Le principe de cette chronique est le suivant : Matthieu Gosztola écrit à chaque fois un poème « sur » l’œuvre d’un poète contemporain. Ce poème a pour fonction, de par et le sens qu’il véhicule et le recours à la forme qui le constitue en tant que poème, de dire quelque chose de cette œuvre et de son mouvement.
À la suite de son propre poème, Matthieu Gosztola propose plusieurs poèmes du poète en question.
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on écrit on avance
dans le blanc
de la page
on croit déplacer
des montagnes
en déplaçant
jusqu’à la page
les lettres
des livres
et en les met
tant
parfois & souvent
dans 1 ordre différent
comme 1 jeu
mais très sérieux
: jeu d’exister
des livres :
ceux spécialement
aimés comme
des bouquets
de fleurs
simples (simples comme des comptines)
ou des chansons
apprises et répétées (pour l’énonciation
de la berceuse)
pour l’enfant terrifié
d’en soi (pour la berceuse
de l’intérieur de soi)
mais en fait
on ne déplace
que son propre
silence
on s’avance
dans la page
et s’avançant
on se retire
en même temps
on dit « je »
mais c’est un « je » im
personnel
on est là
presque devenu
brume
ou chant
qui s’est tu
ou pas de côté
ou envolée
d’un ballon
au point
où il n’est plus
visible
et où il se dilate
se dilate
et où on sait
qu’il va bientôt
exploser
on avance
en écrivant
dans un lieu
où il n’est pas
possible
d’avancer
autrement
qu’en se laissant
aller
au silence
on avance
on devient
on écrit
on se tait (on écrit)
on se tait
et alors
ce qui se passe
et qui était impossible
à prévoir (ce qui était impossible)
c’est comme
le passage
de la veille
au sommeil
c’est comme
ce moment
où on s’endort
et où les images
prennent possession
de soi
avec la grammaire
chamboulée
car tout est
alors
chamboulé (avec un peu de repos)
ce qui s’avance
en soi
au moment
où on avance
où on écrit
ce sont les images
qui viennent
quand on vient
dans le ventre
du sommeil
ce qui vient
avec ces images
quand on s’assoupit
quand on écrit
c’est le lecteur
le lecteur vient
il existe
il se tient avec
soi
il se tient en soi
il est là
il est sur la
page
il est la page
il nous fait signe
avec la main
un petit signe
de la main
comme si on était
au loin
et on est au
loin
c’est vrai on écrit
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Sélection de poèmes d’Éric Sautou par Matthieu Gosztola
QUITTER LES PLAINES
rien ne m’accueille
il tombe des branches
une maison vibre
je me hisse
je vois l’ange au clairon
la ribambelle
●
on démonte la forêt
les insectes viennent
des femmes sont là
agenouillées
●
chaque saison passe
le monde est vert
●
une étincelle après l’autre
je suis dans la couleur
il y a de l’eau remuée
bientôt le silence
●
mon poème est aveugle
la lune tourne
tourne
PARMI LES AILES
il court
le vent fort l’envolerait
on éclaire les chambres
●
il appelle sous le ciel
il avance dans les prairies
●
on parle de toutes choses
on a la volonté
un dieu
●
nuées d’oiseaux
montagnes
qu’on enflamme
●
on a le secret
la vie est libre
Le Nom des fleuves
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LA CHAMBRE VIDE
n’aie pas froid
monte bien
jusqu’aux mains
les cailloux de terre ne songent pas à Dieu
la fleur qui est bleue devient pâle
le papillon est là sans jamais il n’arrive
comme ici les nuages
les pierres de charbon la sébile
ou le coffre de bois
cueillez le thym nuages sombres
vers l’eau sombre du canal le fantôme où j’écris
fenêtres
ouvertes et chantants
après douze fois ce sera comme ici c’est la chambre du fond
à s’endormir ici sans jamais lui répondre
BERCEUSE
donnez dans les mains s’en est allé
comme ici se balance
à pencher vers les choses
de quels arbres au-dessus je m’endors
venez
bercez comme un ballon
musique feuille à feuille venez
comme un lointain le paysage
et se balance encore venez
chambre dans la seule
chuchotées
sombre
d’où sombre ici le tas de feuilles
à la musique en rêve
pour quelqu’un ne vient pas
Frédéric Renaissan
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NATURES MORTES
j’ouvre la porte une table
attendre assis dans le soir
j’attends sur le bois
je déplace j’éclaire j’ouvre la nappe
j’ouvre ma chaise je parle assis sur le bois
une table je laisse
la lampe je laisse ici la main
un village ou presque j’avance
là sans reflets l’oreiller blanc la chaise
d’être là à ma table une maison d’église
plus rien sur la page et rien de plus ici un vase
de terre
et tout objet de verre je m’endors sur le bois
venir asseoir dans la durée fermer
fenêtre
porte
chaque fois qu’ici comme ici déjà là sous la planche
je défais à la planche
dans l’atelier du soir j’avance
d’objets mêlés venus
de chaque objet tenu
dans le coin le plus sombre
donner à la main faire
ici rideau floué
le meuble à son chevet
s’asseoir devant et voir devant la même chose
je construis comme un peu quelqu’un d’autre qui vient
comme ici pour chacun je tombe avec la clef
plus rien pages de blanc
l’enfance ouvre la clef je défais à la main
je m’assieds je défais
La Tamarissière
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10
qui suis-je ainsi au monde (nuages et silencieux)
on ne m’a pas écrit aujourd’hui (ni parlé)
un arbre
désuet
resté seul au jardin
(j’écris tant d’autres choses)
la pluie n’a pas l’habitude les oiseaux
sont volatilisés
aubaine
s’en va dans sa coquille (bientôt aubaine sur les flots)
aubaine est en déroute
appelle à elle fleurs déroutées
esquif est sur les branches (arbre vivant et dérouté)
Noël sans toi
(ou une marche sombre) les enfants qui ne savent
bercent
(ou une marche sombre)
un papillon
sur la fleur d’un souci
revoyez-vous la fleur
redonnez-moi la même
LA LETTRE
Je m’endors (avec des regrets).
J’ai essayé de t’écrire.
N’enlevez pas les fleurs de la chambre les fleurs ont fané.
Il pleut au-dehors. Je m’affaiblis. Je ne parle pas. J’écris.
Du ciel soufflent les fleurs.
Je m’endors. Je suis lointain. J’écris au bord des grilles.
Je suis au bord (désemparé).
J’écris je m’endors (et tout le reste).
À la fin je te vois.
C’est comme s’en aller qu’est-il arrivé ?
Nous sommes le ciel, traversés.
La chambre est vide. Le jour, plus noir qu’hier.
Il pleut à peine, mille choses alentour.
J’attends les mots (qu’il finit par me dire), je suis assis en face.
Quand je vivais là-bas…
Ce sont des poèmes (aujourd’hui disparus), des sortes de mouchoirs.
Les fleurs font un bouquet je les regarde.
La voix, la douce voix des choses, tout un jardin de fleurs.
Je crois que je m’éveille.
Je n’écris pas beaucoup plus loin.
J’écris ton nom, je m’en souviens.
Les Vacances
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Éric Sautou est né à Montpellier (Hérault) le 22 septembre 1962.
Bibliographie
● Les Vacances, Flammarion, 2012
● Frédéric Renaissan, Flammarion, 2008
● Les Iles britanniques, Tarabuste, 2007
● La Tamarissière, Flammarion, 2006
● Un Oursin, éd. Le Dé bleu, collection Le farfadet bleu, 2004
● Rémi, Tarabuste, 2003
● Canoë, Flammarion, dans le volume collectif Venant d’où ? 4 poètes, 2002
● Le Nom des fleuves, éd. Le Dé bleu, 1999
● Le Capitaine Nemo, Tarabuste, 1998
A participé aux anthologies :
● 49 poètes, un collectif, éd. Flammarion, 2004
● Autres territoires, éd. Farrago/Léo Scheer, 2003
- Notre songe, 31–34 (fin) - 13 juillet 2016
- Notre songe 26 à 30 - 30 juin 2016
- Notre songe : 21 à 25 - 17 juin 2016
- Notre songe 16 à 20 - 31 mai 2016
- Notre Songe 11 à 15 - 13 mai 2016
- Notre songe, 5–10 - 3 mai 2016
- Notre songe 1 à 4 - 4 avril 2016
- Le poème pour dire les poètes contemporains, 8 : la poésie d’Olivier Barbarant - 15 mars 2014
- Le poème pour dire les poètes contemporains (7) La poésie d’Éric Sautou - 20 janvier 2014
- Le poème pour dire les poètes contemporains (6) - 7 janvier 2014
- Le poème pour dire les poètes contemporains (5) : Henry Deluy - 12 décembre 2013
- Le poème pour dire les poètes contemporains (4) : la poésie de Jean-Paul Michel - 30 novembre 2013
- Le poème pour dire les poètes contemporains : Bernard Chambaz - 25 octobre 2013
- Le poème pour dire les poètes contemporains : Stéphane Bouquet - 28 septembre 2013
- Le poème pour dire les poètes contemporains (1) - 30 août 2013
- Sous le souffle de la flamme - 30 juin 2013
- Terre à Ciel - 20 janvier 2013
- Jean Maison, “Fragment” - 11 juillet 2012