« Poésie Ô lap­sus »  Robert Desnos

 

Le Scalp en feu est une chronique irrégulière et inter­mit­tente dont le seul sujet, en rai­son du manque et de l’urgence, est la poésie. Elle ouvre un nom­bre indéter­miné de fenêtres de tir sur le poète et son poème. Selon le temps, l’humeur, les néces­sités de l’instant ou du jour, ces fenêtres chang­eront de forme et de for­mat, mais leur auteur, un cynique sans scrupules, s’engage à ne pas dépass­er les dix à douze pages pour l’ensemble de l’édifice.

Lecteur, ne sois sûr de rien, sinon de ce que le petit bon­homme, là-haut, ne lèvera jamais son cha­peau à ton pas­sage car, fraîche­ment scalpé, il craint les courants d’air. 

Enfin, Le Scalp en feu est désor­mais pub­lié simul­tané­ment, ou suc­ces­sive­ment, le hasard déci­dant de ces choses, sur les sites de RECOURS AU POÈME et de LA CAUSE LITTÉRAIRE. décem­bre 2013 / jan­vi­er 2014 – Michel Host

 

SOMMAIRE

-      1 – En plein champ  -  Pierre GABRIEL – Mots sans cesse sur­gis -  p. 2
—      2 — Le Poé­tique – IV —  Yves BONNEFOY – Les mots encore — p. 3
—      3 – L’expérience poé­tique ‑V- Un entre­tien de la revue SARASWATI – p. 4
—      4 – Le poète par lui-même : Mag­gy DE COSTER -  p. 6
    * POÈMES de Mag­gy De Coster   —   p. 7
    * POÉSIE BILINGUE  —  p. 9
 - 5 –  L’œuvre poé­tique de Mag­gy De Coster (Bib­li­ogra­phie) [**] —  p. 11
- 6 —  La poétesse a été dis­tin­guée  —  p. 11

   

_________________________________________________________.

 

1 – EN PLEIN CHAMP :  PIERRE GABRIEL

 

Mots sans cesse surgis

 

Mots sans cesse sur­gis                             Mots sous les mots

D’un refus, d’une attente,                        À quelle énigme dérobés,

Tou­jours prêts à vous taire                      Par quels songes flétris ?

Ou à en dire trop,                                      Mots masqués d’une voix,

Prompts à fuir dès l’instant                      Nus jusqu’à l’os,

Qu’il faut tenir promesse,                         Sosies méconnaissables,

Mots trop vains pour l’espoir,                   Mots d’hier, de demain,

Trop frémis­sants pour le mal­heur,           Vieux mots sans souvenirs

Mots qui n’apaiseront jamais                    Sur­pris à notre insu

La blessure des lèvres,                              En fla­grant délit d’innocence,

Mots à demi rêvés, retrou­vés,                  Mots à don­ner la mort, à trahir

                                     reper­dus,              Un amour, une enfance, à répéter

Mots à vivre et à nier la vie,                     Sans fin qu’il n’est pas de réponse,

Mots-cara­paces, coques vides,                 Et tous ces mots qui n’ont plus rien

Bien refer­més sur vos secrets                 À dire et qui nous col­lent à la peau,

Et dans vos poings de neige dure            Suçant la vie à même notre sang,

La pierre pour tuer,                                  Tous ceux qui ont glis­sé de nous

Mots à hurler brûlants dans l’oreille        Pour mieux couler à pic dans le lit du 

                                       des sourds,                                                   silence,

Mots figés sous le cri, appels                    Galets qu’une autre lumière fait luire

Par leur écho même engloutis,                 Sans jamais déranger le sommeil

Mots sans paroles, souf­fles d’ombre,                                           des étoiles.

Que nulle syl­labe n’étreint,

Pierre Gabriel

La Nuit venue, Rougerie, 1992

 

    

2 — LE POÉTIQUE – IV -  Yves BONNEFOY  /  Les mots encore  (Entre­tien)

Amau­ry da Cun­ha. — Y a – t –il une lim­ite entre votre œuvre poé­tique et ce que vous en dites dans les nom­breux textes (essais, entre­tiens) pub­liés ?  Quel est  statut de ces échap­pées du champ poétique ?

Y. Bon­nefoy – Une lim­ite, vous voulez dire un cloi­son­nement ? J’espère bien que non, ce serait trahir la poésie. Car son tra­vail se doit d’être écri­t­ure et pen­sée dans le même élan. L’écriture débor­de l’approche con­ceptuelle des choses mais tout aus­sitôt la pen­sée observe la sit­u­a­tion, pour dégager des voies dans cet espace entre représen­ta­tions trans­gressées et présences jamais pleine­ment vécues. Et cela dans ce que les poèmes ont de tout à fait per­son­nel, puisque c’est tou­jours dans le rap­port à soi le plus sin­guli­er que l’universel a le plus de chance de se réin­ven­ter, de se ressaisir.

La poésie est une pen­sée. Non par des for­mules qu’elle offrirait dans des textes, mais par sa réflex­ion, au moment même où elle prend forme. Et il faut enten­dre cette pen­sée là où elle est, dans les œuvres. Écrire sur Gia­comet­ti, sur Goya, sur bien d’autres, je ne l’ai voulu, pour ma part, qu’afin de retrou­ver posés peut-être autrement, par ces poètes, les prob­lèmes que la poésie nous demande de décider. //  Non, pas d’échappées du champ poé­tique ! Plutôt sug­gér­er que toutes les pen­sées d’une société devraient pren­dre place dans celui-ci, même les con­seils de la sci­ence, même le débat poli­tique. Ce que cherche la poésie, c’est à décon­stru­ire les idéolo­gies, et celles-ci sont actives, autant qu’elles sont nocives dans toutes les rela­tions humaines.

Amau­ry da Cun­ha.  —  Con­traire­ment à une moder­nité pour qui le réel fut du côté de « l’impossible » (Georges Bataille) ou a fuit en toute urgence (le sur­réal­isme), vous défend­ez une poésie acces­si­ble au monde. Com­ment en êtes-vous arrivé là ?

Y. Bon­nefoy —  En pas­sant par ceux mêmes que vous citez ! J’ai grande sym­pa­thie, en effet, pour l’âpre inten­sité avec laque­lle Bataille a perçu  — comme déjà Goya l’avait fait dans ce qu’on a nom­mé ses « pein­tures noires »  — le dehors du lieu humain, cette nuit des vies qui s’entre-dévorent pour rien, dans l’abîme de la matière, ce néant. Mais s’effrayer de ce dehors, et aus­si bien dans la per­son­ne qu’on est, ou que l’on croit être, n’est-ce pas que la con­séquence de cet emploi des mots qui, cher­chant à con­naître les choses par leurs aspects quan­tifi­ables, en fait aus­sitôt autant d’énigmes ? Mieux vaut recon­naître dans la parole cet événe­ment qui l’institua, le besoin d’établir avec d’autres êtres, ain­si recon­nu des proches, un champ de pro­jets et de partages. […]

Entre­tien d’Yves Bon­nefoy (lors de la paru­tion de son recueil « Ratur­er out­re » (Ed. Galilée),    avec Amau­ry da Cunha

Paru dans Le Monde / Lit­téra­ture – le 12 / XI / 2010

Cet entre­tien, les répons­es d’un poète solide­ment établi dans le panora­ma lit­téraire de notre temps, m’ont sem­blé pou­voir sus­citer la réflex­ion per­son­nelle chez cha­cune et cha­cun d’entre nous. Notam­ment le rap­port de la poésie à la pen­sée (rap­pelons que Paul Valéry voy­ait « l’idée », et non la pen­sée, comme antin­o­mique de la poésie) ; le lien établi entre le rap­port à soi et la cap­ta­tion de l’universel; le dépasse­ment, l’anéantissement peut-être, des idéolo­gies dans le poé­tique… N’est-ce pas le moin­dre des pou­voirs de la poésie ? Le champ poé­tique enfin, s’instaurant dans une util­i­sa­tion par­ti­c­ulière des mots, et dans lequel on ren­con­tr­era « d’autres êtres » et la pos­si­bil­ité des partages… Mes obses­sions me por­tent à douter que la poésie puisse être « trahie » si elle vit dans l’être, et moins encore par l’inutile com­men­taire qu’on pour­rait en faire, y com­pris par le poète lui-même. À croire aus­si que la pen­sée exacte du poème s’y établit à l’instant même de sa for­mu­la­tion plutôt qu’à un autre moment ;  à croire encore que les mots du poème ne peu­vent se muer en énigmes absolues, mais seule­ment, par­fois, en out­ils pro­pres à tra­vailler la matière énig­ma­tique du monde où nous exis­tons ; à être dans la cer­ti­tude que sur la pre­mière marche de toute ren­con­tre, c’est-à-dire celle de l’empathie min­i­male, s’ouvre le chemin de l’autre à soi et de soi à l’autre : le même, en fait, que jusqu’à l’entrée du chemin, on avait cru un autre. Il est arrivé que je l’appelle l’autre-soi. Peut-être l’infime trace d’idéalisme qui reste en moi.   —  M. H.   

 

3 — L’EXPÉRIENCE POÉTIQUE  — V —  Extraits d’un entretien

La très remar­quable revue Saraswati, dirigée par Sil­vaine Arabo, à Saintes, a inter­rogé quelque cinquante poètes con­tem­po­rains  — cinquante et un exacte­ment —   au sujet de  « l’expérience poé­tique » d’une manière générale, et de la leur en par­ti­c­uli­er. J’ai déjà cité ce dix­ième numéro de la revue, daté de décem­bre 2009.

La dernière ques­tion posée à tous était la suiv­ante : « Si quelqu’un n’avait jamais enten­du par­ler de poésie et vous demande de la lui définir, que diriez-vous ? »

Certes, je suis pour ma part en quête du poé­tique, qui n’est pas tout entier dans la poésie, qui par­fois même n’est pas la poésie. Je vais jusqu’à penser que cer­taine poésie n’est que fort peu ou pas du tout poé­tique, peut même être apoé­tique, mais cela ne peut s’affirmer que sur un plan unique­ment sub­jec­tif, donc dans la déter­mi­na­tion du « selon moi ». Cela dit, il me paraît plus qu’utile, indis­pens­able, de faire écho à cer­taines des répons­es apportées.

Ain­si, celle de Jacques Ancet me paraît entr­er dans le cœur du sujet avec des airs, de faux airs, de vouloir s’en échap­per : « Je ne défini­rais rien. Je lui lirais des poèmes. Car la poésie, je ne l’ai jamais ren­con­trée. Je n’ai tou­jours ren­con­tré que des poèmes. Qui, quand ils étaient de vrais poèmes, ne cor­re­spondaient pas à l’idée que je pou­vais me faire de la poésie. Le moine-poète zen Ryokan dis­ait : “Mes poèmes ne sont pas des poèmes. Quand vous aurez com­pris que mes poèmes ne sont pas des poèmes, alors nous pour­rons par­ler de poésie.” » L’argument est par­faite­ment cen­tré et légitime : de la poésie écrite et dite (réc­itée, chan­tée) nous avons fait la ren­con­tre par le poème, autrement dit par une mise en scène de la langue dans une util­i­sa­tion sur­prenante parce qu’outrepassant les besoins de la seule com­mu­ni­ca­tion. Le témoignage du moine ren­verse les meubles du salon : la poésie n’est plus seule­ment dans le mobili­er Louis XVI auquel vous vous étiez accou­tumé, vous la trou­verez aus­si bien dans ce tata­mi troué où je vois pass­er les nuages, ou au jardin près de l’étang sur lequel demain se posera le héron. C’est l’entrée d’Arthur Rim­baud quand vous attendiez Sul­ly Prudhomme.

« La poésie est pour moi impos­si­ble à définir. Mais s’il m’était imposé de répon­dre, je dirais : “ten­ter d’écrire le silence.” » nous dit Jean-Louis Bernard.  Dès lors je ne sais plus com­ment faire… La page blanche mal­lar­méenne ? Après tout, Jean-Louis Bernard nous par­le d’une ten­ta­tive, et il avoue que pour lui la déf­i­ni­tion de la poésie est « impos­si­ble ». Fau­dra-t-il renoncer ?

Marie-Josée Chré­tien revient à la néces­sité pre­mière, cor­porelle, vitale : « C’est un besoin fon­da­men­tal, comme manger, dormir, respir­er. La poésie aide à vivre, tout sim­ple­ment, parce que son sens ne s’épuise pas à la pre­mière lec­ture, qu’elle peut être lue et relue, et que chaque nou­velle lec­ture per­met d’y trou­ver encore et tou­jours de quoi ense­mencer son émo­tion et fécon­der son esprit. » La poésie est donc une néces­sité élé­men­taire, et elle est sans fond, inépuis­able. Ce qui frappe, dans cette ten­ta­tive d’éclairement, c’est la con­jonc­tion des néces­sités du cor­porel pre­mier (vie du corps) et de celles de l’esprit stim­ulé par l’émotion. Cela me paraît tout sim­ple­ment vrai.

Pour Louis Delorme, « définir c’est lim­iter, c’est amput­er, c’est atro­phi­er. […] On peut faire un traité de poé­tique mais pas de poésie.» Mais s’agit-il, dans ce que nous cher­chons ici, de définir exclu­sive­ment ? Mon souhait est de re/connaître, soit de naître en poésie une fois de plus. Quant au traité de poé­tique, j’en ai un sous les yeux : il est évidem­ment illis­i­ble dans sa presque total­ité.[1]

Colette Gibelin s’avance à pas pru­dents : « Je dirais peut-être que la poésie, c’est un effort pour traduire avec des mots et des rythmes ce que la vie a de plus intense et de plus pro­fond. » C’est une notion qui est proche de la mienne : la poésie est traduite de la langue des émo­tions et des intu­itions. En par­lant de « L’écriture des émo­tions », Jean-François Hérouard nage dans les mêmes eaux. Et aus­si, il me sem­ble, Hervé Mar­tin : « … il y a une diver­sité d’éléments qui peu­vent la sus­citer. Quand elle sur­git, elle nous dépasse dans ce désir d’écrire qui nous vient et par cette volon­té d’inscrire sur une feuille ou un car­net, ce qui nous paraît dans l’instant des plus pré­cieux, avec le sen­ti­ment que cela jamais ne revien­dra. » « Elle tente au plus près du tan­gi­ble de cir­con­scrire les attrib­uts de l’émotion. » Ressou­venir, quête de la dura­bil­ité de l’émotion (?), de l’instant pré­cieux. Prob­a­ble­ment aus­si ten­ta­tive de ren­dre réitérable la même pré­cieuse instan­ta­néité émo­tion­nelle par le poème qui en fut le tra­duc­teur, le témoin et le vecteur ou dis­posi­tif mémoriel.

Sur l’indifférence à la poésie, voire sur la haine de la poésie, Dany Vinet n’a sans doute pas tort d’évoquer ces dif­fi­ciles moments sco­laires, heureuse­ment lim­ités à quelques exem­ples : « La con­nais­sance de la poésie se résume aux sou­venirs des mau­vais­es notes venues sanc­tion­ner le manque de mémoire lors de la réc­i­ta­tion à l’école, d’où le blocage. » L’envers du décor. Mon avis est que tout pro­fesseur en quelque matière que ce soit, se trou­vant inca­pable d’allier l’exigence de con­nais­sance à celle de plaisir, ne mérite pas son titre de pro­fesseur. C’est un assas­sin de l’esprit. Il ferait mieux d’aller ven­dre des chaus­sures ou des choux.

 

4  —  LE POÈTE PAR LUI-MÊME :  MAGGY  DE  COSTER 

Mag­gy De Coster est une jeune poétesse de notre temps, c’est-à-dire qu’elle est sou­vent entre ciel et terre, en vol pour quelque con­grès, quelque assem­blée poé­tique se ten­ant sur tel ou tel con­ti­nent loin­tain, ce qui ne laisse pas de me sur­pren­dre, moi qui n’aime rien tant que mes qua­tre murs, mon « ate­lier », le silence… Les lois du hasard étant impéné­tra­bles, je l’ai tout de même ren­con­trée, à Paris, lors d’une soirée où se dis­cu­taient des par­tic­u­lar­ités de la tra­duc­tion à qua­tre mains ! Nous avons donc sym­pa­thisé et j’ai appris que, née en Haïti, ayant passé une grande par­tie de son enfance à Cuba, elle manie l’espagnol et le français aus­si naturelle­ment qu’il est pos­si­ble, qu’elle traduit volon­tiers d’une langue dans l’autre, que ses études l’ont con­duite vers la soci­olo­gie du Droit, le jour­nal­isme, et dif­férentes tâch­es de car­ac­tère inter­na­tion­al. Cela ne l’empêche pas d’être mem­bre délégué de la Société des Gens de Let­tres, Socié­taire et mem­bre du Comité directeur de La Société des Poètes Français, et mem­bre de l’Association des Femmes Jour­nal­istes (AFJ)… Ses liens avec l’Amérique latine sont con­stants et étroits : elle y fait enten­dre le verbe français et nous en rap­porte le verbe his­pano-brésilien. La vie de Mag­gy De Coster c’est l’ouverture et l’échange, la mise en rela­tion, la décou­verte et, en somme, la pour­suite d’une mis­sion de la parole et de l’écrit…

Mais, ne l’oublions pas,

elle est poétesse avant tout. Elle dirige la revue qu’elle fon­da il y a dix ans : LE MANOIR DES POÈTES [*] : tenir à bout de bras, sur une telle durée, une revue sur papi­er n’est pas à la portée de n’importe qui. Les dif­fi­cultés s’accumulent d’ailleurs ces temps-ci, les quelques sub­ven­tions néces­saires ayant ten­dance à se tarir en ces temps dif­fi­ciles : c’est pourquoi je four­nis d’emblée tous les ren­seigne­ments per­me­t­tant que l’on sou­ti­enne (abon­nement : 20 €) cette revue généreuse, accueil­lante à nom­bre de poètes, et aus­si de prosateurs :

LE MANOIR DES POÈTES

23, allée des Myoso­tis —  95 360  — MONTMAGNY

< redaction@lemanoirdespoetes.fr>  /  http://www.lemanoirdespoetes.fr

Il ne s’agit pas ici, on l’aura com­pris, de pub­lic­ité com­mer­ciale mais de pub­lic­ité (ne craignons pas le mot) POÉTIQUE et de sou­tien à la poésie, qui est sans aucun doute ce qui nous manque le plus en ce monde des objets néces­saires ou inutiles, mis en vente, achetés ou non… ce monde qui me paraît pornographique à bien des égards.

Sa poésie  (je don­nerai  la liste de ses pub­li­ca­tions [**] en fin de doc­u­ment)  est d’abord ouverte aux qua­tre vents de la planète, d’une inspi­ra­tion totale­ment diverse, libre au point d’être aus­si à l’aise dans le reg­istre léger que dans le grave, et libérée des entrav­es du « poli­tique­ment cor­rect » quoique ne ten­tant jamais cette forme d’incorrection qu’est la dia­tribe ani­mée par la vio­lence ou le ressen­ti­ment. Nous savons que l’human­isme, dans les plus atro­ces cir­con­stances de l’histoire récente, n’a pas tou­jours su  — et ne sait tou­jours pas — tenir ses engage­ments tacites, ni ses promess­es, ni même son rôle de garde-fous. Nous savons aus­si que c’est notre seule arme pour com­bat­tre la bêtise, la cru­auté où bien des hommes mon­trent des tal­ents inouïs ! Mag­gy de Coster le sait aus­si. Dans sa poésie, je lis l’espoir sans fin, le trem­ble­ment par­fois, ou la pointe d’amertume ; l’attente, l’amour des êtres, l’hymne à la vie ; la décon­v­enue, le plaisir ; la nos­tal­gie, l’humour ; la douleur, la jouis­sance et la réjouis­sance ; la lucid­ité, la quête de la lumière.

  

 5 /  POÈMES de Mag­gy De Coster, extraits de deux de ses recueils récents : 

 

AXIOME

Dans mon cahi­er de brouil­lon / J’ai brouil­lé la piste des étoiles / hachuré la courbe des ans / dess­iné les con­tours du futur / sché­ma­tisé la forme des saisons / tracé le dia­gramme des tropiques / souligné les paramètres de la vie / illus­tré les arcanes de l’amour / décalqué les lunaisons des sen­ti­ments / Reste à boucler le cycle de ma jeunesse   —   (Comme une aubade)

 

ADVENTUM

Nous avançons à pas lents / dans l’abîme des temps / Chaque couch­er de soleil / est un cachet de fin dernière

Je déballe mes tré­sors d’humanité / aux naufragés de la soli­tude / en escale sur le pon­ton / de l’errance

La sur­chauffe des moments / donne le ver­tige aux arti­sans / de paix / et la colombe divine / tombe en pâmoi­son / dans le couloir de la mort  —  (Comme une aubade)

 

SUR UN AIR DE PIANO    (À ma fille Chloé jouant du piano)

Ta musique divinise mon âme / Et longtemps ton chant cour­ra / dans mon champ aban­don­né / à la rose des vents

J’ai écouté les san­glots de l’univers / sur mon lit de feuilles mortes / où j’ai dess­iné : l’ombre de la lumière / J’ai par­lé aux oiseaux au lever du jour / et j’ai com­pris que le monde était / encore à ses balbutiements

J’ai dan­sé dans les vagues du soir / et j’ai sen­ti le souf­fle des sirènes / comme un fris­son d’espoir / qui me por­tait aux nues

J’ai rêvé de lumière dans la transe des mots / j’J’ai volé de joie en grat­tant / la paroi de ma vie qui me révèle / les couleurs de l’éternité

Je tends ma main dans le vide / pour attrap­er les pages d’espoir /qui s’échappent de la soupape / de la réalité

Un nuage en ges­ta­tion me rap­pelle / l’inventaire de mes songes / aux couleurs du passé

-       4 novem­bre 2004  —  (Comme une aubade)

 

LES EFFLUVES PICTURAUX

Dans la transe du cré­pus­cule /Émergent les ombres crénelées / De la ville en ori­flamme / Lorgnant le ciel émail­lé / De con­fet­tis de nuages pourpres

Nul soupçon n’effleure les arbres / Se faisant dis­crets / Dans la mon­tée du soir

Juste un instant d’ivresse / À vers­es dans le Graal des cœurs

Le vent chante dans les buis­sons / de mon cœur qui pal­pite de joie / à la réfrac­tion du soleil / dans les cas­cades du silence  […]  —   (Comme une aubade)

 

TERCETS

Les ros­es de Saa­di sont fanées / depuis que Mar­celline Des­bor­des-Val­more / dort pour toujours

 

La glos­so­lalie est la transe / des pri­mates / en état de grâce

 

Le soir tombe à pic / sur l’esplanade de mon passé / qui ral­lume la braise des souvenirs

 

Le cor­beau se fait ténor / avant le retour / de l’hirondelle au printemps

 

Ter­cets, extraits de Bou­quet de ter­cets (in Comme une aubade)

 

DEUX PETITES PROSES

1 —  Le vent court à tra­vers les champs de ta vie bercée par la riv­ière enchan­tée, une raie de lumière inonde le détroit de ta con­science qui se déploie dans la mon­tée du verbe sub­limé de tes rêves for­mulés sans trêve et tu rames dans la trame des vagues crachant sans relâche à ta face, rude tâche qui s’impose à ton courage qui grandit dans les rouages de tes jours s’avançant en transe et te dic­tant la sagesse qui t’épargne de la démence et tu espères sans cesse la fin non annon­cée de ta souf­france per­pétuelle qui gar­nit les pages inachevées d’un dossier inclassable

2 —  Des mots en Partage, un Rêve de Paix dans le con­fi­te­or de l’Amour qu’engrange l’Humanisme à l’heure de la Fra­ter­nité quand la Nature se pare des liess­es de l’Enfance dans les Villes en Fête.

Extraits de Cock­tail de mots  (in Comme une aubade)

 

Poésie bilingue

(extraits de « Antes que despunte el alba /  Avant l’aube)

 

Si pudiera enten­der el lengua­je de los pájaros / Me iría a vivir con ellos entre los árboles / Para acer­carme al fir­ma­men­to / Así for­maríamos enti­dades iguales / Con gran com­pli­ci­dad / Me ale­jaría de los seres mal­os de la tier­ra / Para cap­tar las ondas positivas

Los pájaros me enseñarían el secre­to / Para volar e ir más allá de la tier­ra / Para cap­tar el men­saje des universo

Si je pou­vais com­pren­dre le lan­gage des oiseaux / Je m’en irais vivre avec eux entre les arbres / Pour me rap­procher du fir­ma­ment / Ain­si nous for­me­ri­ons des entités égales / Nour­ris de tant de com­plic­ités / Je m’éloignerais des méchants de la terre / Pour capter los ondes positives

Les oiseaux me con­fieraient le secret /  Pour vol­er et m’éloigner de la terre / Et capter le mes­sage de l’univers

*

 

Fal­ta en mi vida una rama / Que nun­ca encon­traré /en mis sueños voy bus­can­do / Por las calles de San­ti­a­go de Cuba / Las som­bras de mi abue­lo y de mi abuela desconocidos

¿ Dime Fidel qué hiciste de mis antepasados ?

Il manque à ma vie une branche / Que jamais je ne retrou­verai / Je vais chercher dans mes rêves / Et dans les rues de San­ti­a­go de Cuba  / Les ombres de mon grand-père et de ma grand-mère méconnus

Dis-moi Fidel ce que tu as fait de mes ancêtres ?

 

*

 

Sopla el vien­to del ter­ror / Desa­parece la cosecha del amor / Y se quiebra la vida

Los lazos del hor­ror / Enca­de­nan al mendi­go de la esper­an­za / Y caen del cielo lágri­mas en vez de lluvia

Se mueren los árboles en el temor / Del olvi­do y la cosecha está com­pro­meti­da / Así pasa el tiempo

Le vent de la ter­reur souf­fle / La récolte de l’amour dis­paraît / Et le vie se brise

Les liens de l’horreur / Enchaî­nent le men­di­ant de l’espérance / Et du ciel tombe la rosée en guise de larmes

Les arbres se meurent dans la crainte / De l’oubli et la récolte est com­pro­mise / Ain­si passe le temps

 

*

 

Pin­tar los aires / Con­ju­gar la belleza de las esta­ciones / Escribir tu nom­bre / En la madru­ga­da en el cielo / Como un fres­co / O un guión / En la Ciu­dad Luz / Cuan­do el oro de las noches / Evo­ca mil y una torres

Entonces me recuer­do las rosas del ver­a­no / Como la chis­pa nacien­do / De las auro­ras boreales

Pein­dre les airs / Con­juguer la beauté des saisons / Écrire ton nom / À l’aube dans le ciel / Telle une fresque / Ou un trait d’union / Dans la Ville lumière / Quand l’or des nuits / Évoque mille et une tours 

Alors je me sou­veins des ros­es d’été / Comme l’étincelle nais­sant / Des aurores boréales    

 

*

 

5 / L’œuvre poé­tique de Mag­gy de Coster (Bib­li­ogra­phie)  [**]

·         Nuit d’as­saut, poésie, (Ed. Choucoune, 1981)

·         Ondes Vives, poésie, (Ed. Choucoune, 1987)

·         Rêves et Folie, poésie, (Ed. Saint-Ger­main-des-Prés, 1994)

·         Analyse du dis­cours de presse, essai, (Ed. Choucoune, 1996)

·         Mémoires inachevés d’une île mori­bonde, poésie, (Ed. Nou­velle Pléi­ade, 1998)

·         Itinéraire inter­rompu d’une jeune femme jour­nal­iste, auto­bi­ogra­phie, (Ed. des Écrivains, 1998)

·         La Tra­mon­tane des Soupirs ou le siège des marées, poésie, (Ed. New Leg­end, 2002)

·         Un élan d’in­no­cence, poésie pour enfants, (Ed. Le Manoir des poètes, 2004)

·         Petites his­toires pour des nuits mer­veilleuses, con­tes pour enfants, (Ed. Le Manoir des poètes, 2004)

·         Les Ven­dan­ges Vespérales, poésie, (Ed. Silex / Nou­velles du Sud, 2005)

·         Le chant des villes, antholo­gie de poésie, (Ed. Dianoïa, 2006)

·         Comme une aubade, poésie, (Edi­tions du Cygne, 2007)

·         Le Chant de Soledad, roman, (Edi­tions du Cygne, 2007)

·         Le Jour­nal­isme expliqué aux non-ini­tiés, essai péd­a­gogique, (Ed. L’Har­mat­tan, 2007)[1]

·         Ger­maine Loisy-Lafaille ou la vie incroy­able d’une comé­di­enne, (Edi­tions du Cygne, 2008)

·         Au gué des sou­venirs, nou­velles, (Edi­tions du Cygne, 2008)

·         Antes que despunte el alba / Avant l’aube, (Le Scribe‑L’Harmattan, 2010)

6 / La poétesse a été distinguée 

·         Pre­mier Prix de Poésie de L’A­cadémie Inter­na­tionale “Il Con­viv­io”, Sicile, 2003 pour « Mémoires inachevés d’une île moribonde »

·         Diplôme et Médaille de Ver­meil de L’A­cadémie Inter­na­tionale de Lutèce, Paris, 2006 pour » Itinéraire inter­rompu d’une jeune femme journaliste »

·         Diplôme avec men­tion et Médaille de Ver­meil de L’A­cadémie Inter­na­tionale de Lutèce, Paris, 2004 pour « La Tra­mon­tane des Soupirs ou le siège des marées »

·         Diplôme et Médaille d’Ar­gent de L’A­cadémie Inter­na­tionale de Lutèce, Paris, 2005 pour « Le Chant de Soledad »

·         2e Prix de la Ville de Nice, 2006 pour « Les Ven­dan­ges Vespérales »

Elle a été traduite en roumain (revue Poezia), et aus­si en espag­nol, ital­ien, cata­lan, anglais et arabe. Elle a col­laboré à dif­férents jour­naux : The Finan­cial Times, Caribbean Con­tact, La Gruyère (Suisse)… Haïti en marche…

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Michel Host  —  le 23 mai 2014

Fin du Scalp en Feu — VII

 

 

 


[1] Franc Ducros, Le Poé­tique, le Réel,  (pré­face de Mikel Dufrenne), Éd. Meri­di­ens Klinck­sieck, col­lec­tion « Esthé­tique », 1987.

 

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