégo-portugais, une anthologie, POL, 1987.
Fernando Pessoa, Quatrains complets (traduits du portugais, présentation), Unes, 1988.
Tango, une anthologie (traduit de l'espagnol avec Saül Yurkievich, présentation finale), POL, 1988.
Le Temps longtemps (gravures de Frédéric Deluy), ENSAD, 1988.
Quatre poètes soviétiques (traduit du russe avec Charles Dobzynski, Hélène Henry, Léon Robel, présentation), Éditions Royaumont, 1989.
Alexandre Tvardovsky, De par les droits de la mémoire (texte français, présentation), Messidor, 1989.
Poésie en France, 1983-1988, une anthologie critique, Flammarion, 1989.
Bert Schierbeek, Formentera (traduit du néerlandais), Cahiers de Royaumont, 1990.
Le Temps longtemps, Messidor (Petite Sirène), 1990.
Premières suites, Flammarion, 1991.
Bert Schierbeek, La Porte (traduit du néerlandais, présentation), Fourbis, 1991.
La répétition, autrement la différence, Fourbis, 1992.
Marina Tsvétaïeva, L'Offense lyrique (texte français, présentation), Fourbis, 1992.
Une autre anthologie, Fourbis, 1992.
Yolanda Pantin, Les bas sentiments (texte français), Fourbis, 1992.
Marina Tsvétaïeva (avec Liliane Giraudon), La Main Courante, 1992.
Adilia Lopes, Maria Cristina Martins (traduit du portugais, présentation), Fourbis, 1993.
Constantin Cavafy, Poèmes (texte français, présentation), Fourbis, 1993.
Jean Tortel, Limites du corps (présentation), Gallimard, 1993.
Marina Tsvétaïeva/Sophia Parnok, Sans lui (texte français, présentation), Fourbis, 1994.
L'Amour charnel, Flammarion, 1994.
Poésies en France depuis 1960, 29 femmes, une anthologie (avec Liliane Giraudon), Stock, 1994.
Une anthologie de circonstance, Fourbis, 1994. 
Je ne suis pas un autre, In Memoriam Georges Bataille, Fourbis, 1994.
Saül Yurkievich, Embuscade (traduit de l'espagnol avec l'auteur), Fourbis, 1996.
Une anthologie immédiate, Fourbis, 1996.
Fernando Pessoa, Poèmes (traduits du portugais, notes et présentation), Fourbis, 1997.
Reina Maria Rodriguez, Comme un oiseau étrange qui vient du ciel (traduit de l'espagnol, Cuba, présentation), Fourbis, 1998.
Noir sur blanc, une anthologie, Fourbis, 1998.
Anna Akhmatova, Autres poèmes (texte français, présentation et notes), Farrago, 1998.
Da Capo, Flammarion, 1998.
Pronom personnel, Phi/Ecrits des Forges, 1998.
L'Anthologie 2000, Farrago, 2000.
Vladimir Maïakovski, L'Universel reportage (texte français, présentation et notes), Farrago, 2001.
Paul van Ostaijen, Nomenklature (traduction du flamand et présentation), Farrago, 2001.
Une anthologie de rencontres, Farrago, 2002.
Je ne suis pas une prostituée, j'espère le devenir, Flammarion, 2002
Traduire en poésie, avec Dominique Buisset, Biennale, Farrago/Léo Scheer, 2002
L'Anthologie 2000 Biennale Internationale des Poètes en Val - de - Marne, Farrago
Autres Territoires, Anthologie, Farrago, 2003
Marina Tsvetaïeva : L’Offense lyrique et autres poèmes (texte français, présentation et notes), Farrago, 2004
Potlatch(es), une anthologie, Farrago, 2004
Lucebert : Apocryphe (traduit du néerlandais avec Kim Andringa, présentation), Le Bleu du Ciel, 2005
Poètes du tango, édition d’Henri Deluy et Saül Yurkievich, Poésie/Gallimard, 2006
En tous lieux nulle part ici, une anthologie, Le Bleu du ciel, 2006
Les arbres noirs, Flammarion, 2006
Au blanc de neige, Éditions Virgile, 2007 
Stripboek, Ink, 2009 
Vladimir Maïakovski, L’Amour, la Poésie, La Révolution, adresses à Vladimir, choix des poèmes, traductions, Henri Deluy, Le Temps des Cerises, 2011 
Manger la mer, bouillabaisses et soupes de la mer autour du monde, Al Dante, 2011 
Poètes néerlandais de la modernité, en collaboration avec Erik Lindner, Anna Maria van Soesbergen, Saskia Deluy, Daniel Cunin, Kiki Coumans, Kim Andringa, Liliane Giraudon, Eric Suchère, Saskia de Jong, Le Temps des cerises, 2011 
L’Heure dite, Flammarion, 2011