Les couleurs du poème : entretien avec Germain Roesz

Germain Rœsz est peintre, poète, enseignant chercheur à l’université de Strasbourg, et éditeur. A la pratique des arts plastiques, il joint, donc, la poésie et de la recherche théorique. Son expérience, ses publications ainsi que ses productions plastiques et éditoriales, le placent donc au cœur de ce sanctuaire mystérieux qu'est l'Art. Il a accepté d'évoquer son parcours, et ses avancées, si précieuses, avec Recours au poème

Germain, tu es plasticien, et écrivain. Pourquoi la poésie ? Quel lien avec ta discipline première ?
La peinture et l’activité d’écriture sont nées d’une immobilisation de 2 années faisant suite à un accident de voiture. Ce genre d’épreuves (je mets au pluriel) au moment de l’adolescence modifient complètement nos trajectoires, nos systèmes de pensée, et plus sûrement encore notre rapport à la vie. Cet accident pour fracassant qu’il fut (et qui m’a bien entendu poursuivi tout au cours de ma vie par la nécessité de nombreuses interventions chirurgicales jusqu’à récemment) a aussi ouvert de nombreuses portes sur l’art en général et plus fortement sur ce que peut signifier une vie d’engagement. C’est ainsi que j’ai fait irruption dans le monde de la peinture, de l’écriture. D’abord en autodidacte (j’avais 16 ans), ensuite par l’étude universitaire dans des domaines multiples. Cela m’a conduit à enseigner en théorie pratique et sciences des arts à l’université de Strasbourg après une thèse consacrée à la création collective. Il faut bien sûr des éléments fondateurs pour s’inscrire dans une pratique de l’art.
Pour moi ce fut une expérience avec la lumière, à la sortie du coma, que j’ai mis des années à élucider mais qui m’a plongé (ce terme est le bon mot) littéralement au cœur de la création (dans ce que Breton appelait cet infracassable noyau de nuit).
Mon parcours a toujours été mis en éveil par la pratique de la peinture, de l’écriture de la poésie et de textes théoriques (sur l’art bien entendu). Je dois aussi rappeler que j’ai participé à la création de plusieurs groupes artistiques (Attitude, le Faisant, Vis-à-vis, PlakatWandKunst et le duo l’épongistes avec Jean-François Robic) qui sont souvent à l’origine de l’existence même de l’art contemporain dans ma région. Ces groupes avaient aussi une forme structurelle qui se constituait autour de la création plastique, de l’écriture, de la recherche théorique voire de revues créées en commun (Feuilleton’s, Compresse, Scriptease). 

Exposition : L'Art monumental, Germain Roesz crée des oeuvres monumentales pour faire danser la couleur. Il a même créé des oeuvres inédites pour son exposition à Montigny-le-Bretonneux. 2018.

Dans l’effervescence des groupes des années 70 la dimension politique aussi était fondamentale. Et gérer des lieux d’artistes (nous en avons géré plusieurs), intervenir dans le débat théorique et politique était une manière nécessaire et presque unique de montrer et de faire exister la création contemporaine. Une donnée nouvelle aussi s’était imposée à nous, celle d’opérer en plusieurs domaines, un peu comme ce que thématisait Christian Dotremont, l’inventeur de Cobra avec Joseph Noiret, d’une déspécialisation. À partir de ce moment-là un peintre pouvait toucher au cinéma, un cinéaste à la musique, un musicien à la peinture, etc. Non pas dans un principe d’équivalence mais bien comme une série de portes qui s’ouvraient pour dire le monde autrement que celui qu’on nous imposait.  
Peux-tu évoquer la création de ta maison d’édition ? Les raisons pour lesquelles tu l’as créée, et sa structure ?
De par mes activités de peintre, de poète, de théoricien de l’art j’étais entouré d’un milieu fertile, bouillonnant et bien sûr parfois et heureusement contradictoire. J’ai créé la maison d’édition en 1994 tout simplement parce qu’il me semblait qu’il y avait autour de moi bon nombre de poètes qui n’avaient pas la réception qu’ils auraient dû avoir (à mon sens) et surtout une réelle difficulté à pouvoir être édités. C’est évidemment aussi une question d’amitiés fortes avec cette idée immédiate d’associer la poésie et les arts plastiques. Cette association évidemment ne cherche en aucun cas une illustration mais bien une succession d’échos toujours pour augmenter la compréhension commune. La maison d’édition a donc d’abord commencé avec des livres de bibliophilie (rares d’une certaine manière et à peu d’exemplaires). Cela s’est fait en premier lieu avec Jacques Goorma, Bernard Vargaftig, Henri Maccheroni, Patrick Beurard Valdoye, Patrick Dubost, Sylvie Villaume. Assez rapidement et en observant le lectorat, l’envie de faire en sorte que plus de lecteurs pouvaient accéder aux livres il s’agissait de réaliser des objets moins onéreux. Et c’est ainsi que sont nées plusieurs collections (Jour&Nuit, Contre-Vers, les cahiers du loup bleu, les parallèles croisées, Bandes d’artistes, Duos, DessEins, 2Rives). Chaque collection développe une certaine spécificité (textes courts, ou textes plus expérimentaux, ou textes longs, relations plastiques et poétiques immédiates, parfois partir de la pratique plastique même, etc.) et peut se développer grâce aux collaborateurs suivants : Claudine Bohi, Jacques Goorma, Haleh Zahedi et Arnoldo Feuer.
Pour ce qui est de la structure l’ensemble fonctionne sur mon activité d’artiste.

Lecture poétique de Germain Roesz à la Galerie Nicole Buck - partie 1, autour de son dernier livre La part de la lumière ainsi que quelques inédits - 28 septembre 2019.

Comment se porte le marché de la poésie ? Et celui de l’art ?
Vaste question. Il faudrait un livre pour y répondre. Pour l’art en général la substitution de l’œuvre comme possibilité de transformer le regard, de le porter plus loin, de respirer mieux, d’avoir des hauteurs de vue, et je pourrai poursuivre cette énumération, la substitution (comme on dirait d’une confiscation) donc de tout cela fait le lit de l’argent facile, d’une rentabilité immédiate, et d’une marchandisation de l’art. Les œuvres qui se constituent dans le long terme avec du côté de l’artiste tout d’abord l’approfondissement de son art s’effacent lentement de l’horizon ! Le constat que l’on doit faire c’est que la connaissance qu’ont les gens de l’art est parfaitement limitée à quelques connaissances médiatiques. Je défends l’idée que l’art que l’on voit est porté par une histoire plus profonde, plus dense, et parfois peu visible. C’est cette histoire que j’ai envie de porter et non pas celle qui est fabriquée à partir de systèmes de réception qui omettent l’épaisseur des débats, des conflits et des possibles. Et puis, pour l’art on voit bien que la légitimation (de manière générale) des œuvres se fait (ne se fait qu’) à partir de l’argent, du prix et de son corollaire la spéculation. L’enrichissement qu’on doit tirer d’une œuvre ne tient pas au bénéfice monétaire qu’elle peut rapporter mais à la force de ses représentations, des idéaux qu’elle véhicule, des modifications de pensée, des ressentis qu’elle produit en nous !

Angles couleur 10, recto, 30,7x26,1 cm, 2023.

Angles couleur 10, verso, 30,7x26,1 cm, 2023.

Mais ta question a débuté avec marché de la poésie. Et curieusement j’entends marche de la poésie, une sorte de cheminement qui opte pour les différences, un chemin pour monter plus haut. La poésie, si l’on cherche à la fréquenter dans sa diversité échappe parfois à une institutionnalisation, et d’une certaine manière à l’argent. Je connais peu de poètes qui vivent de leur poésie (contrairement à la littérature du roman en général). Évidemment ce constat doit se faire en signalant un paradoxe. Pour ma part je pense que le fait que les poètes ne sont pas assujettis à l’argent leur donne (et montre) une force de liberté sans égal. Cependant cela signifie aussi (parce qu’ils n’en vivent pas) que la lecture de la poésie est restreinte, que les médias ne la parlent pas assez, ne la convient pas justement pour permettre, ce qui est ma ligne de combat, de montrer sa diversité de sens, de lieux qu’elle entrevoit, d’écarts qu’elle fait par rapport à l’hypercapitalisme qui nous avale, qui avale tout d’ailleurs. La poésie qui m’intéresse est diverse, mais c’est toujours celle qui est authentique, je veux dire qui se tient dans une singularité. Un ou une poète ne se doit pas à la totalisation du monde, à faire croire à sa compréhension d’un tout qui nous échappe, mais bien de témoigner de la multiplicité des constellations de pensées, de réflexions. Claudine Bohi a cette phrase que je trouve d’une justesse absolue, la poésie est la chair de la philosophie. Et c’est bien pour cela que certains philosophes, et non des moindres, nous disent que ce qui compte le plus c’est la poésie. Il y a, dans l’association des mots, lorsqu’elle est réussie, une urgence brûlante qu’il faut, qu’il faudrait pouvoir montrer. Il faut ajouter à mes remarques, et le marché de la poésie place St Sulpice qui a lieu chaque année le prouve qu’il y a plus de 300 éditeurs de poésie en France. On les dit petits éditeurs ! Cet attribut est inadéquat, ils sont justement la sève même de la poésie, ces petits éditeurs en plus d’éditer des livres, de faire découvrir des poètes, de permettre à certains d’avoir enfin un lectorat, d’organiser des lectures, de se battre avec l’aide des libraires pour que les livres soient disponibles, font le travail en profondeur que l’histoire ne devrait pas oublier.
Pour ce qui est de Les Lieux dits il y a un lectorat de plus en plus important. Cela s’est fait avec les poètes et les artistes eux-mêmes. Par le bouche à oreille et grâce aux recensions dans diverses revues qui ont relayé le travail que nous faisons.  

Lecture poétique de Germain Roesz à la Galerie Nicole Buck - partie 2, autour de son dernier livre La part de la lumière ainsi que quelques inédits - 28 septembre 2019.

Y a-t-il des lieux alternatifs qui permettent à un art et/ou à une écriture non « institutionnalisés » d’être aisément accessibles au grand public ?
Je crois justement que les dits petits éditeurs sont ces lieux alternatifs. Beaucoup d’entre eux sont aussi poètes, et de nombreux poètes œuvrent dans des professions totalement diversifiées et font eux-mêmes promotion de la poésie par des manifestations, des rencontres, des lieux, des revues. Ils le font souvent avec peu de moyens dans une sorte de sacerdoce souvent incompatible avec la théorie de la rentabilité mercantile envahissante. Ces lieux sont à protéger, à sanctuariser. Bien entendu, je regrette que la poésie ne soit pas davantage convoquée dans la sphère médiatique, qu’on ne donne pas assez la parole aux poètes. Dans la poésie contemporaine toutes les questions qui traversent la société en général sont présentes, mais ne le sont pas forcément sous l’angle d’un simple constat, ni sous la forme d’une solution impérative. Les questions sont présentes comme un écart, comme une suspension qui donne au sens la priorité fondamentale. La poésie n’est pas la communication, elle vise plus haut pour montrer un espace plus élargi, toujours plus large que la réduction capitaliste, que la réduction de la pensée dominante. D’autre part elle permet pour qui la fréquente d’accroître sa conscience quant à l’histoire, quant à l’écologie, quant au corps, quant à l’amour, quant à l’altérité, quant à l’invention d’un à-venir partageable. Cette conscience que donne la poésie appelle évidemment la curiosité des lecteurs, et plus fortement encore un engagement qui ne délègue pas au tout technologique la prise en mains de nos vies.  

Lisière, acryl past. s. arches, 23,5x29,4 cm, été 2023.

Tu enseignes l’art, à l’université. Comment, et pourquoi ? Tes étudiants lisent-ils de la poésie, est-elle associée à leur démarche artistique ?
Je n’y enseigne plus. Je suis aujourd’hui professeur honoraire. Cependant, j’ai gardé pas mal de contacts avec de nombreux étudiants. Certains sont passés par un cours de poésie sonore que j’avais créé. Ils ont pu y découvrir les figures historiques, et parfois ont été confrontés à des poètes vivants au cours de rencontres inoubliables (avec Bernard Vargaftig, Odile Cohen Abbas, Patrick Beurard Valdoye, Julien Blaine, Serge Pey, Patrick Dubost, Henri Meschonnic, Bernard Noël, et j’en oublie). Ils ont été amenés aussi à écrire de la poésie, et surtout à la dire, à la produire en public. Nous avons pu ainsi faire plusieurs spectacles au sein même de l’université et même à l’extérieur. Pour des étudiants en arts plastiques et en arts du spectacle cette initiation poétique et expérimentale a été fertile. Ensuite, c’est un chemin personnel. Il faudrait pouvoir donner beaucoup d’exemples personnels. J’ai le souvenir de textes poétiques dits et proférés par mes étudiants qui étaient extrêmement justes et émouvants, qui parlaient autant de leurs engagements politiques que de leurs ressentis les plus intimes. Cela montre bien que d’ouvrir une porte permet d’en ouvrir bien d’autres. L’exemple le plus proche concerne Haleh Zahedi qui a fait une thèse sous ma direction, qui est une artiste remarquable et qui vit aujourd’hui à Bruxelles. Elle gère la collection bandes d’artistes (justement une des collections qui associent œuvres plastiques arrivant au départ et poèmes en échos à celles-ci). Cette collection compte aujourd’hui 110 duos artiste/poète.
Ajoutons qu’aujourd’hui nous ne sommes pas loin de 500 ouvrages publiés depuis le début de l’aventure de Les Lieux Dits.  
Tu publies des poètes accompagnés par des artistes plasticiens. Comment sont-ils associés ?
Au départ l’association était faite par moi, et grâce à la connaissance du milieu artistique et poétique que j’avais. Aujourd’hui, c’est devenu plus complexe grâce aux collaborateurs de Les Lieux Dits, mais aussi grâce aux artistes et poètes sollicités qui me rendent attentifs à telle ou telle œuvre, à telle ou telle forme poétique. Cela finit par relever d’un jonglage difficile à tenir.
Cela a aussi créé une synergie (un nombre considérable de manuscrits, des propositions tous azimuts, une demande à laquelle je ne peux plus répondre) passionnante, épuisante. Dans les associations qui se forment la question du désir est essentielle. Les poètes ont, la plupart du temps, à choisir parmi des propositions artistiques et donc des artistes qu’ils découvrent (qu’ils ne connaissaient pas forcément). L’idée est évidemment qu’ils répondent sans procéder à l’illustration de la peinture, du collage ou du dessin. C’est cela qui est passionnant parce que du côté du peintre par exemple la demande est de répondre dans une contrainte en toute liberté, et du côté de la poète ou du poète la demande est contrainte pour un nombre de pages, par un format spécifique, etc. mais aussi dans une totale liberté. 

Performance Germain Roesz Fondation Fernet-Branca. 13 février 2015.

C’est au fond deux libertés qui se joignent pour ouvrir un espace inconnu (cela concerne la collection 2Rives que dirige Claudine Bohi, la collection DessEin et Duo que je dirige, la collection Bandes d’artistes que dirige Haleh Zahedi). Les autres collections sont davantage dans l’espace du seul texte poétique, mais toujours sous l’angle de la liberté (J. Goorma pour les cahiers du loup bleu et Jour&Nuit ; Arnoldo Feuer pour Parallèles croisées). Pour les cahiers du loup bleu nous sommes dans un texte qui oscille entre 30 et 50 pages, et le loup (bleu) qui figure en 4èmede couverture est choisi par moi dans tous ceux que j’ai en réserve et pour lesquels j’ai sollicité de nombreux artistes (je crois qu’à ce jour il y a trente deux artistes différents qui ont proposé les loups).
Existe-t-il une dynamique sémantique spécifique préétablie entre l’écrit et l’image lorsqu’ils sont réunis dans un recueil ? Qu’apportent l’un à l’autre, et vice versa ?
Heureusement que la dynamique sémantique n’est pas préétablie. Le sens est justement dynamique. Il roule de l’un à l’autre, il fait - par ces allers et retours - comprendre ou le texte ou la peinture, à chaque fois différemment. Il s’agit toujours de faire confiance à l’artiste et au poète. Comme peintre et comme poète j’ai bien entendu des préférences, et au départ je choisissais des artistes dans mes champs de référence. Je faisais de même pour les poètes. En éditant de plus en plus le champ s’est agrandi, les amitiés se sont accrues et diversifiées. La dynamique s’est installée comme un refus des clans, comme une ouverture salutaire à la diversité. En ayant aussi observé (pour mon travail théorique) scrupuleusement le fonctionnement des duos je peux évoquer rapidement une sorte de typologie (qui relève d’une sémantique). Il y a des duos qui associent deux différences, qui les mettent en lutte, en duel pour produire un événement particulier. Il y a des duos qui fabriquent un autre qui pourrait à terme avoir un fonctionnement autonome, une signature singulière. Il y a des duos qui en saisissant leurs points de force et en observant leurs faiblesses s’associent pour une œuvre augmentée. Il y a ceux qui juxtaposent, d’autres qui s’observent et se répondent comme font des musiciens de jazz qui improvisent. Il y a ceux qui s’écartent de ce qu’ils font fréquemment, et souvent alors dans leur pratique personnelle quelques choses évoluent. Il y a ceux qui s’agglomèrent en connivence, en reconnaissance d’un terrain commun, d’un partage d’idées et d’idéal. La période de l’Ut Pictura Poésis est évidemment dépassée. Lorsqu’on y associe la formule du poète Simonide de Céos « la peinture est une poésie muette, la poésie est une peinture parlante » on peut penser qu’il y a une équivalence. Dans le temps d’aujourd’hui il me semble que l’association image (qui n’est pas une image) et poésie, lorsqu’elle n’est pas illustrative, fait advenir un territoire nouveau, ou qui était inaperçu. Cela veut dire à mes yeux que le projet est d’inscrire une série d’échos tout comme fait une pierre lancée à la surface de l’eau fait des ondes. Ces ondes provoquent un ensemble et déterminent dans le même temps des complexités singulières. Voilà le projet de ces associations, ambitieux mais magnifiquement stimulant.
Et maintenant, quels sont tes projets ?
Il faudra que je fasse comprendre que la structure artisanale de la maison d’édition doit encore continuer ainsi, mais ce sera au prix de nombreux refus d’éditer. J’ai trop de demandes aujourd’hui, et je dois me restreindre pour des raisons de temps, et bien sûr de budget. Mais le plus important est le temps. Si Les Lieux Dits sont ce qu’ils sont aujourd’hui, je le rappelle, c’est grâce à l’amitié indéfectible de ceux qui m’aident mais aussi à cette énergie que j’ai encore. Je veux dire que la volonté de tenir haut (cela n’empêche nullement de se tromper parfois) la forme poétique et plastique nous isole, et fait croire quelquefois qu’on ne répond pas à la demande de l’autre. Cela produit une grande solitude. Je veux dire que rester dans une authenticité de pensée isole, que de mettre l’exigence au cœur de notre travail produit une grande solitude et fait souvent souffrir. Mais, c’est à ce prix que nous gagnons à mieux faire comprendre ce que c’est que l’art. Pour ma part c’est un travail théorique que je fais dans mes textes (souvent publiés dans des catalogues) consacrés à des artistes où je m’impose de parler des origines souterraines de leurs œuvres, des partis pris nés de rencontres fortuites, improbables et encore de leurs engagements de vie. Je l’ai tenté aussi pour la poésie dans un essai au titre provocateur Où va la poésie ? chez Vibration éditions où j’évoque plus de 50 poètes de notre temps. Bien sûr, personne ne sait où va la poésie mais témoigner de sa diversité permet de comprendre aussi qu’on peut saisir l’art non pas dans ses imprécations impératives mais bien dans une structure dynamique et contradictoire qui active l’intelligence (comme celle d’être en bonne intelligence avec les autres).
Tu me demandes mes projets, j’aurai tendance à dire à ralentir, mais de ce ralentissement qui permet de mieux faire comprendre, de mieux réaliser aussi mon travail de poète et de peintre, et peut-être, pour un temps encore, de mieux accompagner les poètes qui déjà ont publié chez Les Lieux Dits. J’en suis à chercher une rareté de sens, une qualité de monde inaperçu qui ne sera pas que le miroir du virtuel, une exigence qui nous mettra encore en relation avec la vraie nature des choses (un tactile surprenant, une caresse réelle, un sens revivifié dans un monde si inquiétant). Cela relève bien sûr d’une position éthique. L’enjeu est énorme et la vie n’y suffira plus, mais reste comme un témoignage de ce qu’on peut, comme être humain, pour continuer à faire tenir debout ce que nous appelons humanité.

STRASBOURG, PRESQU'ILE MALRAUX : PARCOURS SONORE EC(H)O, 30 janvier 2020, intervention du poète GERMAIN ROESZ durant la conférence de présentation du parcours sonore (poésie/musique) par l’agence d’ingénierie culturelle CAPAC.

Présentation de l’auteur

Germain Roesz

Germain Roesz est peintre et écrivain. Professeur émérite de l’université de Strasbourg. Il vit et travaille à Paris et Strasbourg.
Son travail plastique cherche aujourd’hui un lieu entre chaos et organisation, entre origine matricielle et projections à venir. Depuis plus de 30 ans un protocole coloristique est à l’oeuvre qui produit une continuité dans les ruptures formelles et stylistiques engagées. C’est toujours la peinture qui est visée dans ses liens à toute l’histoire de la peinture, dans son sens politique face au monde contemporain. Faire monde face au monde, écart, pas de côté.
Comme auteur il a publié une trentaine d’ouvrages théoriques, poétiques. Il est représenté à Paris par la Galerie Cour Carrée. De nombreuses expositions personnelles et collectives dans le monde entier.

Bibliographie

Parmi les publications de G. Roesz on peut citer Paysages discontinus, textes de J.-P. Brigaudiot, J.-F. Robic et G. Roesz, Publ. Université des Sciences humaines de Strasbourg, 1996; Le jeu de l’exposition, actes du colloque de Beaulieu en Rouergue, septembre 1997, ouv. collectif sous la dir. de P.-D. Huyghe et J.-L. Déotte ; Sculptures trouvées, espace public et invention du regard, en collab. avec J.-F. Robic, l’Harmattan, 2003, 155 p. ; Pas de deux, avec Sabine Brand-Scheffel, publ. du Centre culturel franco-allemand, Karlsruhe, 2004, 56 p. ; Il dit c’est une poème d’amour, éditions Ipsa facta, Paris, 2005, 76 p.

Parmi les catalogues et les présentations de l’œuvre, mentionnons: Germain Roesz, Secret, catalogue pour l’exposition au Centre régional d’Art contemporain et au musée d’Altkirch, 1991; Germain Roesz, Stries Sites, textes d’A. Pignol et de G. Roesz, Carnets d’instants, n° 4, 2006: L’épongistes, L’année prochaine ça ira mieux, éditions Apollonia, 2007.

Autres lectures

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