Le Promeneur du Mont aux Vignes
Jamais jour n’avait si bien commencé
Mêlant dans le lointain vent et soleil
Et le silence à la douceur de l’aube.
Derrière la Cité des Morts,
Paris s’éveillait, rejetant ses ombres
À grand renfort de brises et de soupirs.
Tu venais de mourir. Où allais-je
Vivre ? veuve de ta conscience,
Mon cher promeneur du Mont aux Vignes
Les gens pleurent, des pleurs dans les plis
Du Temps. Larmes des Métamorphoses,
Les tombes ruissellent d’eau :
Voile frémissant sur l’azur matinal.
Lorsque les amis font cercle pour dire
Une dernière fois la vie au vol rapide,
Leurs regards s’arriment au coffre de bois,
Aux aspérités du cercueil où tu dors,
Mon triste promeneur du Mont aux Vignes !
Arbres scintillants à l’obscur feuillage
Où l’âme errante bruisse comme un ruisseau :
Ce n’est plus l’éternité mais la fin
Qui se mêle aux minutes écoulées
Au rythme de la sève. Dis, ton corps
Oublie le néant d’avant la naissance.
Il joue de ses muscles dans le limon
Du grand Fleuve. Quel corps renaît ? Le tien ?
Mon cher promeneur du Mont aux Vignes.
Les flammes triomphent de la texture
Des os. Ce sont libations et brûlures
Dans l’espoir d’une nouvelle aventure.
L’œil fomente une vision qui dure.
Hélas ! les âmes sensibles ne verront pas
À travers la vitre, le corps qui brûle,
Sans les fleurs, ô Nature, déposées
À terre, leurs pétales aveuglant
Le cœur d’un ami qui se souvient
Du cher promeneur du Mont aux Vignes.
Ah ! laissez-moi accomplir le rite
D’infinie douleur où je m’unis
À ces hautes couleurs qui fleurissent
Le dernier combat ; anémones et violettes,
Chrysanthèmes et lys, cycle fini !
L’ami comédien récite un poème
À ta mémoire. Mehr licht, implorait Goethe,
À l’heure où le paysage est noir, l’heure…
Divin promeneur du Mont aux Vignes.
Vois ! les têtes inclinées ont fait cercle.
Les bouches soufflent au seul récitant
Leur haleine tandis que la souffrance
Fixe à jamais ces fatales figures.
Le bonheur banni s’en prend à la Mort.
On meurt de l’impuissance de son corps.
Les chagrins renversent le sablier
Du Temps qui efface tous les voyages,
Mon vieux promeneur du Mont aux Vignes.
Encor happée dans la Danse de l’ombre,
Sans savoir le chemin, j’ai brassé la Terre
Pour planter du muguet dans ma chambre.
Les parfums poussiéreux du cimetière
Sont la force subtile des corps végétants,
L’odeur gutturale qui embaume, quand je prends
La terre noire dans mes mains. Mes doigts
L’ont creusée pour revivre avec toi,
Promeneur Bien Aimé du Mont aux Vignes.
J’ai dissous le parfum végétal de l’enfance :
Mystère païen du désir en larmes.
Mon ciseau sculpte le limon fertile,
Porteur de semences au jardin de la terre.
La germination des plantes, les spirituelles
Fleurs, les herbes, les arbres accomplissent
Le voyage de la décomposition
Dans notre Terre-Mère et les tombeaux,
Ô bon promeneur du Mont aux Vignes !
Le cercueil chavire au milieu du bûcher
Voilé d’une glace sans tain, et il devient
Une tente lunaire tissée de cendres.
Je ferme les yeux, j’écoute…
Des chants d’oiseaux enregistrés ont fusé
À l’instant où tu as basculé de l’autre côté.
Quelle affreuse nacelle immolée à l’enfer
Dont l’air s’emplit de fausse allégresse !
Pourrais-je écouter les oiseaux à ton réveil,
Éternel promeneur du Mont aux Vignes.
Heures tombant dans le vide,
Heures parcourues de sang, heures d’hiver,
Qui retentissent dans le blanc du ciel
Sous des chapiteaux corinthiens.
J’entends le choral surgi des profondeurs,
Une valse de Vienne que nous aimions
Pour des oreilles qui se ferment.
Le Chant se nourrit de la chair immortelle
du cher promeneur qui vole vers l’Orient.
Une ancienne version est publiée sur : http://camilleaubaude.wordpress.com, une autre éditée dans Le Messie en liesse (L’Ours blanc éd., 2014). Il existe une version manuscrite dans le Livre d’Or de la Maison des Pages, consultable dans la maison musée, et une version en papiers pliés de l’artiste new yorkaise Vivian O’Shaughnessy, un livre d’artiste manuscrit en exemplaire unique, disponible sur demande à camille.aubaude@pandesmuses.fr
… et un autre poème :
De si loin, tu es revenu.
Quelle joie, ton sourire face à moi,
Tu sais, je ne l’espérais plus :
Comme je m’éloignais de Toi.
— Monde en attente de mémoire,
J’aime encore ton beau visage.
Il m’a souvent réjouie le soir
Où l’espoir immole la rage.
Tant d’êtres sourient à l’amour.
Sais-tu qu’avant notre rencontre
J’aimais mal, je ne parlais plus.
J’aiguisais un sort de vaincue,
Je savais débusquer le monstre
Qui se plaisait à me meurtrir.
Te revoilà pour me ravir
À l’ombre des blessures, des larmes,
Là, pour sonner le glas des drames :
Tant d’êtres sourient à l’amour.
Las, l’étreinte enfante des pleurs
Honteux d’exister. Alors, fuis
Les préjugés, les lois, les ennuis,
Les vivants affamés qui meurent
Toute leur vie faute d’aimer !
Souffle avec ferveur les cimes
De tes nuits aux sources damnées,
Esprits dont se raillent mes rimes.
Tant d’êtres sourient à l’amour.
Ô Toi sublimant l’harmonie,
Écho du Ciel, la Pulsation,
Marche en mon cœur. Bois ton miel,
Sauveur du rêve, et ma raison !
*