Gustave et Madeleine. Frère et sœur. Tous deux célibataires. Ils vivent à la sortie d’un village dans une maison dont la façade est couverte de vigne-vierge. Nous sommes autour des années 1960, avant la grande révolution agricole qui transformera les campagnes. Gustave, c’est Gustave Roud, le grand poète suisse (1897–1976). Madeleine, sa sœur, a quatre ans de plus que lui.
En décidant d’écrire le « roman » des dernières années de Gustave Roud et de sa sœur, le jeune écrivain suisse Bruno Pellegrino (né en 1998) prenait énormément de risques. Comment « romancer » la vie d’un si grand poète ? Comme s’inspirer librement de certains épisodes de sa vie sans trahir sa personnalité profonde ? Pour y parvenir, il faut sans doute avoir beaucoup d’empathie pour son sujet et aussi une connaissance très fine de la vie des deux protagonistes. Bruno Pellegrino s’est notamment appuyé sur sa propre connaissance des lieux (pour y avoir vécu lui-même), sur les correspondances et le Journal du poète ainsi que sur le contenu de Campagne perdue, livre publié par Gustave Roud en 1972. Il a aussi revisité l’émission qu’avait consacrée à Gustave Roud le réalisateur Michel Soutter pour la Télévision Suisse Romande.
Gustave Roud, Air de la solitude suivi de Campagne perdue, L’Age d’Homme, collection Poche Suisse, 1995, 189 pages, 10 €
Car nous sommes effectivement en Suisse romande (même si les lieux ne sont jamais nommés dans le roman) du côté du Jorat, dans le canton de Vaud, là où Gustave Roud a vécu à partir de son plus jeune âge. Précisément dans une maison du petit village de Carrouge qu’il n’a jamais quittée. Collaborateur de revues, traducteur, poète, il a vécu chichement, mais toujours dans l’éblouissement d’une contrée qu’il adorait et parcourait inlassablement à pied, muni de son carnet de notes et de son appareil photo.
Lorsqu’il a quitté la maison, la brume d’aube qui festonnait les prés ne s’était pas encore dissipée. La vieille sacoche à l’épaule, comme un colporteur, il a marché toute la matinée d’un pas régulier, les jambes fortes, la nuque voûtée, le regard sur la route où penchaient des lotiers mal en point.
Gustave Roud, Feuillets, Lausanne, Editions Nemrod, 1920 ; frontispice et page de titre avec un porttrait de Gustave Roud par rené Auberjonois, Fonds Gustave Roud.
Le romancier nous parle, ici, de l’automne 1964. Il nous montre, au fil des pages, un poète en quête de « morceaux de paradis épars » (Novalis) dans les molles collines du Jorat, au contact de ses amis moissonneurs qu’il se plaisait à photographier de préférence torse nu (révélant au passage une homosexualité profondément ressentie mais jamais nommée).
Des échos de la vie du monde parviennent, assourdis, aux oreilles de Gustave et Madeleine par les journaux, la radio et un peu la télévision. Le romancier s’attarde notamment, dans son récit, sur quelques grands épisodes de la conquête de l’espace (dont la première marche sur la lune), un sujet qui passionnait Madeleine.
Que l’on soit, ou non, attaché à l’œuvre de Gustave Roud, que l’on connaisse ou non ses écrits, il faut lire ce livre sans crainte d’y être perdu. Le romancier nous parle de la vie qu’il faut affronter chaque matin, de l’épaisseur des jours, des saisons qui passent (comme le montre le titre du livre), de la vie domestique dans sa simplicité et sa beauté (la maison, la cuisine, le ménage, le jardin…), de l’aspiration sans cesse renouvelée de dépasser sa condition au contact d’une nature offrant des sensations toujours neuves. La place de Madeleine auprès de son frère y est soulignée avec force. Quand elle mourra (subitement) quatre ans avant lui, le poète connaîtra un profond désarroi. Ils formaient à eux deux un véritable couple. Ce que ce roman sait nous montrer avec beaucoup de sensibilité.
Là bas, août est un mois d’automne, Bruno Pellegrino, éditions Zoé, 225 pages, 17 euros
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