La régénération d’un monde brisé implique le rassemblement de fragments épars grâce aux pouvoirs synthétiques de l’imagination mythopoétique lors d’un rite de renaissance. Ezra Pound tente de rassembler les membres d’Osiris (“ I gather the Limbs of Osiris”). Dans les Cantos, il entrelace des voix diverses dans une texture chatoyante de fragments pour composer un collage rhapsodique. Cette tessiture de voix enchante les vers polyphoniques et multilingues du poème. Pound admet ne pas avoir réussi à construire une synthèse cohérente de la culture antique et contemporaine dans la structure du poème épique moderniste: “I cannot make it cohere”. Remembrer le corps textuel démembré, c’est remémorer et commémorer les poèmes de la culture occidentale et orientale. Cette résurrection des voix du passé se produit lors d’un rite théurgique grâce aux “armes miraculeuses” de la poésie, pour citer le titre du recueil d’Aimé Césaire. Les transformations métamorphiques du chant ou “transmemberment of song”, selon les termes du poète moderniste américain Hart Crane, accomplissent une alchimie verbale qui opère la fusion du romantisme, du symbolisme et du modernisme.
La spiritualisation de la mondanité et la sacralisation du profane dans les collages et les assemblages de Wallace Berman sont deux processus concomitants associés à la stratégie contre- culturelle de récupération et détournement des icônes de la culture populaire. Les artistes intègrent les rebuts de la société de consommation dans des oeuvre s qui (dé-)composent les traditions artistiques. La stratégie de récupération des restes du passé est réalisée dans une perspective tantôt archéologique, tantôt ironique. Les fragments du passé et les bribes du présent parsèment des constellations protéiformes. L’union transgressive du mysticisme, de l’érotisme et de la culture populaire conduit les artistes à défier les conventions sociales, littéraires et artistiques. Loin de se contenter de déplorer la désacralisation du monde, les artistes suscitent le réenchantement du monde. L’art du collage et de l’assemblage en Californie va à l’encontre du désenchantement du monde (die Entzauberung der Welt), analysé par Max Weber. Les icônes de la consommation sont appropriées, recontextualisées et détournées de leur contexte originel de production. La spiritualisation du profane peut s’accompagner de la profanation du sacré. Cependant, l’art rédempteur de Wallace Berman contrecarre la désacralisation des icônes religieuses traditionnelles. Berman sanctifie l’amour charnel et donne une valeur spirituelle à l’érotisme. Le corps érotique est un tremplin vers le spirituel. Le corps matériel du texte est sacralisé et spiritualisé.
La sanctification de nouvelles icônes contemporaines confère une aura de fascination aux images de la culture populaire, récupérées par un processus de reproduction mécanique. Les icônes, investies d’un mystique halo de gloire, manifestent le sacré dans le profane. Berman recourt à la technique de reproduction mécanique Verifax pour doter les copies d’une aura paradoxale. En effet, Walter Benjamin attache l’aura à l’original dans son unicité hiératique. Pourtant, la démultiplication des copies dans les collages de Berman ne prive pas l’original de son aura, mais accomplit au contraire la sacralisation des icônes reproduites. Dans la culture post-moderne, les simulacres sont disséminés en un monde virtuel où les reproductions abondent. La dispersion séminale des images dans les oeuvres de Berman figurant dans la revue Semina conduit à l’érotisation de la mondanité. La prolifération sexuelle des icônes intensifie leur pouvoir hypnotique de fascination. La reproductibilité technique des images est l’instrument d’une spiritualisation et d’une sacralisation du monde. L’artiste n’a pas abandonné tout espoir de parvenir à la rédemption du monde désenchanté grâce à la pratique résurrectionnelle du collage et de l’assemblage. L’art séminal de Wallace Berman procède à la transfiguration du monde.
Transformations métamorphiques de l’art postmoderne
En Californie dans les années 1950–60, les artistes du collage et de l’assemblage pratiquent la récupération des objets trouvés, le détournement des icônes de la culture populaire et la spiritualisation du profane. Les artistes de l’assemblage produisent parfois au premier regard un effet de disharmonie liée à la juxtaposition de fragments reliés opposés. Les artistes de l’assemblage rassemblent des fragments épars pour composer un tout hétéroclite et parvenir au réenchantement du monde. L’art de l’altérité et l’hétérogénéité beauté dissonante de l’hybride. Le collage et l’assemblage ne sont pas seulement des procédés visuels mais aussi des techniques poétiques. L’art de l’altérité et de l’hétérogène conduit à l’indétermination du sens et la prolifération de jeux de langage. La poétique de l’extase requiert l’hétérogénéité discursive. L’art rédempteur de l’assemblage surmonte la radicale hétérogénéité pour parvenir à une harmonie discordante.
Les poètes postmodernes dépassent la pratique moderniste du collage pour promouvoir une poétique cinétique fondationnaliste et immanente. Contrairement à Derrida qui dénonce l’archéothéologie comme une illusion de la présence, Charles Olson préconise un retour aux origines, une archéologie des sources adaptée au monde contemporain, qui n’est pas une rétrogression réactionnaire, mais au contraire l’acte fondateur d’une nouvelle poétique. La poésie de Black Mountain College est un art dynamique du corps en mouvement se projetant vers l’avenir. Le vers projectif incarne la présence du poète dans son art. Il dramatise le corps et spatialise la voix et intègre l’art à la vie. Même si les poètes postmodernes sont influencés par la pratique moderniste du collage et du montage typique des hauts-modernistes, en particulier d’Ezra Pound dans les Cantos, ils essaient cependant d’éviter les dérives totalitaires et fascisantes de leurs idéologies, tout en cultivant une praxis contre-culturelle. Paradoxalement, la poésie postmoderne n’est pas un rejet total du modernisme qui le précède, mais une réappropriation et un détournement d’une pratique artistique et textuelle dont les tenants idéologiques sont remis en question. Charles Olson se définit lui-même comme un archéologue du matin, “archeologist of morning”. La poésie postmoderne se détache du poststructuralisme français et de la déconstruction parce que les poètes font l’apologie de l’ontologie de la présence au lieu de dénoncer l’onto-théologie à la manière de Derrida. Wallace Berman croit toujours aux aptitudes de son art à appréhender une vérité archéo-théologique ou Veritas”, devise séminale figurant sur le portrait de Shirley Berman. Loin de démasquer l’ontologie de la présence comme une illusion, la poésie postmoderne manifeste la radiance de l’être.
L’art postmoderne se fonde sur l’ontologie de la présence et l’herméneutique de l’indétermination. Selon Ihab Hassan, l’art postmoderne se caractérise par sa pratique de l’indétermination et de l’immanence. Hassan suggère le néologisme d’ “indétermanence” pour accomplir l’union fusionnelle de l’indétermination et de l’immanence. Les immanences postmodernes prolifèrent dans la surabondance des significations, l’excès de matière et les diffractions de signifiants. La diffusion des mots, la dissémination des lettres et la propulsion du désir linguistique animent un art cinétique qui incarne la présence du poète au lieu de désoriginer le sens en proclamant la mort de l’auteur. Les formes ouvertes se projettent vers un horizon spirituel indéterminé. L’espacement des mots sur la page faire rayonner l’absence et le vide sur la page. Le poète postmoderne projette des silences et dissémine le désir verbal. Il accomplit ainsi le “démembrement d’Orphée”, c’est à dire la mise en pièce du corps du poète lyrique, pour reprendre une idée développée par Ihab Hassan. Le démembrement du corps textuel, la dissémination des sèmes textuels et sexuels, ne sauraient se passer d’un remembrement ainsi que d’une remémoration.
Par un rite liturgique de synthèse, l’imagination mythopoétique rassemble les fragments épars pour composer un tout articulant des voix et des silences. La poésie est un rite sacré de mort et de renaissance, un rituel de sacrifice et de résurrection qui fait surgir le corps textuel où s’épanouit le désir du signifiant corporel et du signifié spirituel.
Liturgie poétique et alchimie verbale
Les extases épiphaniques et les ruptures épistémiques de la poésie postmoderne engouffrent la recherche vers les profondeurs archéologiques du passé et projettent l’horizon textuel vers l’avenir spirituel d’une pratique contre-culturelle. Les tendances gnostiques et noétiques de la poésie de Robert Duncan se voilent des mystères sacrés de l’hermétisme et de l’occultisme. Ainsi, la poésie devient une pratique du sacré. Le corps textuel est une matérialisation du désir linguistique. La poétique du grand collage de Robert Duncan dérive du modernisme d’Ezra Pound, mais s’adapte à une idéologie contre-culturelle associant l’homotextualité à un refus de l’académisme universitaire dans son l’idéologie conservatrice mainstream, ce qui constitue une réaction à la culture officielle de la clôture autotélique du texte selon les critiques formalistes et structuralistes.
La poétique de l’extase
Les extases temporelles sont des projections vers une espace de l’altérité ou hétérotopie, pour employer le terme de Michel Foucault. Dans l’hétérotopie, les signifiants contradictoiresabondent et prolifèrent dans l’indétermination. L’intensification de l’être amène le poète et ses lecteurs vers une autre dimension spirituelle. La recherche d’un ailleurs spirituel est une approche romantique de l’indétermination. La poésie est la langue du sacré qui donne l’impression contradictoire d’une dématérialisation et d’une réincarnation. La langue du sacré explore l’altérité d’un monde spirituel fondé sur la contemplation du présent. Dans le recueil Ekstasis de Philip Lamantia, le transport spirituel est aussi un éclair du désir charnel. L’extase est étymologiquement une sortie de soi, une projection, un dépassement des conditions spatio-temporelles du monde quotidien en vue d’explorer une autre dimension spirituelle. L’ouverture des portes vers l’autre dimension est suscitée par la prise de narcotiques. La création du poème est une cosmogonie, la création d’un nouveau monde où le sacré se manifeste. Lors de l’orgasme cosmique, le poète participe à la création de l’univers. Le poète renoue ainsi avec les racines primitives de la poésie.
L’imagination poétique met en scène les origines mythiques du verbe. La poésie mythopoétique dramatise la genèse du langage. La création poétique est une cosmogonie. Le poète retourne aux sources de la création du principe divin et transmet cette théogonie dans ses propres oeuvres. Le poète procède à la révélation mystique du divin. La poésie mystique est une manifestation du sacré dans le Verbe incarné.
La poésie offre le spectacle de la cruauté à la manière d’Antonin Artaud. La poésie met en scène “le théâtre de la cruauté”. La poésie sacrée exploite le symbolisme du sang. L’étymologie du mot “cruauté”, en latin cruor, renvoie au sang, symbole ambigu de la vie et de la mort, de la passion charnelle, de la violence et du sacrifice. Antonin Artaud emploie le terme “poématique” pour insister sur l’acte poétique dans son déroulement processuel. Artaud invente une étymologie imaginaire du poème pour remotiver le sens de ce terme. La racine correcte du mot “poème” est “poiein”, qui signifie “faire”, “produire” ou “créer”. Artaud cultive une étymologie délirante pour lier le poème et le sang à la racine du mot po-ema. La création poétique se fait dans un effusion de sang. Artaud donne une autre étymologie à la poésie pour opérer une resémantisation de la langue. Il prétend que le mot “poème” vient du grec po-ema et dérive la deuxième syllabe du grec “haima” qui signifie le sang. Le poète s’abreuve à la source de la création. Dans la poésie d’Antonin Artaud, la source créatrice du poème s’écoule dans une effusion de sang :
“Faisons d’abord poème, avec sang.
Nous mangerons le temps du sang.”
(OEuvres complètes)
Le poète s’abreuve aux sources du sacré. Le sang s’écoule dans les rites sacrificiels de la création poétique. Le poète exhibe la violence de la sexualité et du sacré. René Girard étudie le lien entre la cruauté et les rites religieux dans son livre La violence et le sacré. Les effusions de sang font partie intégrante des rites propitiatoires consacrés à la divinité. Le mystère de la création implique le sacrifice du poète lors d’une cérémonie initiatique.
Le poème de Philip Lamantia est un carmen figuratum, un chant incarné qui figure l’autel dressé en l’honneur du divin. Les poèmes sont placés sous le signe de la croix chrétienne qui unit l’immanence et la transcendance. Le poème en forme de pyramide déconstruit le pouvoir symbolique du langage pour miner le pouvoir officielle. La pyramide de mots lettres majuscules décompose le langage pour remettre en cause les interdictions émanant du pouvoir temporel. La pyramide mystique établit une nouvelle hiérarchie où le sujet revendique le droit aux “paradis artificiels”. Les stupéfiants sont des stimulants extatiques théogènes, parce qu’ils provoquent des extases spirituelles. Les poèmes sont des manifestations du sacré dans la chair du verbe incarné.
L’hétérologie du sacré
La poésie postmoderne sacralise le monde contemporain en adaptant les rites archaïques de démembrement et de résurrection au monde contemporain. Les poètes retournent aux sources primitives de l’être pour revivifier le texte fragmenté et ranimer le monde désenchanté. Selon Georges Bataille, l’hétérologie étudie le discours de l’altérité et de la différence qui prospère dans les marges de la culture officielle. La résurgence du spirituel dans la poésie postmoderne célèbre l’Éros sacré incarné dans la chair du texte. Le poème transporte le lecteur dans un espace autre ou “hétérotopie”, où les contradictoires s’unissent au lieu de s’écarter. L’union des contradictoires s’accomplit grâce au Verbe mystique. L’espace du sacré est radicalement autre. Le poème est un temple du sacré où se déroulent les mystères et autres cérémonies initiatiques. La poète crée une langue autre, qui déconstruit et reconstruit les mots ordinaires. Le poème sacralise le Verbe. Le poète et ses lecteurs naviguent dans un “hétérocosme”, pour employer le terme de M.H. Abrams dans l’ouvrage The Mirror and the Lamp. Le poètes ne se contentent pas de refléter le monde dans un miroir. Ils dépassent la visée mimétique de l’art qui imite la nature. Ils créent des univers alternés qui manifestent la radiance du sacré. Les poèmes sont des illuminations spirituelles. Les poèmes sont des lampent qui propagent la lumière au lieu d’être des miroirs. Les poètes mystiques guident les lecteurs vers un ailleurs spirituel et explorent la dimension du sacré.
Les astronautes de l’esprit
Les poètes naviguent dans un espace spirituel incarné dans la chair textuelle. Ils composent un univers de l’altérité à partir de leurs visions extatiques. Ils sont les architectes du cosmos. Leur cosmos de l’altérité est un hétérocosme. Les poèmes spirituels sont placés sous le signe mystique du savoir du non-savoir ou inconnaissance dans “la nuit noire de l’âme”, pour reprendre l’image du mystique chrétien Saint Jean de la Croix. L’extase érotique est une célébration de l’altérité. Le chant de l’extase s’incarne dans la rupture, le rapt et le ravissement. La poésie sacralise le langage lui- même, grâce à l’animation spirituelle du médium. La manipulation du verbe permet au poète de créer un nouveau cosmos par le remodelage des éléments primordiaux de la création. Cette cosmogonie du texte dramatise sous les yeux du lecteur le processus créateur. L’inspiration cosmique est une rencontre avec l’infini. Le collages des traditions mystiques rassemble les sources de l’illumination pour raviver un monde sécularisé.
Selon les mystiques, l’univers a été créé par des lettres. Le monde est enraciné dans le langage. Le recueil Alphabet, un cycle de poèmes mystiques postmodernes rédigé par Stuart Perkofet publié en 1973, est orné d’une couverture en forme de collage réalisé par Wallace Berman, qui met en oeuvre le pouvoir magique de la lettre à l’origine de la création. L’alphabet est au fondement de la création du monde. Les poètes créent un nouveau monde en réorganisant les lettres de la langue. Chaque néologisme témoigne du pouvoir cosmogonique du poète. Dans les pratiques rituelles et oraculaires, les doctrines mystiques et cabalistes, les croyances gnostiques et humanistes, les lettres sont considérées comme les éléments fondamentales du cosmos, ou du savoir divin et humain. De plus, le mysticisme de la poésie postmoderne s’inspire du psychédélisme de Timothy Leary, qui, dans la “League for Spiritual Discovery”, préconise l’emploi du LSD pour ouvrir les portes d’une autre dimension spirituelle. Les poètes postmodernes retournent aux sources du mysticisme pour raviver la flamme de la création contemporaine. Le poème est une révélation spirituelle pour l’auteur comme pour le lecteur.
L’art théurgique du collage
La poésie mystique opère l’union miraculeuse de l’humain et du divin, du principe corporel et du principe spirituel. Le principe spirituel anime la création du monde temporel et la création poétique. L’union sacrée du fini et de l’infini est célébrée dans le langage de l’altérité. L’illumination qui irradie le corps textuel est une manifestation du spirituel dans le charnel. La lumière du sacré confère un halo de grâce au corps du poème: “what shines out in Robert Duncan’s visual work, what attracts the eye as well as the mind, is just such a light, inviting the viewer to enter its radiance” (Wagstaff, Christopher ed. Robert Duncan: Drawings and Decorated Books, p.18). Le miracle de la poésie mystique consiste à accomplir l’union entre le sacré et le profane dans le verbe incarné. La poésie de Robert Duncan est une incarnation sacrée de l’altérité.
L’illumination de la poésie est une manifestation du spirituel dans le charnel. Le Verbe poétique révèle la présence du spirituel dans le corps de la lettre. Dans un commentaire métapoétique, Duncan met en lumière les pouvoirs miraculeux de la poésie : “The Art, the Way, the Threshold, then, is a Theurgy, a Magic. As Emerson concludes this passage he seems to speak directly for the poetic practice of open form, for the importance of whatever happens in the course of writing as revelation—not from an unconscious, but from a spiritual world. In this am I ‘modern’ ? Am I ‘postmodern’ ? I am, in any event, Emersonian” (Wagstaff 50). La poésie montre le chemin vers le spirituel. Le poème exerce un pouvoir magique de fascination sur le lecteur. L’être humain est mis en relation avec les puissances du sacré grâce aux mystères initiatiques de la poésie. La poésie est un champ ouvert au monde environnant et un temple recelant des mystères sacrés. Robert Duncan se place dans la lignée de Ralph Waldo Emerson, poète transcendantaliste américain, parce qu’il revendique sa participation active à l’âme universelle ou “Oversoul”. L’âme humaine personnelle s’unit à l’âme universelle : “I become a transparent eyeball; I am nothing; I see all ; the currents of the Universal Being circulate through me; I am part or parcel of God” (Selected Essays. Penguin Classics, 1984, p. 39). L’être humain entre en communion avec le divin. La personne surmonte les limites de son individualité et devient partie intégrante du principe divin à l’oeuvre dans l’univers. L’âme humaine est en empathie avec l’âme universelle. Les distinctions, les frontières et les hiérarchies entre les êtres sont effacées. Cette empathie est une “participation mystique”, pour employer l’expression de Lévy-Bruhl. Robert Duncan échappe aux frontières closes de l’artefact autotélique admiré par les New Critics comme Cleanth Brooks dans The Well-Wrought Urn. L’ouverture du champ poétique correspond à l’ouverture de l’âme humaine qui s’unit à l’âme universelle.
La spiritualisation du monde et la sacralisation du profane
“Turn on, Tune in, Drop out”: le slogan de Timothy Leary qui promeut la culture psychédélique liée au LSD convient parfaitement à l’art de Wallace Berman, un marginal refusant les circuits de distribution traditionnels de la culture commerciale et faisant circuler les oeuvres de son cercle de collaborateurs dans le magazine Semina, dont le titre lui-même met en rapport le sperme, les semences germinales et l’inspiration séminale. L’imagerie associée à l’inspiration est ainsi transposée dans le vocabulaire du monde contemporain. Selon Jack Spicer, associé à la “Berkeley Renaissance” avec Robert Duncan et Robin Blaser, le poète retransmet des ondes en provenance d’extra-terrestres, une description qui remet au goût du jour le mythe de l’inspiration comme possession permettant au poète de devenir autre, de donner libre cours aux voix de l’altérité, qui semblent provenir de l’extérieur et l’aliéner lui-même. Ces voix étranges dévoilent aussi l’étrangeté que le poète recèle intimement depuis toujours. La perte de soi est aussi une découverte de sa propre altérité et un accès à une réalité supérieure. Dans le collage de Berman, la fonction du poète-médium est représentée par des mains tenant une radio et retransmettant les ondes de la culture de masse en les sacralisant et en les spiritualisant. La multiplication verticale des mains est l’équivalent iconique d’une extase, d’un passage hors de soi, d’une transe qui permet d’accéder à un autre monde, un au-delà dont le fondement est dans l’amour charnel.
La présence du spirituel dans l’art charnel
“Art is Love is God”: cette triple équivalence résume à elle seule l’équation mystique de Wallace Berman, qui s’inspire à la fois des images banales de la culture populaire et de l’hermétisme. La trinité mystique de Wallace Berman unit paradoxalement la sexualité et la sacralité. La sexualisation de l’art est nécessaire à sa spiritualisation. Les symboles occultes et les icônes pop se côtoient dans un syncrétisme mystique qui sacralise la quotidienneté et rend palpable les réalités spirituelles. L’amour charnel a une valeur spirituelle et artistique. Le sexe est sacralisé, parce qu’il permet de passer du corporel au spirituel. Le poète est une radio qui capte des ondes et les retransmet au public. Il joue ainsi sa fonction de médium, c’est-à-dire son rôle d’intermédiaire entre le monde visible et le monde invisible. Berman renouvelle l’imaginaire du poète chaman, à la fois réceptif et actif, qui est capable de se connecter et de se mettre en phase avec la mélodie du monde contemporain en mettant en valeur la numinosité du quotidien.
L’art de l’extase permet à l’artiste de se démultiplier, de décupler ses forces, d’intensifier son art de l’érotisme spiritualisé. L’artiste met sa marque manuelle à l’oeuvre qui a aussi un aspect technique modernisé, grâce à l’emploi de l’ancêtre de la photocopieuse Verifax. Même si Berman était lui-même photographe, il n’utilise pas ses propres photographies dans ses collages. Les images contenues dans les postes de radio ont été récupérées dans le flot de magazines de la culture populaire. Cette appropriation permet une métamorphose grâce à une recontextualisation qui est une forme de détournement. Même si le groupe de Berman était socialement aliéné de la culture de consommation et vivait dans les marges, ils tentaient toujours de rester en phase avec leur temps et non de se couper du monde en se retranchant dans une tour d’ivoire. Le chronomètre symbolise le temps calculable et divisible que Bergson dénonce comme une spatialisation artificielle du temps ne reflétant pas l’expérience du temps comme durée. Dans le collage de Berman, le temps chronométré est dépassé par un papillon, qui représente l’immortalité de l’âme. L’extase artistique permet le passage de la temporalité la plus superficielle représentée par le chronomètre à l’éternité symbolisée par le papillon. Ce chronomètre peut aussi indiquer le défi à relever lors d’une performance, en particulier sportive, puisque l’art, le sexe et le sport sont des formes de défi athlétique, un spectacle à valeur esthétique et un moyen de se dépasser soi-même grâce à l’Autre. Cette urgence dans l’immédiateté du désir toujours émergent fait sentir sa présence sensuellement dans l’oeuvre de Wallace Berman, pendant qu’il est encore temps, c’est-à-dire temps de cueillir le jour,— carpe diem —, temps de faire date, temps de faire l’expérience de l’éternité dans le maintenant. On peut penser au poème de William Blake, “Auguries of Innocence”:
To see a world in a grain of sand,
And a heaven in a wild flower,
Hold infinity in the palm of your hand,
And eternity in an hour.
Le poète mystique découvre l’infiniment grand dans l’infiniment petit, le spirituel dans le matériel et l’éternel dans le temporel. “We are the hollow men” dans un terrain vague de l’appauvrissement spirituel, un Waste Land très digne du poème de T. S. Eliot. La rage de vivre des artistes enfermés dans la cage des conventions sociales stérilisantes et paralysantes aboutit à une explosion vitale, cri existentiel où s’exprime toute l’angoisse drainée par le monde contemporain matérialiste qui ne connait que la Vénus vulgaire sans la mettre en rapport avec la Vénus céleste, qui ne pratique que le sexe sans âme des écorces vides, qui ne propage que des semences de vent, qui n’aime admirer que des surfaces sans coeur, des êtres réifiés et mécanisés coupés de toute onde, de tout fluide vital, qui ne s’accordent pas avec la mélodie de la nature et ne font pas l’expérience de la vie dans sa quintessence. Le poète, un rouge-gorge romantique, met tout son art dans l’expression d’une violence destructrice et reconstructrice, pour créer un paradis terrestre. Berman ne se contente pas de mettre en valeur la numinosité du quotidien, il le surréalise. La découverte de l’étrangeté dans le familier conduit du réel au surréel. Le mysticisme juif de la cabale donne à Berman une carte spirituelle de symboles où le monde naturel est un écho du monde spirituel. En haut de l’échafaudage de mains munies d’une radio, se trouve l’image de deux hommes s’embrassant, une vignette de la solidarité homosociale, ou de l’amour fraternel, Agape après Eros. Eros est à la base de cette construction, qui est une érection allégorique à valeur spirituelle. Agape trône au sommet de ce totem. C’est par la sacralisation de l’amour charnel que l’on atteint l’amour spirituel.
Le collage de droite est une sorte de totem d’animaux servant de guides à l’artiste-chaman. A la base de cette structure se trouve la psyché, représentée par le papillon. Le poète-chaman a besoin d’animaux totémiques pour lui servir de guide spirituel dans sa quête initiatique. Ces animaux aident le poète dans son rôle rituel de médium entre le spirituel et le matériel, d’intermédiaire entre le monde visible et le monde invisible. Le chameau symbolise la sobriété et la tempérance. Dans Ainsi parlait Zarathoustra de Nietzsche, il représente le première stade de l’évolution de l’homme, qui obéit au maître docilement et se soumet à l’autorité. Il porte le fardeau des valeurs morales et de la religion chrétienne, symbolisées par un dragon. Mais le chameau est aussi un vaisseau du désert, un moyen de locomotion très utile au poète qui prêche dans le désert du monde contemporain. Le chameau est rapidement dépassé par la moto, qui permet aux clochards célestes de naviguer spatialement et spirituellement en relevant le défi de l’ici et du maintenant, hic et nunc. La traversée du désert par le chameau peut être considérée comme une allégorie d’une quête spirituelle à la découverte de l’essence de la réalité. Dans la psychanalyse freudienne, la tarentule symbolise la peur de la sexualité représentée dans toute sa monstruosité velue. La tarentule est la menace de la mort dans la sexualité, le danger de Thanatos dans Eros. Elle peut être objet de phobie quand elle représente les tabous sexuels. Elle figure ici paradoxalement au sommet de cette construction totémique. Ainsi, le tabou devient totem. En effet, ce qui est tabou peut devenir phobique, mais peut tout au contraire être recherché, cultivé voire sacralisé, quand on désire cultiver le danger, braver la mort, mourir à soi-même pour renaître dans l’autre, se perdre pour réellement se trouver, et vivre sans tabous, un des slogans des promoteurs de la libération sexuelle. La suprématie de cette tarentule peut elle-aussi être expliquée de manière allégorique. Les artistes transgressent les tabous sociaux, quitte à être traités de barbares, un terme que les marginaux parviennent à assimiler jusqu’à lui donner une valeur élogieuse, comme dans Holy Barbarians, titre du roman de Lawrence Lipton, publié en 1959. On appelle barbare ce qui nous est étranger, barbaros, et l’artiste barbare est en fait celui qui est sensible à la richesse de l’étrangeté et de l’altérité.
La sacralisation du banal et la banalisation du sacré
Si Wallace Berman multiplie les images de main tenant une radio, ce n’est pas en vue de montrer que la multiplication d’un objet standardisé prive cet objet d’aura et le vide du sens qu’il aurait pu avoir en tant qu’exemplaire unique. Au contraire, la démultiplication de ce moyen de transmission confère une aura au message transmis. Walter Benjamin, dans son essai “Petite histoire de la photographie” et dans son livre L’OEuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, publié en 1936, montre que l’aura est “ manifestation d’un lointain quelle que soit sa proximité ”.
Cette distance hiératique de l’oeuvre d’art est liée à ses origines rituelles, à sa fonction sacrée et magique. Selon Benjamin, la reproductibilité technique aboutit à la multiplication des reproductions, ce qui entraîne la perte de l’aura de l’objet unique originel. La distribution de masse de toutes ces copies dans la culture populaire banalise ce qui était autrefois sacré. L’accessibilité de l’oeuvre par ses copies provoque sa désacralisation. Les reproductions qui circulent massivement sont placées dans de nouveaux contextes historiques, dans de nouveaux environnements spatiaux et dans de nouvelles situations. L’oeuvre se fait omniprésente grâce à ses reproductions décontextualisées et recontextualisées. Elle devient un objet commercial dans la culture populaire de masse. Aussi cette perte de l’aura n’est-elle pas purement négative, puisqu’elle rend accessible à tous l’oeuvre réservée auparavant à une élite. Contrairement à ce que pense Adorno, les objets de la culture de masse ne sont pas seulement des produits de fausse conscience. En effet, la grande distribution des reproductions peut aboutir à une sacralisation de la copie et conférer une aura à ce qui est omniprésent grâce aux duplicata. C’est par la reproduction effrénée des oeuvre s dans la culture de masse que celles-ci sont adulées et sont dotées de l’aura conférée aux icônes populaires.
Dans les collages photographiques de Wallace Berman, la reproductibilité technique des images de la culture populaire réappropriées et recontextualisées, permet une sacralisation des icônes de la culture de masse qui sont intégrées à un contexte de mysticisme judaïque. Berman s’approprie les images de la culture populaire pour donner une valeur spirituelle aux icônes banales de notre époque, et parvient ainsi à ré-enchanter le monde où sévit l’appauvrissement spirituel.
La résurgence de l’aura à l’ère postmoderne
La prolifération des copies à cause de la reproduction mécanique n’aboutit pas à une perte de l’aura, contrairement aux pensées de Walter Benjamin. L’art postmoderne cherche à surmonter la perte de l’aura par la résurgence du sacré. La résurrection de l’aura est un miracle salué par les artistes célébrants la prolifération infini du sens, le déferlement des images, et se réjouissant de l’hallucination des simulacres, à la manière de Jean Baudrillard. Dans la culture postmoderne, les images sont prélevées, confisquées, appropriées, voire volées, ou plus subtilement, subtilisées. L’original ne peut pas être localisé, il est toujours différé. On ne saurait réduire la surabondance des copies à la rareté unique d’un original. Loin de déprécier les copies en déplorant la disparition de l’aura conférée à l’original, la postmodernité cultivent les simulacres et les simulations. La diffraction infinie des images produit un effet de simulation de masse dans la culture postmoderne vouée à la célébration de la spécularité.
La résurrection de l’aura peut être associé à l’art photographique qui fait surgir les morts du passé. L’art résurrectionnel de la photographie faire revivre les morts en les donnant de l’aura fascinante des simulacres de la présence, qui sont manifestement des traces d’absences. La résurrection des morts s’accomplit grâce aux simulacres photographiques. Au lieu de réifier le corps, de dépersonnaliser l’être humain et de démultiplier une surface sans profondeur, l’art photographique de Wallace Berman personnalise le sacré qui s’incarne dans le visage de l’être aimé.
Berman érotise le sacré et sacralise le corps érotique. Il accomplit la spiritualisation corps doté d’une aura, une émanation spirituelle incarnée dans le charnel. La réapparition de l’aura après la déconstruction suscite un réenchantement du monde profane grâce à l’art du sacré. Sur la photographie d’Edmund Teske, Demolition of my grammar school1, le visage de Shirley Berman transparaît comme une force féminine de compassion offrant aux rescapés l’espoir de survivre au désastre. L’aura qui illumine la photographie est une manifestation du pouvoir rédempteur de la figure féminine. La présence féminine du principe divin dans le monde est l’apparition d’un signe de rédemption à l’ère post-apocalyptique.
La résurgence de l’aura à l’ère postmoderne contrecarre les arguments de Walter Benjamin sur la perte de l’aura. La perte de l’aura associée à l’ère de la reproductibilité technique n’est pas irrémédiable. Les outils de reproduction sont mis à la disposition des “techniciens du sacré”, pour reprendre l’expression de Jerome Rothenberg. Les artistes de la postmodernité emploient les mécanismes de reproduction pour multiplier les copies et les disséminer dans la culture. La prolifération des copies ne conduit pas à la perte de l’aura émanant de l’original. Les copies sont investies d’un pouvoir auratique de fascination. La radiance de l’être transparaît sur la pellicule sensible aux manifestations spirituelles. Le halo de grâce qui illumine certaines reproductions manifeste l’incarnation du spirituel dans le charnel. Le visage éclairé de la femme aimé nimbé d’un halo est le site d’une apparition sacrée. La création postmoderne se fonde sur une ontologie de l’être et sur une esthétique de la présence.
Le visage de la personne humaine dans son altérité peut être considéré comme le lieu intermédiaire entre le sacré et le profane, entre l’immanent et le transcendant. Cette partie du corps est investi d’une présence sacrée. Selon Emmanuel Levinas, le visage peut donner lieu à une manifestation radieuse de la présence du divin dans le corps de la personne humaine (Altérité et transcendance 13). Le visage peut devenir l’occasion d’une épiphanie ou l’Infini se lit dans le fini. 1 Edmund Teske, Demolition of my grammar school, Chicago, 1938, Topanga canyon, 1956.
Le visage de Shirley Berman est entourée d’un halo qui nimbe la personne humaine d’une aura et sacralise la femme. Selon Levinas, la “lumière du visage d’autrui [qui] signifie un surplus de signifiance et une gloire au-delà de l’être et de la mort” (AT 47). La présence du visage est investie d’une transcendance vivante à l’altérité irréductible. Le visage de la femme est une figure liminale d’apparition du sacré. L’apparition de la femme à la beauté surnaturelle est une manifestation du sacré ou hiérophanie. La sacralisation du visage permet d’accéder à une réalité spirituelle.
L’épiphanie du visage permet une révélation par un éveil à la lumière. Le visage sacralisé porte la trace de l’Infini rendu perceptible au regard du spectateur. Dans l’épiphanie du visage transparaît l’altérité du sacré. Le visage humain est la forme plastique et la figure visible de la réalité immatérielle. L’irruption du visage placé dans l’entre-deux témoigne de l’apparition du nouménal dans le monde phénoménal. La femme se tient entre deux mondes et participe de deux réalités, matérielle et spirituelle. Comme hypostase, elle combine la nature humaine et divine en une incarnation spiritualisée qui manifeste le sacré dans le monde sensible.
La figure interstitielle du désir se révèle au spectateur dans l’entre-deux, dans le clair-obscur, entre la présence et l’absence, entre le surgissement et l’évanouissement. Les figures liminales surgissent de l’obscurité et nous éblouissent de leur beauté éphémère. Les interstices sont des sources de créativité marginale. C’est à partir des espaces interstitielles qu’émergent des pratiques artistiques marginales. Les figures liminales sont une révélation du sublime surgi du subliminal. La vie des personnalités borderline est une existence crépusculaire dans les interstices de la culture.
Les relations intersubjectives nouées dans les interstices sont fondées sur la reconnaissance du potentiel créatif de l’altérité et sur le développement d’un échange dans un espace communal de dissension culturelle. L’art postmoderne opère une transfiguration du monde. La poésie mystique accomplit l’union entre la vie contemplative et la vie pratique, entre l’illumination et la composition.
L’art est intégré à la vie, dépassant ainsi les oppositions binaires et décloisonnant les catégories formelles de la pensée rationaliste. La transformation de l’art spirituel en praxis ou art de vivre dramatise la transgression des frontières conventionnelles de l’orthodoxie culturelle. Les poèmes postmodernes sont des champs ouverts à l’extase mystique. Les poèmes extatiques sont des chants de fascination et d’indétermination. Dans l’art postmoderne, l’esthétique du sublime est indéterminée. La poésie mystique dépasse les oppositions binaires rationalistes pour atteindre l’union mystique des contradictoires. La poésie du sacré accomplit la conjonction alchimique des opposés grâce au pouvoir magique du verbe.
Les poètes postmodernes sécularisent la forme sacrée et sacralisent les formes profanes. La passion spirituelle propulse le verbe dans des espaces culturels insoupçonnés. La poésie ouverte inaugure une pratique spirituelle liminale célébrant l’altérité et la richesse de la prolifération du sens et de la “différance” selon Derrida. La pratique contre-culturelle des poètes postmodernes s’épanouit dans une zone de liminalité, de transition et de transaction entre le sacré et le profane. La poésie mystique est un rite sacré accompli dans une communauté marginale. La construction d’une spiritualité collective indique que l’expérience du sacré ne saurait être réduite à un ineffable appréhendé individuellement, mais s’extériorise pleinement dans une pratique communautaire qui rejette les répressions de la culture dominante et cultive les interdits sociaux, linguistiques et culturels. Selon David Meltzer, les communautés contre-culturelles sont unies par les mêmes valeurs spirituelles qui renversent l’idéologie culturelle dominante: “these were oppositional communities expressing & embodying values unified by ideological & spiritual codes around the clock, supporting reinforcing poets & artists in epiphanies, ecstasies as well as tending to the fallen ” (Beat Thing 9). Les communautés contre-culturelles offrent aux artistes des environnements stimulant la créativité. Les extases mystiques des poètes sont des révélations intérieures et des découvertes du monde spirituel. La manifestation du divin dans le monde est une épiphanie. Les poètes de la Beat generation sont en proie aux blessures de la béatitude.
Le collage et l’assemblage sont des actes miraculeux parce qu’ils suscitent la résurrection des morts en invoquant les voix du passé. La poésie immanente est l’incarnation de la présence palpable du poète. Les résonances des mots disséminés suivent les impulsions cinétiques du corps. Le corps textuel incarne l’invisible, manifeste l’impalpable et visualise l’infini dans le fini. Le corps textuel se métamorphose pour passer du collage moderniste à une pratique postmoderne de l’“indétermanence”, pour reprendre le néologisme d’Ihab Hassan. Les artistes postmodernes cultivent l’indétermination, suscite la prolifération du sens et encouragent la disséminations des oeuvre s. Les poètes postmodernes conduisent des fouilles archéologiques et des recherches étymologiques pour renouer avec les racines des mots et retrouver les sources primitives de la création. Cette perspective fondationnaliste éloigne la poésie postmoderne de la déconstruction selon Derrida. Les poètes postmodernes cherchent à remembrer le corps fragmenté du texte. La résurrection des voix est un remembrement et une remémoration. Les valeurs de la contreculture séparent les poètes de l’idéologie autoritariste du canon moderniste. La nouvelle spiritualité prospère dans les communautés contre-culturelles en Californie dans les années 1950–1960. Le sacré se manifeste d’ans l’art postmoderne en comme une incarnation du spirituel dans le corporel.
Bibliographie
ABRAMS M.H., The Mirror and the Lamp: Romantic Theory and the Critical Tradition, Galaxy
Books, 1972
BARNSTONE Willis, The Poetics of Ecstasy, Holmes and Meier, New York, 1983
BAUDRILLARD Jean, Simulacres et Simulation, Éditions Galilée, 1981
BENJAMIN Walter, oeuvre s II, Trad. Maurice de Gandillac, Paris: Gallimard, 2000
CRANE Hart, Complete Poems, Marc Simon ed. Liveright, 2001
DEBORD Guy, Internationale situationniste, Édition augmentée, Librairie Arthème Fayard, 1997
DERRIDA Jacques, La dissémination, Seuil, 1993
EMERSON Ralph Waldo, Selected Essays, Penguin Classics, 1984
DRUCKER Johanna, The Alphabetic Labyrinth, London: Thames and Hudson Ltd, 1995
DUNCAN Michael & MCKENNA Kristine, Semina Culture: Wallace Berman & His Circle, DAP:
Santa Monica Museum of Art, 2005 DUNCAN Robert & Jess, Bending the Bow, New York: New
Directions, 1968
—. Caesar’s Gate: Poems 1949–50, Sand Dollar—8, 1972
—. Fictive Certainties, NY: New Directions, 1985
LYOTARD Jean-François, La condition postmoderne: rapport sur le savoir. Paris: Les Éditions de
Minuit, 1979
MELTZER David, Beat Thing. Albuquerque: La Alameda Press, 2003
—. ¨The Secret Text Lost in the Processor¨ in Wallace Berman: Support the Revolution,
Amsterdam: Institute of Contemporary Art, 1992
SEITZ William, The Art of Assemblage,The Museum of Modern Art, New York, 1961
WAGSTAFF, Christopher ed. Robert Duncan: Drawings and Decorated Books, The University of
California, Berkeley: Rose Books, 1992