Le poète face à l’Histoire
Un ami revuiste, me le disait il y a peu : beaucoup de poètes ont d’assez sérieux troubles psychiatriques et peuvent se confier facilement (et en masse) à un de leurs interlocuteurs même et surtout quand il est directeur de publication d’une revue. Les revuistes ne sont pas payés cher !!
Éric Dubois, auteur d’une trentaine de livres de poésie dont certains publiés notamment par François Bon aux éditions Publie.net, nous livre un récit. Le texte nous emmène en 1996, année du grand basculement. Je suis Élie. Je comprends les mystères de l’univers. Je lis le Traité de la réforme de l’entendement de Spinoza à toute vitesse. Je ne lis plus, je traverse les mots, les mots défilent très vite et m’imprègnent, plus besoin de compréhension, plus besoin d’analyse. Pour moi tout s’explique par le chiffre 5. J’invente un autre Spinoza, un Spinoza déiste.
Alors qu’il s’est toujours senti en décalage avec le monde des autres, Éric après une série d’humiliations radicales à son travail où il est le souffre-douleur de ses collègues ; alors qu’il rencontre aussi Myriam, une femme qui n’a plus les critères de celles qui l'ont précédée ; advient une crise mystique et la chute dans un monde de signes où il est et il se sent appelé (les voix) : Élie. Cette identification à la judéité va s’expliquer par une histoire familiale en lien indirect avec la Shoah.
Eric Dubois, L’homme qui entendait des voix –
illustration de couverture de Jacques Cauda,
Unicité : 2019, 54 p. 13 €
Avec détachement et quelques touches d’humour, on est bien sur différents thèmes pas légers du tout : le harcèlement et le délire, avec une structure du texte qui emmène sur le dialogue avec le psychiatre, la voix du psychiatre et ses interventions. Avec un détail : l’auteur évoque deux thérapies successives. Je me débarrassais de ma timidité en usant de subterfuges que sont l’alcool et le cannabis. Un parcours christique. D’ailleurs il pardonne à ses tortionnaires ; il les considère, s’inquiète presque pour eux. Après l’écriture de son texte, il peut, comme tous les autres hommes et femmes sur la Terre, les aimer, là où dans les moments d’angoisse cela était bien plus difficile. …
une violence du langage et une violence de soi qui se heurtent au mur d’incompréhension des autres.
Des humiliations cumulées à un manque de confiance en lui, à la consommation d’alcool et de haschich et peut-être cette peur de perdre Myriam, les voilà sans doute les prémices de ce que les médecins ont nommé une pathologie (qu’on oubliera de qualifier).
La gravité du propos se relâche dans l’exercice de l’autodérision de l’auteur : Vous devenez très vite des pandas, obèses voire asexués, si vous ne vous bougez pas, si vous ne vous intéressez pas à quelque chose et/ou à quelqu’un.
Dans ce récit très bien mené, l’auteur parvient à gommer sa propre tragédie au profit de quelque chose de confiant qui se joue sans doute dans le levier du texte, le dialogue, qui n’est pas de soi à soi, mais construit autour de la voix thérapeutique apaisante où l’écriture et l’être social d’auteur et de poète doivent supporter à peu près à eux-seuls la question du sens, du sens à vivre, à poursuivre sa vie.
Revuistes et éditeurs, merci de nous signaler les poètes en parfaite santé psychique, ça ira peut-être plus vite que l’inverse.
Il y a plusieurs années, les médias se sont intéressés à Éric Dubois et à sa « performance » : il venait de créer une annonce sur le Bon Coin et ainsi fait savoir que lui, « le poète Éric Dubois cherche des lecteurs ». Réactualisons ici ce quart d’heure warholien avec quelques compréhensions de ce que peut être un désespéré besoin de reconnaissance post-traumatisme.
Lire l’auteur le soigne.