Traducción al francés por Bernardo Schiavetta
Le serpent de bronze
Moïse éleva le Serpent d’airain dans le désert
et tous ceux qui avaient été piqués
ont été guéris rien qu’en le regardant.
Et moi, transpercé par l’amour, que puis-je faire ?
Ciblé adroitement par le poison de tes yeux,
où dois-je regarder pour trouver mon salut ?
La serpiente de bronce
Moisés alzó la serpiente de bronce en el desierto
y todo aquel que había sido picado,
la miraba y quedaba curado.
Y qué puedo hacer yo, atravesado por el amor
inoculado por el preciso veneno de tus ojos
¿A dónde debo mirar para salvarme?
∗∗
Attaché au fond de la maison
Ma parole est liée
comme un chien
à l’arrière-cour de la maison.
Au fil du temps
elle est devenue enragée
et a commencé à ne plus me reconnaître,
Je ne peux plus la laisser en liberté
car elle mordrait les proches et les inconnus.
J’approche avec un bâton
sa nourriture et son eau.
Elle aboie toute la nuit.
mais je ne saurais pas la laisser mourir
et je la nourris ainsi tous les jours.
J’y suis très attaché.
J’aurais préféré une parole
qui m’accueillerait par des bonds et des léchouilles
en remuant la queue
mais, en notre pays
nous attachons les paroles au fond de nos maisons
et avec le temps, elles deviennent hardies
puissantes
et il arrive un moment où l’on ne sait pas
qui des deux aboie le plus fort.
Atado al fondo
Tengo la palabra atada
como un perro
en el fondo de la casa.
Con el tiempo
se ha vuelto agresiva.
Comenzó a desconocerme
y no conviene soltarla
porque muerde a propios y a extraños.
La comida y el agua
se la acerco con un palo.
Ladra toda la noche.
No la puedo dejar morir
así que todos los días la alimento.
Estoy atado a ella.
Hubiera preferido una palabra
que moviera la cola
que me recibiera con saltos y lamidos
pero, en este país
atamos las palabras en el fondo de la casa
y con el tiempo se vuelven bravas
poderosas
y llega un momento en el que uno no sabe
quién de los dos ladra más fuerte.
∗∗
Les chevaux qui viennent boire
à Hugo Francisco Rivella
Il y a des chevaux en liberté
qui viennent boire
de l’eau dans mes yeux.
Je sens les museaux et les narines
le brouillard de leurs souffles
et je ne sais pas d’où ils viennent
ni pourquoi ils s’approchent de moi
pour coller à mon visage
pour m’insuffler une inquiétude
que je n’arrive pas à nommer .
Il y a des chevaux qui arrivent
de loin, très loin,
ils foulent ma mémoire avec leurs sabots
ils agitent l’eau de mon fleuve.
Puis ils s’en vont
en laissant des nuages de poussière
vibrant dans l’air.
Après tout cela se dissipe
et la soif survient,
elle m’enfourche tristement
les flancs de l’âme.
Ces choses m’arrivent
quand les chevaux viennent boire
de l’eau dans mes yeux.
Bajan caballos
a Hugo Francisco Rivella
Hay caballos sueltos
que bajan a beber
del agua de mis ojos.
Siento el morro y los ollares
el vaho de su aliento
y ya no sé de dónde llegan
para qué vienen hasta mí
a pegarse a mi cara
a respirarme una inquietud
que no adivino.
Hay caballos que llegan
de muy lejos
me pisan la memoria con sus cascos
alborotan el agua de mi río.
Luego se van
y dejan nubes de polvo
que parpadean por el aire.
Cuando todo aquello se disipa
viene la sed
y me galopa triste
los ijares del alma.
Estas cosas me pasan
cuando bajan caballos
al agua de mis ojos.
∗∗
Le kimono rouge de Miahru
Et maintenant, dans mes nuits d’insomnie, comme la lune se reflète dans le
lac, ton kimono rouge tremble dans les eaux de ma mémoire. Et une voix
lointaine, murmure comme le vent entre les feuilles, me fait dire
doucement : Miahru, Miahru. Notre pauvre français était si pauvre qu’il ne
nous suffisait pas et nous avons donc adopté le silence.
Un matin, tu es arrivée en portant le désespoir sur l’épaule. La carte bleue
perdue, la dame de la pension à l’affût quelque part et ton besoin d’une
oreille, d’un mur solide où tes insécurités pourraient rebondir. Il ne me
restait plus un seul franc. Nous étions pauvres et nous avions tout Paris à
parcourir.
Et peut-être, Miahru, le plus important, c’est que nous étions jeunes. Jeunes
comme le dit la chanson de Charles Aznavour : hier encore, j’avais vingt
ans, je gaspillais le temps en croyant l’arrêter…et c’est ainsi que me
reviennent ton kimono rouge, ces yeux bridés et ce sourire qui réussit à
traverser le temps.
Nous sommes vieux maintenant, Miahru, et j’aurais aimé te dire que je
t’aimais. Te demander si tu avais regardé le mont Fuji autant de fois
qu’Hokusai. Te dire que je viens des plaines, d’un endroit où le ciel fond
quand arrive le soir. Rêver de marcher main dans la main sous les cerisiers
en fleurs et murmurer en silence le poème de Bâsho : la nuit s’en va, mais à
l’aube, les cerisiers en fleurs renaissent.
Quand le sommeil se refuse, tu viens, souriante, tes mains portent une fleur
sur le point de s’effeuiller. Je reste muet et les mots chancellent dans ma
bouche aux lèvres verrouillés. J’aurais dû te dire que je t’aimais Miahru,
mais je n’ai rien dit.
J’imagine des cerisiers en fleurs tandis que je cherche des poèmes d’Issa et
d’Onitsura. Je parcours les estampes japonaises avec minutie jusqu’au
moment où le sommeil commence me lécher les genoux. Il arrive avec sa
cargaison de sable et je laisse tomber dans l’oubli ce morceau rouillé de
mémoire que je croque chaque soir.
La fleur que tu tiens dans tes mains commence à se faner. Le sommeil
arrive.
Miahru, pourquoi reviens-tu, pourquoi les étoiles disent et me redisent que
j’aurais pu t’aimer mais que je ne l’ai pas fait ?
El rojo kimono de Miahru
Y ahora, en mis noches de insomnio, así como la luna se refleja en el lago,
tu kimono rojo tiembla en las aguas de mi memoria. Y una voz muy lejana,
un murmullo de viento entre las hojas, me hace decir en voz baja: Miharu,
Miahru.
Nuestro pobre francés era tan pobre que no alcanzaba y entonces usábamos
el silencio.
Una mañana llegaste con la desesperación colgando de tu espalda. La carte
bleu perdida, la señora de la pensión al acecho y la necesidad de un oído,
una pared segura en donde pudieran rebotar tus inseguridades. Ni un solo
franco me quedaba. Éramos pobres y teníamos todo París para andar.
Y tal vez, Miharu, lo más importante es que éramos jóvenes. Jóvenes como
dice la canción de Charles Aznavour: hier encore, j’avais vingt ans, je
gaspillais le temps en croyant l’arrêter…y así vuelve a mí, tu kimono rojo,
los ojos rasgados y esa sonrisa que supo atravesar el tiempo.
Ahora somos viejos, Miahru y a mí me hubiese gustado decirte que te
amaba. Preguntarte si habías mirado el monte Fuji tantas veces como lo
miró Hokusai. Decirte que soy de la llanura, un lugar donde el cielo se
deshace por las tardes. Soñar con caminar de la mano bajo los cerezos en
flor y susurrar en silencio el poema de Bâsho: termina la noche, pero
cuando llega la aurora, renacen las flores del cerezo.
Cuando el sueño no llega, venís vos, sonriente con una flor entre las manos
que está a punto de deshojarse. Permanezco mudo y las palabras se
atolondran en la boca sin ningún resultado ante el cerrojo de mis labios.
Tendría que haberte dicho que te amaba Miahru, pero no dije nada.
Imagino cerezos en flor mientras busco poemas de Issa y de Onitsura.
Reviso al detalle las estampas japonesas hasta que siento al sueño lamiendo
mis rodillas. Llega con su carga de arena y hundo en el olvido el oxidado
trozo de memoria que muerdo cada noche.
La flor entre tus manos comienza a deshojarse. Llega el sueño.
Miharu, ¿por qué volvés, por qué las estrellas me recuerdan que podría
haberte amado y no te amé?
∗∗
Federico à New York
Il est là, le pédé,
il regarde les gratte-ciel et mâche des solitudes :
la solitude des foules
les rues bondées
(des bruits et des bruits et des bruits)
le cœur sous le soleil de la décrépitude.
Tout le monde danse au rythme des billets de banque
le roi de Harlem
–– portant une cuillère en bois ––
n’atteint même plus les crocodiles de ses coups
ni les singes,
il est le chef d’orchestre de la musique du monde
boum, boum, boum,
les bruits de votre cœur
boum, boum, boum,
et le bâton de la cuillère
se parfume des baisers de flics
la rivière se soûle d’huile d’usine
et ton cœur
reprend le rythme effréné
de cette ville qui sans être la tienne
est la tienne.
Il ne reste
qu’à ramener la lune
et l’accrocher sur le plus haut gratte-ciel du monde.
La lune, ta lune gitane
avec sa crinoline de fleurs blanches
…l’enfant, la regarde, la regarde
l’enfant ne cesse de la regarder…
Tu réalises aussitôt
que rien ne peut briller
sauf les dollars
et que ta lune
la lune de ton cœur
ne tient que dans ta poche
où elle est bien gardée.
Tu te places au milieu de l’avenue et tu cries
de toutes tes forces :
Oh Capitaine, mon capitaine
et alors il arrive
barbu et beau
avec une crinière pleine d’algues et de fleurs
il te serre dans ses bras et te dit :
c’est l’Amérique
et tu sens qu’il te palpe le sexe
et peu après tu découvres
que la lune, la lune de ton cœur
n’est plus dans ta poche
elle a été volée par ton capitaine.
Il court déjà par la Cinquième Avenue
en chantant la Marseillaise en anglais
…pars vite lune, lune, lune
si les gitans te voyaient
ils feraient avec ton cœur
des bagues et des colliers blancs…
Le pédé danse au milieu de la rue
et une larme verte tache la rivière des ombres.
Dans la ruelle
parmi les poubelles et les journaux empilés
une vieille femme montre du doigt le danseur
et le pédé imagine
le goût de la poudre à canon.
Le soir
en regardant la rivière
le Capitaine s’approche
et suspend la lune
au-dessus du Bronx entre des poulies bleu clair.
Sa barbe est transparente.
Capitaine, tu lui dis, quel son font les balles
quand elles pénètrent un corps ?
Le capitaine ferme les yeux
(il imagine)
boum, boum, boum, dit-il,
ça bat gaiment fort, comme bat ton cœur.
Federico en Nueva York
Y ahí está la marica
mirando rascacielos y masticando soledades
soledad de las multitudes
calles repletas
sonidos y sonidos y sonidos
corazón al sol de la decrepitud.
Todos bailan al compás de los billetes
el rey de Harlem
‑con una cuchara de palo-
no golpea ya ni a los cocodrilos
ni a los monos
ahora va directo a marcar la música del mundo
bum, bum, bum
suena tu corazón
bum, bum, bum
y el palo de la cuchara
huele a besos policiales
el río se emborracha con aceite de fábrica
y tu corazón
asume el ritmo frenético
de esta ciudad que sin ser tuya
es tuya.
Te falta solamente
traer la luna
y colgarla en el más alto rascacielos
la luna, tu luna gitana
con polisón de nardos
…el niño, la mira, mira
el niño la está mirando…
De inmediato te das cuenta
que nada puede brillar
sino el dinero
y que tu luna
la luna de tu corazón
cabe solamente en el bolsillo
y la guardás ahí
te parás en medio de la avenida y gritás
con toda tu fuerza:
Oh Capitán, mi capitán
y él viene
barbado y hermoso
con la melena llena de algas y de flores
te abraza y te dice:
esto es América
y vos te das cuenta de que su mano te toca los testículos
y cuando querés darte cuenta
la luna, la luna de tu corazón
que estaba en el bolsillo
fue robada por tu capitán
que corre por la quinta avenida
mientras canta en inglés la marsellesa
…huye luna, luna, luna
si te vieran los gitanos
harían con tu corazón
collares y anillos blancos…
La marica baila en medio de la calle
y una lágrima verde mancha el río de sombras.
En el callejón
entre tachos de basura y diarios apilados
una anciana lo señala con un dedo
y la marica imagina
el sabor de la pólvora.
Por la noche
mientras mirás el río
se acerca el capitán
y cuelga la luna
por arriba del Bronx entre poleas de color celeste.
Su barba es transparente
Capitán, le decís, ¿cómo suenan las balas
cuando entran en un cuerpo?
El capitán cierra los ojos
imagina
bum, bum, bum, le dice,
suenan como tu puto corazón.
∗∗
Leandro Calle, Federico en Nueva York, Ediciones del Callejón.
Germán
Germán
est peintre.
Il m’a dit
qu’il ne s’est jamais ennuyé
qu’il peint toujours
qu’il aime voyager
qu’on lui fait une dialyse
3 fois par semaine.
Il m’a offert un tableau
Je l’ai raccroché directement
à ma langue
pour ne plus jamais me plaindre.
Germán
Germán
es pintor.
Me dijo
que nunca se aburrió
que siempre pinta
que le gusta viajar
que se hace diálisis
3 veces por semana.
Me regaló un cuadro
que colgué directamente
de mi lengua
para no quejarme más.
∗∗
Un noyé
La violence de l’eau est passée sur l’île
elle a tout transporté
jusqu’au dernier souffle
elle a pris aussi
la vie de ce garçon.
Après,
nous avons regardé l’eau brune de l’inondation
sachant que dans son estomac boueux
il y avait un corps.
Mais où ? Où chercher dans cette masse d’eau ?
Une femme a apporté un pain.
Elle a conseillé de le jeter à l’eau
car, là où il s’arrêterait
on trouverait le corps.
Quelqu’un a jeté le pain dans l’eau.
Il a d’abord coulé
sans laisser la moindre trace
et ensuite il est remonté.
Plusieurs nageurs
ont commencé à chercher dans cet endroit
J’ai touché quelque chose, a déclaré l’un d’eux.
Ils ont plongé plusieurs fois.
Il y a beaucoup de courant, a déclaré un autre.
Une corde est apparue
et ils ont plongé de nouveau.
Le garçon était boursouflé
et l’eau sur le rivage
lui léchait les ongles
comme pour dire ne m’oublie pas,
comme pour dire, merci pour le pain.
El ahogado
La violencia del agua llegó a la isla
para llevarlo todo
hasta el último suspiro
y así también
se llevó la vida de aquel chico.
Entonces
miramos el agua marrón de la inundación
y supimos que en su estómago de barro
había un cuerpo.
Pero dónde, dónde buscar en esa masa de agua.
Una mujer trajo un pan
dijo que había que tirarlo al agua
que allí donde flotara
estaría el cuerpo.
Alguien arrojó el pan al agua
primero se hundió
desapareció
y luego salió a flote.
Entonces algunos se lanzaron al agua
y comenzaron a buscar.
Toqué algo, dijo uno de los hombres.
Se sumergieron varias veces.
Hay mucha corriente, dijo otro.
Apareció una soga
y otra vez se sumergieron.
El chico estaba hinchado
y el agua de la orilla
le besaba las uñas
como diciendo no me olvides
como diciendo, gracias por el pan.
∗∗
Le fils
Il y a deux ans
mon fils est entré avec nous
à la librairie
Le miroir
et il a pris un livre de Lénine
que nous avons ensuite
remis à sa place sur l’étagère.
Après
il a saisi l’un des tomes du Capital
et enfin
il est sorti en courant
vers la rue piétonnière
avec un livre de Hegel.
Je crois qu’il ne sait rien
encore
de la méthode dialectique
ni du matérialisme historique,
mais cependant
j’ai presque la conviction
que pour la CIA
mon fils serait déjà
presque un terroriste.
El hijo
Tiene dos años
y apenas entró
a la librería
El Espejo
sacó un libro de Lenin
que luego
devolvimos a su estante.
Después
agarró un tomo de El capital
y por último
salió corriendo
hacia la calle
con un libro de Hegel.
Intuyo que todavía
no sabe nada
del pensamiento dialéctico
ni del materialismo histórico,
pero sospecho,
sin embargo,
que para la CIA
mi hijo
es casi un terrorista.
∗∗
Ils émasculent le mot
Ils émasculent le mot
et que peut-on faire d’un mot mutilé ?
Un mot qui n’a aucun moyen
de s’accrocher à la terre
mot sans sperme
vide comme une coquille vide,
sans le blanc et le jaune de l’œuf.
Rien ne peut être fait
avec le mot châtré
mais un autre mot peut être conçu
une parole féconde et pleine
comme le mot arbre
que nous enracinerons au centre de la vie.
Ellos castran la palabra
Ellos castran la palabra
y qué vamos hacer con una palabra mutilada.
Una palabra que no tiene
manera de agarrarse a la tierra
palabra sin esperma
vacía como un huevo vacío
cáscara.
No se puede hacer nada
con la palabra castrada
pero se puede crear otra palabra
una palabra fecunda y plena
como la palabra árbol
y plantarla en el centro de la vida.